La semaine dernière, le cours du baril a failli tomber sous la barre psychologique des 70 dollars. Cette première tentative a échoué, mais le marché est inquiet.
Pourquoi les analystes prédisent-ils une nouvelle chute des prix du pétrole et quelles en seraient les conséquences?
La tendance est à la baisse
Jeudi dernier, le baril de Brent a atteint son minimum depuis six mois en se rapprochant de la barre des 70 dollars. En un peu plus d’un mois, les cours pétroliers ont chuté de 11,5%: du maximum local de 79,51 dollars le 10 juillet jusqu’à 70,3 dollars ce 15 août. Et bien qu’une hausse ait été constatée ensuite, la tendance générale est manifestement à la baisse.
Ce phénomène est directement lié à l’annonce de l’American Petroleum Institute, qui a fait état de réserves pétrolières record aux USA depuis 18 mois. Les opérateurs ont été encore plus alarmés par le fait que cette hausse soit liée à une augmentation significative des importations américaines du pétrole en provenance d’Arabie saoudite, qui a accru ses exportations d’un tiers jusqu’à 1,24 million de barils par jour.
Dans l’ensemble, les achats de pétrole étranger par les États-Unis ont augmenté de 11% pour passer de 8 à 9,01 millions de barils par jour. Cela n’aurait rien d’inquiétant si, à la mi-août, les dépôts américains n’avaient pas accumulé 6,8 millions de barils de pétrole «en excès» — qui n’avaient pas été sollicités par les raffineries déjà surchargées.
D’après les experts, à l’heure actuelle les raffineries américaines sont chargées à 98,1%, c’est-à-dire pratiquement sans réserves de capacité — comme le prévoient normalement les réglementations technologiques. Face à ce constat, les opérateurs pétroliers se sont logiquement posé la question: pourquoi les USA stockent-ils du pétrole?
Le marché au seuil de mouvements forts
Tom Kloza, analyste du Oil Price Information Service (OIS), est convaincu que la baisse actuelle des prix du pétrole résulte de la politique ciblée de l’administration Trump.
Le président américain a écrit fin avril sur Twitter que l’Opep augmentait artificiellement les prix du pétrole, en soulignant: «C’est inadmissible».
Début juin, Donald Trump a critiqué l’Opep une nouvelle fois: «Les prix du pétrole sont trop élevés, l’Opep recommence. Pas bien!»
Le Congrès s’est alors penché sur un projet de loi visant les cartels pétroliers, appelé No Oil Producing and Exporting Cartels Act (Non aux cartels de producteurs et d’exportateurs de pétrole, NOPEC).
«Le NOPEC est un exemple d’utilisation de mécanismes juridiques contre un ennemi, car il permet aux USA d’imposer leur législation aux pays membres de l’Opep et de l’Opep+. Les USA s’efforcent d’affaiblir l’alliance entre la Russie et l’Arabie saoudite qui sert de base à l’Opep+ afin de faire s’effondrer toute la structure de l’Opep et de proclamer la libéralisation du marché mondial des hydrocarbures», affirme Tom Kloza.
Dans la pratique, cela se déroulera ainsi: d’abord, les USA décréteront des sanctions contre les compagnies publiques liées à l’Opep et Opep+, puis contre ceux qui n’ont pas cessé de coopérer avec ces organisations.
Au final, les pays de l’Opep devront renoncer au respect des quotas établis par le cartel et accroître leur production. L’Arabie saoudite, qui a partiellement stoppé l’accord avec la Russie sur la stabilisation du marché, a augmenté le forage pétrolier jusqu’à son maximum depuis 4 ans et a baissé depuis deux mois consécutifs le prix de vente de son pétrole, est la première à suivre cette tendance.
«Le marché pétrolier est au seuil de mouvements forts. Les prix peuvent encore grimper dans les semaines à venir, mais d’ici novembre le marché dégringolera jusqu’à la barre de 50 dollars le baril», affirme Tom Kloza.
Une attaque contre son camp
Trump a déclaré la guerre à l’Opep au moment le plus inopportun, parce que le marché est au seuil d’une crise de surproduction. Après la chute des prix en-dessous de 40 dollars le baril en 2015, les investissements dans les nouveaux projets s’étaient significativement réduits, et début 2017 ils avaient atteint leur minimum depuis le début du siècle.
La montée en flèche du baril a entraîné une augmentation conséquente des investissements dans la production pétrolière. D’après la société analytique Baker Hughes, on assiste à un record de production des puits de forage depuis 2014.
De nouveaux gisements ouvrent, notamment le norvégien Goliat en eaux profondes lancé en mars. Dans ces conditions, seule la possibilité de se mettre d’accord sur le niveau de la production pourrait sauver le marché de l’effondrement, et les nouveaux projets de la faillite.
Les experts estiment que la chute du baril affecterait avant tout les compagnies occidentales qui exploitent activement les gisements en eaux profondes. Par exemple, sur Goliat, le niveau de rentabilité est estimé à 50 dollars le baril. Par conséquent, si le plan de Donald Trump pour détruire l’Opep fonctionnait, ce projet serait gelé — comme bien d’autres à travers le monde.
Le secteur pétrolier russe affiche l’une des plus grandes réserves de solidité: d’après les analystes, la plupart des compagnies russes sont capables de générer du profit même avec un baril à 20 dollars.
Certains experts sont persuadés qu’en novembre le cours pétrolier ne baissera pas, mais remontera. C’est notamment ce qu’ont prédit les fonds de gestion alternative Andurand Capital et Westbeck Capital.
Ces derniers s’attendent à ce que les nouvelles sanctions américaines contre l’Iran en novembre, sur fond de baisse continuelle de la production pétrolière au Venezuela, provoquent le retrait du marché de 1,3-1,4 million de barils par jour — et ce dans un contexte où les USA assoupliraient les conditions pour plusieurs importateurs de pétrole iranien.
Si Washington refusait de le faire, le retrait des fournitures iraniennes dépasserait 2 millions de barils par jour. «Dans ce cas le cours pétrolier mondial pourrait atteindre 150 dollars d’ici la fin de l’année», mettent en garde les analystes de Westbeck.
Auparavant, le chef de la délégation iranienne à l’Opep Hossein Ardebili avait déclaré que les sanctions américaines pourraient rapidement provoquer une hausse du baril jusqu’à 100 dollars.
En ce qui concerne les perspectives de l’Opep, les actions de Riyad et de Washington seront certainement évoquées par le comité ministériel de l’organisation qui doit se réunir au début de l’automne. «En septembre, nous verrons quel sera le rapport entre la production et la consommation en tenant compte de tous les facteurs», a promis le ministre russe de l’Énergie Alexandre Novak.
Source: Sputnik