Bagdad multiplie les réunions de crise et les annonces de mesures pour répondre à la contestation sociale agitant depuis deux mois Bassora, dans le sud de l’Irak. Mais pour les manifestants, « ces blagues qui se répètent » sont insuffisantes.
« Ces communiqués et ces réunions ne pourront jamais apaiser les habitants de Bassora », estime Montazer al-Karkouchi, coordinateur du Rassemblement des jeunes de Bassora, où ont débuté en juillet des manifestations contre la corruption et la déliquescence des services publics.
Douze manifestants sont morts dans cette ville cette semaine, et des foules ont incendié de nombreux bâtiments gouvernementaux, ainsi que le consulat d’Iran et les sièges de quasiment tous les partis et groupes armés de la ville.
M. Karkouchi, militant de 30 ans, n’a pas même regardé la séance parlementaire extraordinaire sur la crise, retransmise samedi dans l’après-midi à la télévision publique.
Ce qu’il faut aux habitants de Bassora, ce sont « des mesures concrètes à la mesure de la situation », dit-il à l’AFP.
La situation, déjà critique au début du mouvement, n’a fait qu’empirer, assurent les habitants, unanimes.
« L’eau est toujours salée »
Aux revendications de départ –la fin des pénuries d’eau et d’électricité, la création d’emplois et le limogeage des politiciens corrompus–, est venue s’ajouter une demande bien plus pressante encore.
Depuis la mi-août, la population exige d’obtenir une eau propre à la consommation: celle distribuée par les autorités, polluée par l’eau de mer est devenue salée, causant l’hospitalisation de plus de 30.000 personnes, victimes d’intoxications.
Malgré les promesses de plans d’urgence de milliards de dollars et d’investissements massifs faites en juillet, « Bassora n’a jamais reçu d’argent, aucun projet n’a été lancé et l’eau est toujours salée », assure M. Karkouchi.
Quand les habitants excédés sont descendus par milliers dans les rues pour réclamer leur part des juteux revenus du pétrole –7,7 milliards de dollars en août–, 12 manifestants ont été tués, rappellent les militants.
Le Premier ministre, « unique responsable », devrait « déférer immédiatement devant des tribunaux militaires les commandants des forces de sécurité », estime à l’AFP M. Karkouchi.
« Ce sont eux qui ont mis le feu aux poudres », poursuit le militant qui, comme d’autres, ne manifestera pas samedi afin de se désolidariser des violences.
Samedi, la réunion extraordinaire du Parlement avec le chef du gouvernement et plusieurs de ses ministres à Bagdad « n’a pas fait bouger d’un pouce la situation », note de son côté Walid al-Ansari, qui chapeaute l’association des familles de victimes des manifestations.
Pour cet Irakien de 36 ans, il faut aujourd’hui « un changement radical ». Si les responsables « voulaient montrer qu’ils sont de bonne foi, ils auraient tous présenté leur démission », dit-il.
« Cela fait 15 ans qu’ils ne font rien pour le peuple », ajoute cet habitant de la province côtière, l’une des plus riches en pétrole et qui a eu l’un des plus forts taux d’abstention aux législatives de mai.
« Vous êtes au courant? »
Au Parlement à Bagdad, les autorités centrales et locales se sont renvoyées la balle, devant des députés qui ont parfois dû appeler au calme, tant l’échange entre le Premier ministre Haider al-Abadi et le gouverneur de Bassora, Asaad Al-Eidani, était houleux.
Ce dernier, dont les bureaux et la résidence ont été incendiés par les manifestants cette semaine, s’est emporté.
« Bassora est en feu, vous êtes au courant? Je vous écoute et j’ai l’impression que tout va bien à Bassora », a-t-il lancé. « Si c’était le cas, pourquoi serions-nous tous assis ici? ».
Cette année, « nous ne pouvons pas payer 160 milliards de dinars de dette », soit 120 millions d’euros, car Bagdad n’a « pas débloqué les sommes allouées au budget 2018 », a affirmé cet homme d’affaire aux commandes de la deuxième province la plus peuplée du pays depuis un an.
M. Abadi l’a aussitôt accusé de se servir « du Conseil provincial comme d’un bouclier » pour cacher son propre échec.
Pour les militants, il en faut bien plus: « on ne veut plus que Bassora ne soit vu que comme un immense baril de pétrole », martèle Walid al-Ansari.
Source: AFP