Quand le Président américain Donald Trump déclare que des «éléments indisciplinés » pourraient être derrière l’assassinat du journaliste Khashoggi à l’intérieur du consulat saoudien à Istanbul et que le Roi Salman Ben Abdelaziz lui a affirmé qu’il ne savait rien, cela signifie que la recherche d’un bouc-émissaire a commencé et qu’un arrangement entre les Etats-Unis, la Turquie et l’Arabie saoudite a été trouvé afin de refermer ce dossier, sans doute pour toujours.
Le fait que l’Arabie saoudite mène une enquête interne est un premier aveu officiel
L’annonce par le Roi Salman qu’il a demandé une enquête interne autour de ce crime est un « aveu » de l’implication d’agents saoudiens et une volte-face par rapport aux 13 jours précédents où l’on niait tout rôle saoudien et l’on assurait que Khashoggi avait quitté le consulat vingt minutes après y être entré, tout en prétendant se faire du souci pour lui.
Nous pensons que ce revirement saoudien est dû aux informations transmises par un responsable et une source du ministère de l’intérieur turc relayées par Reuters comme quoi les services de sécurité turcs disposeraient d’un enregistrement sonore confirmant que Khashoggi a été tué dans le consulat. Il est possible qu’une copie de cet enregistrement ait été envoyée en Arabie saoudite et aux Etats-Unis.
Le Roi Salmane Ben Abdelaziz a dit la vérité quand il a affirmé au Président américain qu’il ne savait rien de l’affaire, car le véritable dirigeant du Royaume est le Prince héritier Mohammed Ben Salmane. C’est donc lui qui est pointé du doigt et son entourage. Qui à l’intérieur des services de sécurité pourrait commettre un tel crime dans le consulat saoudien à l’encontre d’un journaliste célèbre et envoyer une équipe composée de 15 hommes, à part le premier décisionnaire dans le Royaume actuellement ? Celui qui a pris la décision d’attaquer le Yémen ne va pas hésiter longtemps avant d’assassiner un journaliste qui est un ancien de la maison.
L’intervention du Roi Salmane, ou plutôt l’intervention en son nom , alors que le Royaume est en difficulté est devenue habituelle : quand l’Arabie saoudite et son Prince héritier ont été accusés de soutenir la Transaction du siècle et la judaïsation de Jérusalem, qui en est un des principaux éléments, le Roi d’Arabie saoudite a publié un communiqué confirmant que son pays restait fidèle à l’initiative de paix arabe pour un Etat palestinien indépendant avec Jérusalem comme capitale, et qu’il était sur la même ligne que les Palestiniens. Ce scénario est en train de se répéter à la lettre.
La question est maintenant de savoir qui sera le « bouc-émissaire » sacrifié à la place du Roi saoudien, du Prince héritier et des dirigeants du Royaume ? Quel est le prix à payer à la Turquie et aux Etats-Unis pour étouffer ce crime ?
La transaction de Lockerbie
Pour répondre à cette question, du moins en partie, il faut revenir à l’affaire de Lockerbie et la transaction qui a été trouvée pour sauver le Colonel Mouammar Khaddafi et lever le terrible blocus de la Libye. Il est d’ailleurs paradoxal que le Royaume d’Arabie saoudite et le prince Bandar Ben Sultane, son ambassadeur à Washington de l’époque, ait été parmi les principaux artisans de cette transaction.
J’ai rencontré en personne le principal accusé, ou plutôt le « bouc-émissaire » libyen de cette affaire, Abdelbaset Al-Megrahi. C’était un agent des services de sécurité libyens, qui a été condamné à la prison à vie pour avoir mis une bombe dans une des valises de l’avion de la Pan Am qui a explosé au-dessus de l’Ecosse et fait environ 300 victimes. Al-Megrahi, qui m’avait invité à lui rendre visite dans sa prison à Glasgow, m’a affirmé qu’il n’avait rien à voir avec ce crime. Il souffrait d’un cancer de la prostate en phase terminale et n’avait plus que quelques mois à vivre. Il s’est alors mis à pleurer à chaudes larmes, comme jamais je n’ai vu quelqu’un pleurer.
Al-Megrahi m’a dit qu’il aurait assez de courage pour dire qu’il avait commis ce crime car il n’avait plus rien à perdre mais m’a affirmé qu’il avait été sacrifié pour sauver d’autres personnes. Abdel Rahman Shalgham, ancien Ministre libyen des affaires étrangères et camarade de classe, m’a confirmé quelques semaines plus tard que la Libye n’avait rien à voir avec Lockerbie et qu’ils avaient payé environ trois milliards de dollars en compensation aux Etats-Unis afin que le blocus soit levé. Cet homme est toujours vivant…
Que va obtenir le Président américain en échange de sa collaboration ?
Pour la troisième fois, nous répétons que les transactions passent avant les droits de l’homme, notamment pour un président comme Trump, qui ne jure que par les commissions et ne sait rien faire d’autre que du chantage aux pays du Golfe pour leur voler leurs milliards.
Dans toute l’histoire des Etats-Unis, on n’a jamais vu un Président faire du chantage de manière aussi effrontée et déclarer à quatre reprises en quelques jours que les gouvernements de ces pays ne resteraient pas plus de deux semaines en place sans la protection américaine. Il est même allé encore plus loin en déclarant que l’Iran occuperait l’Arabie saoudite en 12 minutes sans cette protection.
Nous ne connaissons pas la somme que va obtenir Trump pour sortir le gouvernement saoudien de ce bourbier, mais elle devrait dépasser les centaines de milliards et il ne fait aucun doute que Pompeo, qui est parti pour Riyad aujourd’hui, apporte la « facture» détaillée dans ses valises.
Que Dieu fasse miséricorde à Khashoggi, vivant ou mort. Le prochain scoop qui devrait faire la une des journaux concerne la découverte de son cadavre et les circonstances de sa mort dans le consulat saoudien…
Par Abdel Bari Atwan : journaliste britannique d’origine palestinienne rédacteur en chef de l’édition électronique arabophone Ar-ray al-Yaoum.
Source: Alterinfo