Trois ans après avoir rallié le « califat » du groupe jihadiste Etat islamique (EI) en Syrie, Sofiane, un fabricant de chaussures orthopédiques, plaide aujourd’hui pour rentrer chez lui en Allemagne, avec sa famille.
Comme cet Allemand converti à l’islam, des centaines d’étrangers sont retenus par les Unités de protection du Peuple (YPG), la principale milice kurde dans le pays en guerre soutenue par Washington et devenue la colonne vertébrale de la lutte antijihadistes.
« Je veux juste retrouver mon ancienne vie », lance Sofiane, son nom pris après sa conversion, dans un anglais quasi-parfait, mâtiné d’arabe.
Originaire de Stuttgart (sud-ouest), l’Allemand âgé de 36 ans a été sélectionné par les YPG pour un entretien avec l’AFP, dans un centre de la force kurde à Rmeilane, une ville du nord-est syrien.
Détenu depuis un an et refusant de donner son vrai nom, celui d’avant sa conversion, il assure n’avoir jamais combattu ni tué et dit avoir continué à exercer sa profession d’origine.
Les « jihadistes étrangers » comme Sofiane constituent un véritable casse-tête pour les autorités kurdes qui refusent de les juger, estimant que ce fardeau revient à leurs pays d’origine qui doit les rapatrier.
Mais les pays occidentaux, encore sous le choc d’attentats commis par l’EI sur leur sol, sont réticents, craignant des réactions hostiles de l’opinion publique.
« Si je peux rentrer en Allemagne, et si l’Allemagne veut me punir, je vais l’accepter et rester en prison », assure Sofiane à la barbe finement taillée, qui parlait en présence d’un combattant kurde.
« Tout le monde fait des erreurs. J’étais naïf », lâche-t-il, vêtu d’un pull à capuche.
« Je n’ai tué personne »
En juin 2014, l’EI a proclamé un « califat » sur les vastes régions conquises en Syrie et en Irak.
Un an plus tard, le jeune Allemand entamait un long périple à travers l’Italie et la Turquie, pour rallier le groupe jihadiste en mars 2015 dans une Syrie morcelée et ravagée par la guerre.
Dès son arrivée, il est maintenu en détention par l’EI pendant des semaines avec des étrangers venus d’Australie, de Russie et d’Asie centrale. Finalement, il est libéré et reçoit un entraînement militaire d’un mois, avant d’être assigné à un bataillon.
« Je n’ai pas combattu. Je n’ai jamais tué personne de ma vie », insiste toutefois Sofiane.
Il s’installe à Raqa (nord), alors considérée comme la « capitale » de l’EI en Syrie. Il assure avoir travaillé dans un hôpital, grâce à ses 12 années d’expérience dans la fabrication de chaussures orthopédiques.
« Ils m’ont appris à fabriquer des prothèses. Jusqu’à mon arrivée chez les YPG, c’est ce que je faisais. Des prothèses et des chaussures orthopédiques », dit-il.
Pendant son séjour en Syrie, Sofiane a épousé une Syrienne de la province d’Idleb (nord-ouest), et le couple a un petit garçon.
Quand une coalition arabo-kurde soutenue par Washington a encerclé Raqa, tombée en octobre 2017, la famille a fui et trouvé refuge dans la ville de Mayadine (est).
La cavale a ensuite repris, cette fois pour échapper à une offensive du régime syrien. Tous trois ont fini par se rendre, à un checkpoint des forces kurdes.
Sa femme et son fils vivent depuis dans un camp qui accueille les familles des jihadistes. Lors d’une récente visite, son petit garçon ne l’a pas reconnu, se plaint Sofiane.
« Clémence »
Cible de multiples offensives, le « califat » de l’EI s’est ensuite écroulé, les jihadistes ne contrôlant plus aujourd’hui que quelques secteurs en Syrie.
Quelque 900 jihadistes présumés ainsi que 550 femmes et environ 1.200 enfants, tous étrangers, sont aux mains des forces kurdes, selon des responsables kurdes.
Parmi eux, plusieurs Allemands, dont Mohammad Haydar Zammar, un jihadiste d’origine syrienne accusé d’avoir aidé à fomenter les attentats du 11 septembre 2001.
Sofiane rêve de tout recommencer à zéro, peut-être même reprendre les études ou se lancer à son compte. Mais, conscient qu’en Allemagne la prison l’attend s’il est rapatrié, il espère que les autorités se montreront « clémentes ».
« Je ne sais pas de quelle peine je vais écoper. J’espère que la sentence ne sera pas trop longue. Ma femme et mon fils me manquent déjà ».
Sofiane dit avoir écrit à ses parents. Ils lui ont répondu qu’ils étaient soulagés de le savoir en vie.
Ils ont aussi envoyé à leur belle-fille et leur petit-fils un peu d’argent et la photo d’un vélo déjà acheté pour le petit.
Source: AFP