A l’approche du rétablissement par Washington d’une nouvelle série de sanctions contre l’Iran, les tankers iraniens se font de plus en plus discrets pour pouvoir continuer à vendre leur pétrole, soulignent des analystes.
Depuis fin octobre, ces navires éteignent leurs transpondeurs pour éviter les systèmes de localisation. La seule manière de suivre leur progression est désormais via l’imagerie satellite, expliquent des experts du site TankerTrackers.com spécialisé dans la surveillance des mouvements des pétroliers.
« C’est la première fois que je vois un black-out total. C’est unique », souligne à l’AFP le cofondateur de TankerTrackers, Samir Madani, avant l’entrée en vigueur lundi des sanctions contre le secteur pétrolier iranien.
« L’Iran dispose d’une trentaine de navires dans le Golfe », selon la cofondatrice de TankerTrackers, Lisa Ward. « Nous continuons à les surveiller visuellement ».
D’énormes progrès ces dernières années dans l’imagerie satellite, disponible commercialement, ont permis à des sociétés comme TankerTrackers de surveiller quotidiennement la progression des navires. Jusque-là on ne pouvait obtenir de telles images qu’une fois par semaine.
L’Iran espère que ces méthodes pour rendre ses tankers difficiles à suivre, lui permettront de continuer à écouler son pétrole après le 5 novembre, date à laquelle les Etats-Unis rétabliront la dernière série de sanctions qui avaient été levées avec la signature de l’accord nucléaire international en 2015, abandonné en mai par Washington.
Malgré ces précautions, les ventes de pétrole iranien ne garderont pas forcément le même niveau qu’avant les sanctions, dit Joel Hancock, analyste pour la banque Natixis.
Les systèmes de suivi de pétroliers « surveillent les exportations, mais peut-être pas les ventes », souligne-t-il, ajoutant que les navires pourraient par exemple être seulement en train de transférer du pétrole vers des structures de stockage en Chine ou ailleurs.
Pour contourner les sanctions, l’Iran a aussi recours au stockage du pétrole dans des tankers en mer. Il l’avait déjà fait sous les sanctions d’avant-2015.
Selon TankerTrackers, six navires d’une capacité de 11 millions de barils se trouvant en mer sont utilisés comme réservoirs flottants, afin de permettre des livraisons rapides.
Marché opaque
Même si l’on ne dispose que rarement de chiffres précis dans l’opaque marché pétrolier, la plupart des experts affirment que les exportations iraniennes ont chuté de 2,5 millions de barils par jour en avril à quelque 1,6 million bj en septembre.
Des pays étroitement liés aux Etats-Unis ont vite dû presque entièrement interrompre leurs importations de l’Iran en raison des sanctions, comme la Corée du Sud et le Japon.
Selon Washington, huit pays seront néanmoins autorisés à continuer d’acheter du pétrole iranien pendant au moins six mois supplémentaires. Leurs noms seront connus lundi.
L’Union européenne a elle annoncé la mise en place d’un « véhicule spécial » (Special purpose vehicle – SPV), un système de troc devant permettre à l’Iran de continuer à vendre du pétrole.
Mais « le SPV est aujourd’hui mort-né. Il ne peut être utilisé pour des quantités sérieuses de pétrole », relève Henry Rome, un spécialiste des sanctions contre l’Iran à l’Eurasia Group basé à Washington.
Gros clients
Parmi les acheteurs du brut iranien, deux gros clients: la Chine et l’Inde.
La Chine, plus grand importateur de pétrole iranien, semble pour l’instant prête à coopérer avec les Etats-Unis sur les sanctions. Pour des observateurs, cela s’explique par les inquiétudes suscitées à Pékin face à la guerre commerciale Chine-Etats-Unis.
A l’époque des sanctions d’avant 2015, Pékin avait effectué toutes ses transactions avec Téhéran via la banque Kunlun, contrôlée par le géant énergétique chinois China National Petroleum Corporation (étatique) –épargnant ainsi le reste du secteur bancaire.
« Mais les banques chinoises semblent aujourd’hui avoir compris l’immense risque qu’elles encourent et sont beaucoup plus prudentes », souligne Henry Rome.
Des informations non confirmées ont fait état d’une interruption discrète des transactions avec l’Iran par la Bank of Kunlun, qui avait été sanctionnée en 2012 par les Etats-Unis.
La Chine pourrait cependant chercher de nouvelles voies pour maintenir le flux de pétrole, estime M. Rome. « Ils vont vraisemblablement ouvrir un autre canal, peut-être une autre banque, et continuer à importer des quantités considérables, mais il reste beaucoup de travail avant d’en arriver là ».
L’Inde va elle aussi chercher des mécanismes mais cela ne sera pas aussi simple, prévient-il. Avant 2015, « les sanctions avaient été imposées progressivement sur une longue période. Cette fois-ci, il y a une certaine panique, car des réductions substantielles sont exigées dans l’immédiat. En outre, les systèmes bancaires sont aujourd’hui beaucoup plus interconnectés ».
Même s’il peut continuer à vendre son pétrole dans la plus grande discrétion, l’Iran aura du mal à déposer l’argent dans ses banques.
Pour M. Rome, « l’Iran est un adversaire redoutable, bien entraîné dans les différentes techniques pour pouvoir continuer à vendre du pétrole et brouiller les pistes, mais cela ne constitue pas une panacée à tous les maux ».
Source: AFP