Deux cent dix-huit Palestiniens tués. Un mort, côté israélien. Depuis le 30 mars dernier, les balles de snipers de Tsahal pleuvent chaque vendredi à la frontière entre la bande de Gaza et Israël, pour empêcher des milliers de manifestants palestiniens de s’approcher de la barrière de sécurité qui sépare l’enclave palestinienne de l’entité sioniste.
À travers cette « Marche du retour », les Gazaouis entendent retourner sur la terre dont leurs ancêtres ont été expulsés à l’issue de l’usurpation de la Palestine en 1948.
Mais ils comptent avant tout sur cette mobilisation pour obtenir la levée du double blocus économique et sécuritaire israélo-égyptien qui a contribué à faire de leur minuscule territoire l’un des plus pauvres au monde. Chômage record, pénurie d’électricité et eau polluée, « Gaza est en train d’imploser », s’est alarmé le mois dernier Nickolay Mladenov, émissaire de l’ONU pour le Proche-Orient.
Sniper de l’armée israélienne entre 2005 et 2008 en Cisjordanie, à Gaza et à la frontière libanaise, cet ancien soldat de Tsahal est aujourd’hui membre de l’ONG Breaking the Silence, visant à éclairer le public israélien et la communauté internationale sur les pratiques des forces d’occupation. Dans une interview au Point, ce militant israélien de 32 ans donne sa vision des consignes données aux soldats de Tsahal.
« L’ordre est d’instiller la peur chez les Palestiniens. De leur donner le sentiment qu’ils sont chassés, que Tsahal peut être partout, tout le temps », affirme-t-il.
Le Point : L’armée israélienne affirme n’avoir d’autre choix que d’employer la force contre les manifestations de Gaza. Pourquoi cette version ne vous convainc-t-elle pas ?
Nadav Weiman: Ceci est une version assez naïve de la part de l’armée israélienne. En réalité, le concept de sécurité d’Israël est que tous les Palestiniens devraient tout le temps courber l’échine. Qu’ils soient bons ou mauvais, jeunes ou âgés, ils doivent tous passer chaque jour par des checkpoints (points de passage de l’armée, NDLR), tous sont réveillés en pleine nuit par des soldats israéliens pour que leur maison soit fouillée.
Qu’entendez-vous par là ?
Au sein des forces de défense israélienne, nous pratiquons des opérations de « mapping ». Nous regardons la carte (de la Cisjordanie, NDLR) et choisissons plusieurs rues. Puis nous débarquons entre trois et quatre heures du matin. Toute la famille est placée contre le mur. On demande alors au père les noms des membres de la famille et ce qu’ils font. Et nous inscrivons toutes ces informations sur une feuille de papier. Au dos de celle-ci, on reproduit en dessin le plan des lieux, puis on change de maison. Et ainsi de suite… Nous avons quatre équipes qui patrouillent pendant quatre heures, ce qui nous donne le temps de contrôler tout le quartier. Pour ma part, mon rôle était de prendre des photos des familles et de recueillir les renseignements. Or, en rentrant à la base, mon commandant me demandait à chaque fois de jeter le papier.
Pourquoi cela ?
Parce que, en réalité, on ne cherche personne. L’ordre est d’instiller la peur chez les Palestiniens. De leur donner le sentiment qu’ils sont chassés, que Tsahal peut être partout, tout le temps, et qu’on est à la recherche de quelqu’un. Les opérations de « mapping » font partie de la routine quotidienne, car les Palestiniens doivent comprendre « qui est le boss ». Voilà comment on pense que l’on ramènera la sécurité en Israël, en faisant en sorte que les Palestiniens baissent tout le temps la tête. Quand tu vois les choses de l’intérieur, tu te rends compte que notre but est de contrôler les Palestiniens, pas la sécurité d’Israël. Après 51 ans d’occupation, nous n’avons toujours pas de sécurité.
« Pour moi, 5 000 personnes qui manifestent à Gaza ne mettent pas en danger Israël ».
Avec Le point