A la veille du Forum de Paris pour la paix, Radhya Almutawakel, présidente de l’ONG yéménite de défense des droits humains Mwatana, a jugé vendredi auprès de l’AFP « très regrettable » que la France, « pays civilisé », ait « choisi d’alimenter » la guerre au Yémen « en continuant de vendre des armes à l’Arabie saoudite ».
QUESTION: Avant le Forum de la paix souhaité par Emmanuel Macron, quel message adressez-vous à la France lors de votre passage à Paris ?
REPONSE: La France peut porter une voix très positive et peut pousser à un accord politique au Yémen, à ce que les parties au conflit respectent les lois humanitaires internationales et cessent de viser des civils. Mais ce que je vois jusqu’à présent, c’est que la France choisit d’alimenter la guerre en continuant de vendre des armes à certaines parties au conflit, en particulier à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis.
C’est très regrettable parce que la France est un pays civilisé et développé. D’un pays comme la France, les Yéménites s’attendraient plutôt à recevoir de l’aide dans le domaine technologique ou de l’éducation, et pas des armes…
Je pense que (le président français Emmanuel) Macron peut augmenter la pression afin d’aboutir à un accord de paix (…), inciter les parties prenantes à prendre des mesures pour que la situation soit moins épouvantable: comme rouvrir les aéroports et les ports y compris l’aéroport de Sanaa (qui est fermé et n’est utilisé que de façon ponctuelle par l’ONU, NDLR), faire que les gens puissent toucher leurs salaires, faire libérer les prisonniers, permettre à la société civile et aux médias d’avoir plus d’espace d’expression.
Je voudrais aussi demander aux Français: est-ce que cela ne vous gêne pas de profiter d’emplois et de retombées économiques au prix du sang de personnes innocentes ?
Q: Mercredi, 35 ONG yéménites et internationales ont affirmé que « 14 millions » de personnes étaient « menacées par la famine » dans votre pays, quelle est la situation que vous observez sur le terrain ?
R: Aujourd’hui, 22 millions de Yéménites ont besoin de protection et d’aide, c’est à dire les trois quarts de la population, c’est presque la totalité d’entre nous… Il ne s’agit pas d’une catastrophe naturelle, c’est un désastre causé par l’homme et par toutes les violations perpétrées par les parties au conflit.
Les Yéménites essaient de survivre, ils vivent entre la vie et la mort. Les gens savent que la mort peut les frapper à tout moment…
Des millions de Yéménites ne reçoivent plus leurs salaires, et la famine est utilisée comme une arme de guerre. Les Yéménites sont affamés par les parties prenantes au conflit.
Ce que j’observe autour de moi, c’est que beaucoup de Yéménites ont perdu toute source de revenus; même les gens qui appartenaient à la classe moyenne, ils ont vendu leurs logements, leurs voitures, et maintenant, ils sont pauvres.
Donc imaginez la situation dans laquelle sont les Yéménites qui étaient déjà pauvres avant la guerre…
Q: Faut-il accroître l’aide internationale au Yémen ?
R: L’aide humanitaire ne peut pas être la solution au Yémen. La situation ne peut être améliorée qu’en arrêtant la guerre et en mettant fin à l’intervention militaire. Les Etats (dans le monde) ne devraient pas agir comme des ONG humanitaires, parce qu’ils peuvent faire bien plus, ils peuvent arrêter la guerre.
L’aide humanitaire est cruciale, nombre de Yéménites en dépendent complètement, mais c’est une solution très temporaire, on ne peut continuer à nourrir les gens comme ça éternellement.
Les Yéménites veulent retrouver une vie normale, et leurs emplois, afin de se nourrir par eux mêmes.
Source: AFP