Face à des talibans mieux armés que jamais, les forces de sécurité afghanes enregistrent des pertes record. Le moral des troupes est au plus bas, les désertions sont légion et le recrutement de plus en plus difficile.
Après avoir perdu d’innombrables camarades dans les féroces combats face aux talibans et s’être fait voler son salaire par ses supérieurs, le soldat Beg en a assez: il va quitter l’armée. Et il n’est pas le seul.
« Il y a eu des jours où j’ai perdu cinq à dix camarades. J’ai survécu à deux sièges talibans de notre unité et Dieu m’a aidé à en réchapper », affirme ce soldat de 26 ans basé dans la province de Jowzjan (Nord).
« Je ne me réengagerai pas. J’irai chercher un travail… si je survis jusque là », poursuit-il, fataliste.
Depuis le début de l’année 2015, quand les forces afghanes ont pris le relais des troupes de combat de l’Otan dirigées par les Etats-Unis, près de 30.000 soldats et policiers afghans ont été tués, a révélé ce mois-ci le président Ashraf Ghani.
Un chiffre qui équivaut à 20 morts par jour, beaucoup plus élevé que tout ce qui avait été reconnu jusqu’ici.
Au troisième trimestre 2018, le nombre de militaires et de policiers déployés dans le pays est tombé à 312.328, soit près de 9.000 de moins qu’il y a un an, le niveau le plus bas depuis 2012, selon l’Inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (Sigar).
Cette baisse s’explique par le fait que « des soldats ont été tués au combat, d’autres se sont absentés sans permission ou ont refusé de se réengager », explique le SIGAR, un organisme public américain, dans un récent rapport.
« Tous les soirs »
Depuis 2017, à la demande de Kaboul, le montant des pertes humaines des forces afghanes est tenu secret. Mais la mission de l’Otan en Afghanistan, Resolute support (RS), a récemment reconnu auprès du Sigar que le bilan cet été était le pire jamais enregistré.
« Chaque jour, nous voyons nos camarades se faire tuer », confirme Ashiqullah, 24 ans, policier de la province de Nangarhar (est), bastion de l’EI qui connaît également une forte présence talibane.
« Nous n’avons pas l’équipement adéquat, se lamente-t-il. La plupart de mes amis ont été tués ou ont quitté le service. »
Les forces afghanes et américaines affirment que les insurgés subissent également de lourdes pertes. Mais celles-ci ne semblent pas avoir érodé leur désir de combattre, alors même que la communauté internationale intensifie ses efforts de paix.
« Ils nous attaquent tous les soirs », peste Enayatullah, 29 ans, policier de la province de Ghazni (sud-est) qui a été blessé à deux reprises par des mines.
« Mon service dans la police se termine dans quelques jours et je ne resignerai jamais », assure-t-il.
Dans un pays où le chômage est endémique, servir dans les forces de sécurité est souvent la seule option pour beaucoup d’hommes de subvenir aux besoins d’une grande famille.
Mais Salman, 27 ans, un policier de la province de Faryab (nord-ouest), se plaint de ne pas avoir été payé depuis trois mois. Malgré un moral des troupes « plutôt bas », « nous n’avons pas d’autre choix que de continuer à nous battre », souffle-t-il.
« Prêt à me sacrifier »
« Si le taux de pertes continue ainsi, le jour viendra où nous n’aurons plus personne à recruter », met en garde l’analyste militaire Atiqullah Amarkhail.
Alors que les désertions se multiplient chaque année au sein des forces de sécurité afghanes, « beaucoup de familles ne permettront pas à leurs fils de s’enrôler », note-t-il.
Interrogé par l’AFP, le chef du recrutement du ministère de l’Intérieur, Mohammad Daud, reconnaît que le nombre de tués au combat a rendu plus ardue l’embauche de policiers dans certaines régions.
Le nombre de postulants a fondu de 80% cette année dans un centre de recrutement de la police de la province de Balkh (nord), observe un de ses responsables sous couvert d’anonymat.
Un autre centre, à Jalalabad, capitale de la province de Nangarhar, affirme au contraire que le nombre de conscrits est resté élevé.
Le porte-parole du ministère de la Défense, Jawed Ahmad Ghafor, assure de son côté que les enrôlements dans l’armée n’ont « pas diminué du tout ».
S’il n’en reste qu’un ce sera en tout cas Fazlullah, un policier du Nangarhar, âgé de 24 ans, dont le rêve a toujours été de « protéger et défendre » l’Afghanistan. « Je n’ai pas rejoint la police pour avoir une vie paisible, lance-t-il. Je suis prêt à me sacrifier pour mon pays. »
Source: AFP