Les Émirats arabes unis auraient recruté des anciens de la Légion étrangère pour mener à bien des assassinats ciblés. Visés : des hommes politiques et des religieux.
Les Émirats arabes unis (EAU) ont-ils recruté des mercenaires français pour mener une campagne d’assassinats ciblés au Yémen ? C’est le grave soupçon qui motive la plainte avec constitution de partie civile déposée le jeudi 21 mars auprès du tribunal de grande instance de Paris par le cabinet d’avocats Ancile, mandaté par l’association Alliance internationale pour la défense des droits et des libertés.
Dans un article du 16 octobre 2018, le site d’information américain BuzzFeed révélait que les Émirats auraient fait appel à Spear Operations, un prestataire de services de sécurité basé aux Etats-Unis, pour constituer une équipe de combattants aguerris. Objectif: éliminer des responsables politiques et des personnalités religieuses proches du parti yéménite Al Islah, le Congrès yéménite pour la réforme.
1,5 million de dollars et des primes
C’est un homme bien connu des diplomates et des services étrangers qui aurait joué les intermédiaires : Mohammed Dahlan, ancien directeur du redoutable Service palestinien de sécurité préventive, réfugié aux EAU depuis 2011 et désormais très proche conseiller de Mohammed Ben Zayed Al-Nahyan, l’homme fort de cet Etat fédéral.
A la fin de 2015, Spear Operation aurait donc mis sur pied une troupe d’une douzaine d’anciens soldats, dont trois vétérans des forces spéciales américaines et neuf anciens de la Légion étrangère française.
Selon BuzzFeed, les mercenaires auraient découvert les détails de leur mission une fois à bord de l’avion Gulfstream qui venait de décoller de l’aéroport de Teterboro, dans le New Jersey.
Vingt-trois fiches comprenant le nom et la photo de leurs cibles, ainsi que des informations sur chacune d’elle, leur auraient alors été distribuées. Prix de leurs services: 1,5 million de dollars, auquel devaient s’ajouter des primes pour chaque assassinat réussi.
« Escalade dans l’horreur »
« Dès lors, indique la plainte que L’Express a pu consulter, les impératifs de lutte contre l’impunité des criminels de guerre justifient l’ouverture d’une enquête à l’encontre des mercenaires vraisemblablement français, employés par une société privée américaine, qui auraient commis des crimes de guerre, dans le cadre du conflit au Yémen, ainsi qu’à l’encontre de Mohammed Dahlan en tant que complice de ces crimes. »
En effet, le droit pénal français réprime l’atteinte à la vie des personnes ne prenant pas part aux hostilités, la qualifiant de crime de guerre, ainsi que la participation à une activité de mercenaire.
Certes, la Légion étrangère, comme son nom l’indique, recrute des volontaires de tous les pays. Ceux-ci, au terme de leur engagement, ont la possibilité de prendre la nationalité française. Sachant qu’ils sont 35% à faire ce choix, Me Joseph Breham, du cabinet Ancile, évalue à 99%, démonstration statistique à l’appui, la probabilité que l’un au moins des neuf légionnaires recruté par Spear Operation ait opté pour un passeport français.
La procédure engagée en France par Ancile Avocats conforte la saisine par le même cabinet de la Cour pénale internationale (CPI), en novembre 2017, au sujet du recours par les EAU à des soldats de fortune sur le champ de bataille yéménite.
« Les éléments qui nous amènent aujourd’hui à saisir les juridictions françaises nous permettent également de soumettre une communication supplémentaire à la CPI afin de compléter celle de 2017, précise Me Breham. Seule cette cour détient la possibilité de mettre un terme à l’impunité des Emiratis à l’origine de cette escalade dans l’horreur: des assassinats ciblés de civils pacifiques par des soldats privés payés au cadavre. »
57 000 victimes en quatre ans
La guerre saoudo-émirati-US menée contre le Yémen depuis mars 2015 et les exactions subies par les populations civiles ont conduit Ancile Avocats à se tourner vers la justice française à deux reprises déjà.
En avril 2018, le cabinet a déposé une plainte pour « complicité de tortures » contre Mohamed Ben Salman, le prince héritier d’Arabie Saoudite, à la tête de la coalition d’une dizaine de pays arabes qui participe depuis quatre ans à la guerre contre le Yémen. En novembre dernier, c’est son allié émirati Mohammed Ben Zayed Al-Nahyan qui faisait à son tour l’objet d’une plainte pour « complicité de crimes de guerre ».
Depuis les premières frappes aériennes menées par la coalition, les 25 et 26 mars 2015, 57 000 personnes auraient été victimes de ce conflit, selon le rapport Global humanitarian overview 2019 de l’Organisation des Nations Unies. Selon le Secrétaire général des Nations Unies, le Yémen est « la pire crise humanitaire au monde ».
Avec L’express