Comment freiner la destruction de la nature, vitale pour l’humanité: scientifiques et gouvernements se réunissent la semaine prochaine pour alerter sur le sombre état des écosystèmes de la planète bouleversés, comme le climat, par l’assaut des activités des hommes.
L’exercice n’avait pas été fait depuis près de 15 ans: 150 experts de 50 pays ont travaillé pendant trois ans, s’emparant de milliers d’études sur la biodiversité, pour rédiger une évaluation mondiale très attendue des écosystèmes et des services qu’ils rendent à l’homme.
Leur rapport de 1.800 pages sera soumis à partir de lundi à Paris aux 130 Etats membres de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui devront discuter ligne par ligne et adopter le « résumé pour les décideurs », sur le modèle du Giec pour le climat.
« Le patrimoine environnemental mondial — la terre, l’océan, l’atmosphère et la biosphère — dont l’humanité dans son ensemble dépend est en train d’être altéré à un niveau sans précédent, avec des impacts en cascade sur les écosystèmes locaux et régionaux », dit le projet de résumé obtenu par l’AFP, qui peut être modifié selon ce que les Etats voudront mettre en avant.
Eau potable, air, insectes pollinisateurs, forêts absorbant le CO2… Le constat est tout aussi alarmant que le dernier rapport du Giec qui en octobre avait relevé le fossé grandissant entre les émissions de gaz à effet de serre et l’objectif de limiter le réchauffement climatique et ses effets catastrophiques.
Le texte fait d’ailleurs le lien entre ces deux menaces majeures, identifiant certaines causes similaires, en particulier les pratiques agricoles et la déforestation, responsables d’environ un quart des émissions de CO2 mais aussi de graves dommages directs aux écosystèmes.
Derrière cette utilisation des terres et l’exploitation directe des ressources (pêche, chasse), premiers coupables des atteintes à la nature, arrivent ensuite le changement climatique, les pollutions de toutes sortes et les espèces invasives.
6e extinction massive
Résultat, « une accélération rapide imminente du taux d’extinction des espèces », selon le projet de synthèse: sur les 8 millions d’espèces estimées sur la planète (dont 5,5 millions d’espèces d’insectes), « un demi-million à un million d’espèces devraient être menacées d’extinction, dont beaucoup dans les prochaines décennies ».
Ces projections correspondent aux mises en garde de nombreux scientifiques qui estiment que la Terre est au début de la 6e « extinction de masse », la première depuis que l’homme est arrivé sur Terre.
Mais plusieurs sources proches des négociations ont regretté que le projet de synthèse ne soit pas si clair, en ne mentionnant pas cette 6e extinction.
« Il n’y a aucun doute sur le fait que nous allons vers la 6e extinction de masse, et la première causée par les hommes », déclarait pourtant récemment à l’AFP le patron de l’IPBES Robert Watson. « Mais ce n’est pas quelque chose que le public peut voir facilement. »
Alors, pour que la prise de conscience soit plus grande, « il faut leur dire qu’on perd des insectes, des forêts, des espèces charismatiques ».
Et il faut aussi que « les gouvernements et le secteur privé commencent à prendre au sérieux la biodiversité autant que le climat », insistait le scientifique.
Un an avant une réunion très attendue en Chine des Etats membres de la Convention de l’ONU sur la diversité biologique (COP15), beaucoup d’experts espèrent que ce rapport de l’IPBES sera une étape cruciale vers un accord aussi marquant que celui de Paris sur le climat.
WWF plaide ainsi pour que la COP15 se fixe des « objectifs de haut vol ».
« Si nous voulons réellement avoir une planète durable d’ici 2050, nous devons avoir un objectif très agressif pour 2030 », insiste Rebecca Shaw, scientifique en chef de l’ONG. « Nous devons changer de trajectoire dans les dix prochaines années, comme nous devons le faire pour le climat ».
Mais alors que les remèdes au changement climatique, qui impliquent des modifications majeures du système productif ou de consommation, provoquent déjà d’importantes résistances, qu’en sera-t-il pour la biodiversité ?
« Cela va être encore plus difficile », parce que les gens sont moins conscients des problèmes de biodiversité, prédit Jean-François Silvain, président de la Fondation française pour la recherche sur la biodiversité. « Il faut être lucide ».
Source: AFP