Depuis que tout ce qui concerne l’Iran et ses alentours est l’objet de tensions diverses, depuis que l’équipe de super-faucons Bolton-Pompeo est à la manœuvre, on évoque par périodes le précédent de l’Irak et le phénomène d’une “préparation à la guerre” par les moyens de communication massifs habituels, les déclarations belliqueuses, des mouvements de forces (d’ailleurs assez réduites par rapport à l’enjeu militaire, aussi bien que par rapport au précédent de la préparation à la guerre contre l’Irak).
Le dernier incident, avec des pétroliers ou autres navires brûlant dans le Golfe à partir d’attaques mystérieuses, avec on ne sait quels moyens, a montré combien cette comparaison est inadéquate, complètement déplacée, etc.
La vérité-de-situation est que le désordre règne, aussi bien au niveau des “attaques”, – quels sont les responsables, quels sont les moyens employés, etc., – qu’au niveau des réactions, y compris à l’intérieur de la direction américaniste où la prise de position belliqueuse de Pompeo est directement contredite par une prise de position officielle du Commandement Central (CENTCOM), qui assure le contrôle militaire US de la région.
• Pompeo a fait une déclaration solennelle hier soir affirmant que c’était l’évaluation du gouvernement de désigner les Iraniens comme responsables de ces attaques. La chose n’a pas convaincu grand monde. Réaction très courte mais significative du colonel Lang, sous le titre « “Évaluation du gouvernement” ? Est-ce une évaluation du renseignement ? » : « Pompeo a décrit l’évaluation de la culpabilité de l’Iran dans les attaques du Golfe d’Oman comme une “évaluation du gouvernement américain”.
A la lumière des chicaneries accompagnant “l’évaluation du gouvernement américain” après l’“attaque” de Ghouta[en Syrie] en 2013, j’aimerais savoir combien d’agences de la Communauté du Renseignement sont d’accord avec une telle évaluation… »
• Trump ? Assez peu intéressé par cette affaire semble-t-il… Deux tweets sur l’Iran, l’un qui reprend sans le moindre commentaire la vidéo de Pompeo avec la phrase de ce dernier, sans l’approuver ni la désapprouver, justement comme si ce n’était pas son affaire, – « C’est l’évaluation du gouvernement américain que l’Iran est responsable des attaques d’aujourd’hui dans le Golfe d’Oman… »
Et puis celui-ci, très anodin et qui ne mange pas de pain, mais qui se montre pour le moins exempt de toute agressivité au moment où des tankers brûlent dans le Golfe : « Bien que j’apprécie beaucoup que le [Premier Ministre japonais] Abe se rende en Iran pour rencontrer l’ayatollah Ali Khamenei, j’estime personnellement qu’il est trop tôt pour penser [nous-même]à conclure un accord[avec les Iraniens]. Ils ne sont pas prêts, et nous non plus ! »
• Le Central Command, le puissant CENTCOM qui dirige toutes les forces armées US de la région, a été beaucoup plus net, beaucoup plus disert, et dans une direction complètement divergente de celle de Pompeo, dans une déclaration officielle de son porte-parole. Les militaires US ont parlé : pas question de se laisser embarquer dans une folie des super-faucons de “D.C.-la-folle”, et cela dit dans des termes précis qui représentent une prise de position très officielle particulièrement significative.
Selon ZeroHedge.com :« Dans un signe peut-être positif qui pourrait ralentir les tentatives des faucons au sein de l’administration pour faire pression en faveur de la guerre après les mystérieuses attaques de jeudi contre deux pétroliers dans le golfe d’Oman, le commandement central américain a publié une déclaration quelques heures après que Pompeo ait officiellement accusé Téhéran, disant dans un communiqué du CENTCOM que “une guerre avec l’Iran n’est dans notre intérêt stratégique, ni au mieux dans l’intérêt de la communauté internationale”.
« La déclaration appelait en outre à une enquête officielle de l’ONU sur l’incident, ce pourquoi il existe déjà une dynamique internationale. […]»
Le porte-parole de l’US Central Command, le lieutenant-colonel Earl Brown, a déclaré : “Les États-Unis et nos partenaires régionaux participent à l’intervention en cas d’attaque dans le golfe d’Oman. Les États-Unis et la communauté internationale sont prêts à défendre nos intérêts, y compris la liberté de navigation.”
« Et surtout, la déclaration s’est poursuivie de la sorte : “Nous n’avons aucun intérêt à nous engager dans un nouveau conflit au Moyen-Orient”, ajoutant : “Nous défendrons nos intérêts, mais une guerre avec l’Iran n’est pas dans notre intérêt stratégique, ni dans le meilleur intérêt de la communauté internationale ”. »
• Une vidéo a été publié par “des sources militaires US”, présentée par certains comme une “smoking gun” (la “preuve décisive”), – bien entendu, de la “culpabilité iranienne”.
La nouvelle, rapidement présentée ici et là (par Sputnik-France), est accueillie en général par un scepticisme fatigué ou amusé c’est selon ; on le comprend, d’abord du fait que la vidéo, très floue, en noir et blanc, pourrait aussi bien montrer une bagarre entre “Black Boxes” et Africains-Américains, dans un tunnel, par nuit noire et panne d’électricité…
« [Des sources militaires US] ont publié une vidéo prouvant, selon elle, “l’implication de l’Iran” dans les attaques commises en mer d’Oman. […] [Ces sources] prétendent y voir des membres des Gardiens de la Révolution islamique s’approcher d’un des deux tankers et en décrocher une mine.
« La vidéo, en noir et blanc et de qualité médiocre, montre un petit bateau empli de personnes situé à côté d’un tanker. Les inscriptions et les drapeaux sont indiscernables. »
• Le même ZeroHedge.com parle d’un « scepticisme inhabituel » des commentateurs publics, experts et médias, des réseaux sociaux, etc., et citant « même CNN », pour ce qui est décrit comme « cet événement bizarre ».
• L’hypothèse la plus originale vient des Saoudiens, qui accusent les houthis équipés de missiles de croisière iraniens d’être les auteurs des attaques, “sur ordre des Iraniens”. Les Saoudiens deviennent de plus en plus inquiets des capacités des houthis à frapper en Arabie même, chez eux, notamment par des tirs de missiles, comme l’a fait un missile mercredi, contre l’aéroport international Abha touché de plein fouet. Les Saoudiens commencent à comprendre qu’en cas de conflit avec l’Iran, ils se trouveraient confrontés à des attaques venant de diverses directions, dans des conditions difficiles à prévoir qui peuvent menacer sérieusement leur stabilité. (Ce constat et cette crainte pourraient également être ceux de Central Command, pour toutes ses bases et stations diverses, exposées à des attaques de type dosimétriques, venues d’alliés divers des Iraniens.)
D’une façon générale, ces attaques dans le Golfe peuvent effectivement être qualifiées de “bizarres”, à la fois pour leur réalisation, à la fois pour les conditions politiques et de communication qui les entourent. Il s’agit vraiment, comme nous en faisions la comparaison plus haut, d’une toute autre époque que celle de la guerre en Irak de 2003.
Plus encore, les réactions accueillant ou entourant les réactions officielles US sont elles-mêmes très étonnantes. Personne ne s’étonne, justement, d’une prise de position aussi nette, absolument politique, largement divergente sinon antagoniste de celle du secrétaire d’État, d’un commandement opérationnel comme CENTCOM.a
On s’en réjouit dans certains cas, ou bien certains sont mécontents, mais le fait même d’un commandement militaire prenant cette initiative ne semble soulever aucune question. Même remarque pour l’attitude de Trump vis-à-vis de la déclaration de son secrétaire d’État… Toutes ces choses qui sont en complète contravention avec la chaîne de commandement, avec la répartition de l’autorité et la légitimité du pouvoir, semblent finalement aller de soi.
Mais l’on rétorquera bien entendu ce que nous-mêmes répétons sans cesse, à savoir que le désordre et l’incontrôlabilité sont devenus la raison d’être et la façon d’être du gouvernement US et du pouvoir de l’américanisme. Ce qui est remarquable, c’est que, sans le dire, sans l’analyser, sans s’en étonner ou s’en inquiéter, tout le monde semble avoir acté ce phénomène comme un état de fait et un fait acquis, – et pas loin de le considérer, en langage de journaliste, comme un fait-divers…
Source : dedefensa