Dans une interview télévisée le 2 juin dans l’émission « Axios » sur la chaîne HBO, Jared Kushner s’est ouvert sur de nombreuses questions, parmi lesquelles son « contrat du siècle » tenait la première place.
La révélation majeure faite par Kushner, conseiller et gendre du président Donald Trump, était moins surprenante. Kushner pense que les Palestiniens ne sont pas capables de se gouverner eux-mêmes …
Ce n’est pas étonnant, car Kushner se croit capable de déterminer l’avenir du peuple palestinien sans tenir compte de ses dirigeants. Il a sans relâche poussé en avant son prétendu « accord du siècle », tout en incluant dans ses diverses rencontres et conférences des pays tels que la Pologne, le Brésil et la Croatie, mais pas la Palestine.
C’est ce qui s’est passé lors de la conférence de Varsovie sur « la paix et la sécurité » au Moyen-Orient. La même comédie, également dirigée par Kushner, devrait être rejouée à Bahreïn le 25 juin.
On a beaucoup parlé d’un racisme subtil dans les mots de Kushner, insufflant la puanteur des vieux discours coloniaux où les indigènes étaient vus comme des êtres inférieurs, incapables d’être des êtres rationnels, qui avaient besoin des « Blancs » civilisés de l’hémisphère occidental pour les aider à faire face à leurs problèmes, à cause de leurs inhérents retard et incompétence.
Kushner, dont les références sont limitées à ses liens familiaux avec Trump et à sa proximité avec le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, est sur le point de devenir l’administrateur colonial des temps passés, faisant et appliquant la loi tandis que les indigents malchanceux n’ont pas d’autre choix que de l’accueillir avec des louanges ou d’encourir un châtiment mérité.
Ce n’est pas une exagération. En fait, selon des informations divulguées concernant « l’Accord du siècle » de Kushner et publiées dans le quotidien israélien « Israel Hayom », si les groupes palestiniens refusent d’accepter les diktats américano-israéliens, « les États-Unis annuleront tout soutien financier aux Palestiniens et veilleront à ce qu’aucun pays ne leur transfert de fonds ».
Dans l’interview de HBO, Kushner a offert aux Palestiniens une bouée de sauvetage. Ils pourraient être considérés comme capables de se gouverner s’ils parvenaient à atteindre les objectifs suivants: « Un système judiciaire équitable … la liberté de la presse, la liberté d’expression, la tolérance pour toutes les religions ».
Le fait que la Palestine soit un pays occupé, soumis de toutes les manières possibles à la loi militaire israélienne, et qu’Israël n’a jamais été tenu pour responsable de ses cinquante années d’occupation, n’a aucune importance dans le point de vue de Kushner.
Au contraire, le contenu de tout ce que Kushner a dit dans l’interview est qu’Israël est l’antithèse de l’échec incontestable des Palestiniens. Contrairement à la Palestine, Israël a très peu de contrainte pour démontrer sa capacité à être un partenaire de paix digne de ce nom.
Bien que le terme « parti pris américain envers Israël » soit aussi vieux que l’État d’Israël, on ne discute guère de la spécificité de ce parti pris, de la vision résolument condescendante et souvent raciste que les classes politiques américaines ont des Palestiniens – et d’ailleurs de tous les Arabes et musulmans – et de leur engouement total pour Israël, souvent cité comme modèle de démocratie, de transparence judiciaire et disposant d’une tactique « anti-terroriste » efficace.
Selon Kushner, un « système judiciaire équitable » est une condition sine qua non pour déterminer la capacité d’un pays à se gouverner lui-même. Mais le système judiciaire israélien est-il « juste » et «démocratique » ?
Israël n’a pas un seul système judiciaire, mais deux. Cette dualité a en fait défini le fonctionnement des tribunaux israéliens depuis la création d’Israël en 1948. Ce système d’apartheid de facto différencie ouvertement les Juifs et les Arabes, ce qui est vrai tant du droit civil que du droit pénal.
« Le droit pénal est appliqué séparément et de manière inégale en Cisjordanie, sur la base de la seule nationalité (israélienne ou palestinienne), se faufilant de manière inventive autour des contours du droit international afin de préserver le développement de son ‘entreprise de colonisation (juive illégale)’, » explique la chercheuse israélienne, Emily Omer-Man, sans son essai intitulé « Séparés et inégaux« .
En pratique, les Palestiniens et les Israéliens qui commettent exactement le même crime seront jugés selon deux systèmes différents, avec deux procédures différentes : « Le colon sera traité conformément au code pénal israélien (alors que) le Palestinien sera traité conformément à l’ordre militaire ».
Cette injustice est constitutive d’un appareil judiciaire extrêmement injuste qui a défini le système juridique israélien depuis le début. Prenons l’exemple de la détention administrative. Les Palestiniens peuvent être détenus sans procès et sans aucune justification légale déclarée. Des dizaines de milliers de Palestiniens ont été soumis à cette « loi » non démocratique et des centaines d’entre eux qui en sont victimes sont actuellement détenus dans des prisons israéliennes.
Il est ironique de constater que Kushner ait soulevé la question de la liberté de la presse, en particulier, alors qu’Israël n’accorde aucune importance à son lamentable bilan à cet égard. Israël aurait commis 811 violations à l’égard des journalistes palestiniens depuis le début de la « Marche du retour » à Gaza en mars 2018. Deux journalistes – Yaser Murtaja et Ahmed Abu Hussein – ont été assassinés et 155 autres blessés par des tireurs israéliens.
À l’instar du système judiciaire israélien ségrégationniste, le ciblage de la presse fait également partie d’une politique de longue haleine. Selon un communiqué de presse publié par l’Union des journalistes palestiniens en mai dernier, Israël a assassiné 102 journalistes palestiniens depuis 1972.
Le fait que des intellectuels, des poètes et des militants palestiniens ont été emprisonnés pour leur usage de Facebook et d’autres publications sur les médias sociaux devrait nous en dire long sur les limites de la liberté de la presse et d’expression par Israël.
Il convient également de mentionner qu’en juin 2018, la Knesset israélienne a voté pour un projet de loi interdisant de filmer des soldats israéliens afin de dissimuler leurs crimes et de les protéger de toute future accusation.
En ce qui concerne la liberté de religion, malgré ses nombreuses lacunes, l’Autorité palestinienne n’est guère discriminatoire à l’égard des minorités religieuses. On ne peut pas en dire autant d’Israël.
Bien que la discrimination contre les non-juifs en Israël ait été la raison d’être de l’idée même de l’État sioniste, la loi de juillet 2018 sur l’État-nation a encore renforcé la supériorité des Juifs et le statut inférieur de tous les autres.
Selon la nouvelle loi fondamentale, Israël est uniquement un « foyer national du peuple juif », et « le droit d’exercer l’autodétermination nationale est unique pour le peuple juif ».
Les Palestiniens n’ont pas besoin de recevoir de leçons sur la manière de répondre aux attentes israéliennes et américaines, et ils ne doivent en rien aspirer à imiter le modèle israélien anti-démocratique. Ce dont ils ont besoin de toute urgence, c’est d’une solidarité internationale pour les aider à gagner la bataille contre l’occupation israélienne, le racisme et l’apartheid.
Par Ramzy Baroud
Source : Chronique de Palestine