Les opposants de Donald Trump au Congrès ont publié un rapport mettant en garde contre les risques d’un transfert de technologies nucléaires à Riyad.
Selon ce document, un ami proche du Président, l’homme d’affaires Thomas Barrack, aurait tenté de signer un contrat n’interdisant pas au pays acheteur d’utiliser les technologies obtenues pour créer l’arme nucléaire. Michael Flynn, ancien conseiller du Président, a également participé au lobbying sur ce dossier. Le jour même, le Wall Street Journal a rapporté que l’un des organisateurs des attentats du 11 septembre 2001 était prêt à témoigner contre les autorités saoudiennes en échange d’une aide pour échapper à la peine de mort.
Le lobbyisme nucléaire
Le démocrate Elijah Cummings, chef de la commission de surveillance et des réformes du Congrès, a annoncé que des amis proches de Donald Trump avaient fait pression pour imposer la vente de technologies nucléaire à l’Arabie saoudite. Le préambule du rapport de 50 pages de la commission publié lundi souligne particulièrement que cette transaction «suscite de sérieuses questions quant à savoir si la Maison-Blanche serait prête à placer les revenus potentiels des amis du président au-dessus des intérêts de la sécurité nationale des Américains et de l’objectif global de non-prolifération des armes nucléaires».
Ces dernières années, avant même l’élection de Donald Trump, les autorités saoudiennes avaient déclaré à différentes occasions qu’elles souhaitaient diversifier leurs fournitures d’hydrocarbures pour leurs besoins intérieurs, en songeant à titre d’alternative à la construction de centrales nucléaires. Sur la liste des partenaires éventuels figuraient la Russie, la France, la Chine, la Corée du Sud et les États-Unis.
Les partisans américains de cette entente affirmaient qu’un partenariat de Riyad avec Moscou ou Pékin engendrerait de «grands risques géopolitiques» pour les USA, notamment à cause de l’élargissement de la menace de la prolifération nucléaire.
Mais les négociations entre les représentants saoudiens et l’administration Obama n’avaient mené à rien, notamment parce que Washington insistait sur la présence dans le texte du contrat de l’article 123 de la loi américaine sur l’énergie atomique, interdisant aux acheteurs d’enrichir le combustible nucléaire jusqu’au niveau militaire.
Mais seulement un an après l’investiture de Donald Trump, en décembre 2017, l’agence de presse Bloomberg a soudainement annoncé que l’administration américaine avait relancé les négociations sur les fournitures de technologies nucléaires à l’Arabie saoudite et qu’elle était prête à renoncer aux restrictions imposées par le passé. La Maison-Blanche n’avait pas démenti.
Le rapport de la commission du Congrès, basé sur les dépositions de témoins et sur l’étude de 600.000 pages de documents liés à «l’accord nucléaire», affirme que cette décision a été prise grâce aux efforts de Thomas Barrack, fondateur et patron de la compagnie d’investissement Colony Capital Inc, et surtout l’un des sponsors les plus connus du parti républicain considéré comme un ami proche et de longue date de Donald Trump.
Ce document stipule également qu’au lobbying de ce «contrat nucléaire» a participé la compagnie IP3 International, dont le conseil d’administration inclut plusieurs généraux américains à la retraite, et que Michael Flynn, ex-conseiller du président américain, avait été le principal partenaire d’affaires de Thomas Barrack. Rappelons que Michael Flynn avait dû démissionner pour avoir caché les détails de ses entretiens avec Sergueï Kisliak, alors ambassadeur de Russie à Washington.
En ce qui concerne l’Arabie saoudite, l’administration Trump a négligé les règles interdisant de prendre des décisions politiques en fonction des intérêts entrepreneuriaux et de pays étrangers, indique le rapport du Congrès.
D’après ce document, en cherchant à conclure cet accord avec l’Arabie saoudite, Thomas Barrack et les représentants de la compagnie IP3 International «ont bénéficié d’un accès sans précédent aux plus hauts responsables de l’administration Trump», y compris par l’organisation de réunions avec le président en personne, avec son conseiller et gendre Jared Kushner, l’ex-conseiller économique Gary Cohn et au moins six membres du gouvernement, dont le secrétaire d’État américain Mike Pompeo et le ministre de l’Énergie Rick Perry. Durant ces négociations les lobbyistes insistaient sur le fait que la présence de l’article 123 empêcherait la signature de l’accord, et que les accords déjà en vigueur permettraient de toute façon de «respecter efficacement le régime de non-prolifération».
Les auteurs du rapport précisent que Thomas Barrack s’était entendu avec la société IP3 International à quelques jours de l’investiture du président Trump. L’homme d’affaires avait l’intention d’acquérir la compagnie de production de réacteurs nucléaires Westinghouse Electric Co, qui avait déposé le bilan, et comptait faire appel à cet effet à l’argent du Saudi Public Investment Fund et d’autres investisseurs du Moyen-Orient.
En parallèle, Thomas Barrack s’entretenait personnellement avec Donald Trump et d’autres hauts représentants de l’administration pour obtenir le poste de représentant spécial du président américain pour le Moyen-Orient ou d’ambassadeur aux Émirats arabes unis. A ces fins, il s’assurait également le soutien des représentants de ces pays. Pendant la campagne présidentielle de 2016, Thomas Barrack avait tenté de créer des relations de confiance avec des représentants saoudiens et émiratis officiels. Par exemple, à la veille du discours de Donald Trump à l’occasion d’une conférence consacrée à la production pétrolière dans le Dakota du Nord en mai 2016, Thomas Barrack avait transmis aux représentants des autorités saoudiennes et émiraties le brouillon de son discours afin de mettre au point le texte et d’y inclure des fragments favorables pour le Moyen-Orient.
L’achat de la compagnie Westinghouse, tout comme la nomination de Thomas Barrack à un poste diplomatique, n’ont jamais eu lieu. Mais cela n’a pas empêché les lobbyistes de poursuivre le travail sur la signature d’un «accord nucléaire» entre les États-Unis et l’Arabie saoudite.
Comme le soulignent les auteurs du rapport publié par la Chambre des représentants, à l’heure actuelle la Maison blanche mène des négociations sur la vente d’au moins 12 réacteurs nucléaires à l’Arabie saoudite.
Quand le passé remonte à la surface
Le jour de la publication du rapport dans le Wall Street Journal est paru un autre article résonnant sur Riyad. Selon le quotidien, l’un des organisateurs de l’attaque du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New York, Khaled Cheikh Mohammed, aurait proposé de témoigner du côté des proches qui avaient déposé une plainte contre l’Arabie saoudite, en échange de la levée de la peine capitale à laquelle il avait été condamné. C’est ce qu’indique la lettre envoyée par ses avocats aux victimes au tribunal du district de Manhattan.
De plus, il a été annoncé lundi que le Sénat américain n’avait pas réussi à bloquer un autre accord conclu par l’administration américaine avec les Saoudiens.
En juin, Donald Trump a annoncé que son administration avait approuvé 22 contrats pour la vente d’armes et de matériel militaire à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et à la Jordanie, pour un montant estimé à 8 milliards de dollars. Le Congrès a tenté de bloquer les contrats d’armement parce qu’ils n’avaient pas été approuvés par la Chambre des représentants et n’avaient pas fait l’objet d’une vérification obligatoire par les experts, censée durer 30 jours. Cette décision a été soutenue par la majorité du Sénat. Mais Donald Trump a utilisé son droit de veto en se référant à une «situation d’urgence» dans le Golfe, qui lui permet d’approuver l’accord sans l’aval du Congrès.
D’après les procédures en vigueur, il est possible de casser le veto présidentiel en réunissant les deux tiers des voix au Sénat. Lundi dernier, les sénateurs ont soumis trois fois cette question au vote, mais moins de la moitié des membres de la chambre haute du Congrès se sont prononcés pour l’annulation de la décision présidentielle.
Source: Sputnik