«Nous, les enfants du martyr Jamal Khashoggi, annonçons que nous pardonnons à ceux qui ont tué notre père», a écrit sur Twitter Salah Khashoggi, fils aîné du journaliste.
Cette annonce a crée une polémique au niveau régional et international, vu qu’elle devrait permettre aux accusés d’échapper à la peine de mort, selon des analystes.
Jamal Khashoggi, critique du régime saoudien après en avoir été proche, a été assassiné et son corps découpé en morceaux le 2 octobre 2018 dans le consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul où il s’était rendu pour récupérer un document, selon la Turquie.
Le chef de l’organisation saoudienne des droits de l’homme, Al-Qasat, Yahya Asiri, a déclaré sur Twitter: « Le meurtre de Jamal Khashoggi n’est pas une affaire de famille, ce n’est pas un meurtre qui s’est produit par erreur, pour que sa famille intervienne et qu’on se taise. Il s’agit d’un crime d’Etat. Les autorités l’ont tué à cause de son travail politique. Son cas est politique, alors qu’ils se taisent ».
Selon le site AlAhed al-Jadid, « le régime saoudien a acheté une villa sur la corniche de Jeddah pour son fils Salah, qui a également reçu une somme de 100 millions de riyals ».
Les autorités saoudiennes n’ont pas réagi à cette annonce de Salah Khashoggi, qui vit en Arabie Saoudite et nié un quelconque arrangement financier sur la mort de Khashoggi.
En avril 2019, le Washington Post avait assuré que les quatre enfants du journaliste assassiné, y compris Salah, avaient reçu des maisons d’une valeur de plusieurs millions de dollars et étaient payés des milliers de dollars par mois par les autorités.
Pour Ali Shihabi, auteur et analyste saoudien proche du gouvernement, «cela signifie principalement que les assassins éviteront la peine capitale puisque c’est un droit que la famille détient par le pardon».
«Selon la loi appliquée en Arabie saoudite, les meurtriers ne seront pas exécutés», a renchéri l’analyste Nabeel Nowairah sur Twitter.
Mais pour la fiancée turque de Jamal Khashoggi, Hatice Cengiz, qui mène une campagne internationale contre les responsables saoudiens, «personne n’a le droit de pardonner. Nous ne pardonnerons ni aux tueurs, ni à ceux qui ont ordonné le meurtre.»
À l’issue d’un procès opaque en Arabie saoudite, cinq Saoudiens ont été condamnés à mort et trois condamnés à des peines de prison pour l’assassinat de Khashoggi. Onze personnes avaient été inculpées au total.
Le verdict prononcé en décembre, qualifié de «parodie de justice» par les organisations internationales de défense des droits humains, est intervenu alors que le royaume redoublait d’efforts diplomatiques pour tirer un trait sur cette crise et redorer son image, à l’approche du sommet du G20, organisé par Ryad cette année.
«Énorme pression»
«Il est triste de voir les fils de Khashoggi subir de nouvelles humiliations de la part du régime saoudien avec leur soi-disant pardon aux assassins de leur père», réagit auprès de l’AFP Bessma Momani, spécialiste du Moyen-Orient et professeur à l’université de Waterloo au Canada.
«Suggérer que cet acte de pardon est volontaire, c’est ignorer l’énorme pression politique et sociale probablement exercée sur les fils par le même cercle du pouvoir politique qui était derrière le meurtre de leur père», juge-t-elle.
Le pardon est « choquant », selon l’experte de l’ONU
L’experte de l’ONU ayant enquêté sur l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi a jugé vendredi « choquant » le pardon de ses fils aux assassins présumés de leur père, y voyant un nouvel acte dans la « parodie de justice » saoudienne.
« Bien que choquante, l’annonce que la famille du journaliste saoudien assassiné Jamal Khashoggi a pardonné à ses assassins était attendue », a déclaré dans un communiqué la rapporteure spéciale de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, Agnès Callamard, qui en tant qu’experte indépendante ne s’exprime pas au nom de l’ONU.
« Les autorités saoudiennes jouent ce qu’elles espèrent être l’acte final de leur parodie de justice […] devant une communauté internationale bien trop prête à être trompée », a-t-elle ajouté, estimant que la clémence des fils du journaliste était un nouvel « acte » de cette parodie.
Comme dans le passé, elle a appelé le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres « à agir ». Elle lui a demandé une « enquête de suivi » axée sur « la chaîne de commandement et les responsabilités individuelles associées, y compris aux plus hauts niveaux de l’État ».
Après avoir nié l’assassinat, puis avancé plusieurs versions contradictoires, les autorités de Ryad ont affirmé qu’il avait été commis par des agents saoudiens ayant agi seuls et sans ordre de hauts dirigeants.
Le prince héritier Mohammed ben Salmane, surnommé MBS, a été désigné par des responsables turcs et américains comme le commanditaire du meurtre. Il a dit plus tard assumer, en tant que dirigeant, la responsabilité du meurtre, niant cependant en avoir eu connaissance avant qu’il ne soit commis.
Fin mars, la justice turque a lancé des poursuites contre vingt personnes dont deux proches de MBS, l’ex-conseiller Saoud al-Qahtani et l’ancien numéro deux du renseignement, le général Ahmed Al-Assiri, identifiés comme les commanditaires du meurtre.
Le premier a fait l’objet d’une enquête mais n’a pas été inculpé «en raison de preuves insuffisantes» et le second, mis en accusation, a été acquitté pour les mêmes motifs, selon le parquet saoudien. Les deux hommes ont été officiellement évincés du cercle politique du prince héritier.
Depuis l’arrivée au pouvoir de facto de MBS, l’Arabie saoudite a accru la répression contre les voix critiques, notamment les défenseurs des droits humains.