Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a entamé, ce jeudi 23 juillet, une visite de deux jours au Liban en crise qui espère des aides internationales.
En début de journée, le numéro deux du gouvernement français a été reçu par le président Michel Aoun au Palais présidentiel de Baabda, à l’est de Beyrouth. Tout sourire, les deux hommes ont échangé une poignée de main cordiale avant de débuter leurs échanges qui ont duré un peu plus d’une demi-heure.
Selon un communiqué de la présidence libanaise, le chef de l’Etat a affirmé à M. Le Drian que « le Liban attend l’aide de la France dans le parcours des réformes et la lutte contre la corruption initiée depuis le début de son mandat (…) ».
Le président a également évoqué « les mesures de lutte contre la corruption, notamment l’adoption de la juricomptabilité et le contrôle comptable qui a dévoilé des dysfonctionnements dans les finances de l’Etat ». Il a fait état de « difficultés et obstructions à la lutte contre la corruption », faisant assumer la responsabilité de cela à « de nombreuses personnes impliquées qui exercent des pressions pour mettre un terme à cette lutte ».
Le Drian n’a pas évoqué de plan d’aide au Liban lors de son entretien avec le chef de l’Etat, ont affirmé des sources anonymes proches de la présidence libanaise. Toutefois, le chef de la diplomatie française a exprimé son « intérêt pour le Liban ».
Il a assuré être prêt à le soutenir, soulignant que les aides prévues par la conférence CEDRE tiennent toujours et attendent la poursuite des réformes par le gouvernement libanais et la mise en application du plan de redressement, ainsi que les négociations avec le FMI, expliquent ces sources.
Le Drian s’est aussi entretenu avec le Premier ministre Hassane Diab, en présence notamment du ministre des Finances libanais Ghazi Wazni, avant de rencontrer le chef du Parlement Nabih Berri.
Diab confiant que Paris ne lâcherait pas le Liban
M.Diab a exprimé sa reconnaissance à la France et s’est dit confiant que Paris ne lâcherait pas le Liban.
« Le Liban vous considère comme un ami historique, et la France s’est tenue aux côtés du Liban lors des périodes difficiles, et je suis confiant qu’elle ne le lâchera pas aujourd’hui », a dit M. Diab devant le ministre français, selon des propos rapportés par la correspondante du site francophone libanais OLJ.
« Nous avons accompli de nombreuses réformes et nous avons fait face à des difficultés. Nous avons prévu un plan chronologique pour le reste des réformes. Au sujet de celles qui ont trait à la conférence CEDRE, nous avons mis en place une commission ministérielle pour faire le suivi de ce dossier », a fait savoir M. Diab à son interlocuteur. « Nous voulons le soutien de la France dans le dossier de l’électricité, ainsi qu’en ce qui concerne le FMI », a-t-il encore ajouté.
« Le gouvernement a approuvé l’audit juricomptable de la Banque du Liban afin de dévoiler le fossé financier, ses raisons et les circonstances qui l’entourent, car nous tenons à la transparence. Cette enquête au sein de la BDL ouvrira la voie à d’autres audits au sein d’autres institutions », a en outre affirmé Hassane Diab, dans une volonté de mettre en avant ce que son gouvernement présente comme étant des réformes.
« Nous avons adopté il y a deux jours la mise en place de scanners aux frontières, au port et à l’aéroport de Beyrouth afin de contrôler les marchandises sur le plan douanier, ce qui rapportera des recettes considérables à l’Etat qui étaient jusque-là perdues », a en outre indiqué le Premier ministre libanais.
Abordant la question des plus d’un million de réfugiés syriens présents sur le territoire libanais après avoir fui le conflit qui ravage la Syrie depuis 2011, Hassane Diab a affirmé que « les communautés d’accueil des réfugiés commencent à ressentir le poids de la présence de ces réfugiés, et ces derniers commencent à se sentir mal à l’aise, et cela est dangereux, surtout à l’ombre des circonstances économiques et sociales qui touchent les Libanais ainsi que les déplacés syriens. Cela peut provoquer une nouvelle grande vague d’émigration libanaise, ainsi qu’un exode des déplacés syriens qui se trouvent au Liban, vers d’autres pays ».
Renouvellement de la Finul
Hassane Diab a en outre abordé le dossier de la frontière avec Israël. « Nous demandons à la France de se montrer compréhensive et de soutenir le Liban dans le renouvellement du mandat de la Force intérimaire des Nations unies (Finul) sans modification, afin de maintenir la sécurité et la paix internationales et permettre à la force onusienne d’appliquer la résolution 1701 qui engage le Liban ». La Finul est chargée de faire respecter le cessez-le-feu en vigueur entre le Liban et ‘Israël’ depuis la guerre israélienne contre le Liban en 2006. Son mandat doit être renouvelé le 31 août et certains pays, comme les Etats-Unis et ‘Israël’, voudraient voir son champ d’action élargi à la surveillance de la frontière syro-libanaise et que lui soient attribuées des prérogatives plus vastes pour surveiller les actions du Hezbollah au Liban.
Aidez-nous à vous aider
Jean-Yves Le Drian s’est ensuite rendu au palais Bustros où il a été reçu par son homologue, Nassif Hitti. A l’issue de cet entretien, le ministre français a donné une conférence de presse, au cours de laquelle il a réitéré que son pays est prêt à aider le Liban.
Mais il a dit : « Vous connaissez l’expression ‘Aide-toi, et Dieu t’aidera’. J’ai envie de vous dire : aidez-vous, et la France et ses partenaires vous aideront ».
« Il est aujourd’hui urgent et nécessaire de s’engager de manière concrète sur la voie des réformes. Les attentes que j’exprime ne sont pas seulement celles de la France, mais aussi celles des Libanais et de l’ensemble de la communauté internationale », a poursuivi M. Le Drian.
« La France est prête à se mobiliser pleinement aux côtés du Liban. Des actes concrets sont attendus depuis trop longtemps. C’est le message que je suis venu transmettre à toutes les autorités libanaises (…) Et comme je l’ai dit au Sénat (le 8 juillet dernier), aidez-nous à vous aider ! », a lancé le ministre français des Affaires étrangères.
La visite de M. Le Drian intervient dans un contexte explosif au Liban, qui vit la pire crise économique de son histoire, marquée par des sanctions américaines entrainant une dépréciation inédite de sa monnaie, une flambée des prix, des licenciements à grande échelle et des restrictions bancaires sur les retraits et les transferts à l’étranger.
Près de la moitié de la population libanaise vit dans la pauvreté et 35% de la population active est au chômage, selon des statistiques officielles.
« Risque d’effondrement »
Evoquant le Liban il y a quelques jours déjà, M. Le Drian n’avait pas mâché ses mots.
« Aujourd’hui, il y a un risque d’effondrement. Il faut que les autorités libanaises se ressaisissent, et je me permets de dire ici à nos amis libanais : +vraiment nous sommes prêts à vous aider mais aidez-nous à vous aider, bon sang !+ », avait déclaré M. Le Diran le 8 juillet devant le Sénat à Paris.
Le Liban, en défaut de paiement, a adopté un plan de relance fin avril et promis des réformes.
Pour obtenir une aide financière, les autorités ont également entamé des négociations à la mi-mai avec le Fonds Monétaire international (FMI). Deux mois plus tard, le processus est toujours au point mort.
Beyrouth espère obtenir environ 10 milliards de dollars du FMI. Cette aide est cruciale pour les autorités car elle pourrait aider à rétablir la confiance des créanciers. Et permettre de débloquer 11 milliards de dollars promis en 2018 lors d’une conférence de soutien au Liban parrainée par Paris (CEDRE).
Le diplomate français Pierre Duquesne, chargé par Paris de la mise en oeuvre de CEDRE, fait d’ailleurs partie de la délégation qui accompagne le ministre français.
Le Drian doit s’entretenir avec le Patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï. Vendredi, il se rendra à l’hôpital Rafic Hariri à Beyrouth, principal établissement public mobilisé dans la lutte contre le nouveau coronavirus.
Il tiendra également vendredi une réunion sur l’éducation francophone avec les chefs d’établissements des écoles francophones, touchées de plein fouet par la crise économique et menacées pour certaines de fermeture.
Sur ce dossier, la France, ancienne puissance mandataire (1920-1943), a déjà décidé de débourser dans l’urgence une douzaine de millions d’euros dans les prochains mois.
Sources: AlManar + AFP + OLJ