Des étudiants sahraouis inscrits dans les universités algériennes mettent un terme à leurs études pour s’engager dans l’armée du Front Polisario. Ils s’organisent pour rejoindre l’école militaire Chahid El Ouali, dans les camps de réfugiés de Tindouf, afin de suivre une période de formation et combattre les forces marocaines.
Le vendredi 13 novembre 2020 a marqué le retour du conflit armé au Sahara occidental avec les événements de Guerguerat et l’incursion des forces marocaines dans la zone de démarcation entre les territoires sous autorité du Front Polisario et ceux sous administration marocaine. Cette date signe aussi l’arrêt des études pour la communauté sahraouie en Algérie.
Depuis quelques jours, des centaines d’étudiants se pressent à l’ambassade sahraouie pour s’inscrire sur la liste des conscrits.
Trois décennies d’attente
Sputnik est allé à la rencontre d’Ahmed, Damba, Kamel et Salek, quatre étudiants volontaires. Ils tous ont décidé de geler leur parcours pour combattre dans les rangs de l’armée sahraouie.
Ahmed Abdelkader, 25 ans, et Damba Mohamed Enajem, 26 ans, sont presque inséparables. Ils étaient ensemble au collège et au lycée puis ont suivi chacun son chemin après le baccalauréat: Damba est parti poursuivre des études de littérature française à Tlemcen et Ahmed s’est inscrit en littérature espagnole à Oran. Ils sont venus à Alger pour s’enregistrer à l’ambassade sahraouie et tenter de trouver un moyen de transport pour rejoindre rapidement les camps de réfugiés de Tindouf (1.900 kilomètres au sud-ouest de la capitale algérienne).
«L’attaque de Guerguerat par les Marocains a changé ma vie en quelques heures. Mon objectif, depuis mon plus jeune âge, était d’étudier et de décrocher un diplôme. Maintenant, tout cela est secondaire, la priorité est de libérer mon pays. S’il y a bien un peuple qui peut parler avec fierté de la paix, c’est le peuple sahraoui. Nous avons attendu durant trois décennies l’organisation d’un référendum d’autodétermination sans tirer une seule balle et en faisant une longue série de concessions. Aujourd’hui, nous devons être fiers d’aller à la guerre car c’est le seul droit légitime dont nous disposons», dit calmement Ahmed Abdelkader.
Ahmed a un frère et trois cousins qui sont déjà dans les zones de combats. «Mon père a été blessé durant la première guerre, dans les années 1980, aujourd’hui il m’encourage à les rejoindre», souligne-t-il. Avant d’aller au front, Ahmed devra passer par une période de formation au sein de l’école militaire Chahid El Ouali, dans les camps de Tindouf.
Plus rien à perdre
Damba a une certaine avance sur les autres membres du groupe puisqu’il a déjà effectué son service militaire. «J’ai rejoint l’école Chahid El Ouali juste après le baccalauréat. Après la phase d’instruction, j’ai été muté à Mhiriz dans la 4e région militaire», explique Damba Mohamed Enajem.
Pour l’heure, la mission la plus complexe pour tous les étudiants volontaires consistera à rejoindre les camps de réfugiés de Tindouf. Depuis le début de la pandémie, la compagnie Air Algérie n’assure plus de desserte entre les régions. Les autorités ont également interdit les autocars et les taxis de longs trajets. La seule solution, pour les étudiants, consiste à louer une voiture avec chauffeur pour traverser toute l’Algérie.
Optimiste, Damba estime qu’il trouvera un moyen de transport dans les prochains jours. Il fait partie de l’écrasante majorité de jeunes sahraouis qui attendaient avec impatience le retour de la guerre.
«Le Maroc et ses alliés doivent comprendre que le peuple sahraoui n’a rien à perdre. Nous n’avons ni tourisme, ni agriculture, ni aucune industrie. Nous avons été très patients à attendre que l’ONU daigne organiser un référendum. Maintenant, les armes doivent parler. Trois de mes oncles sont morts en martyrs durant la première guerre. Mon père a été fait prisonnier par les Mauritaniens. Il m’a raconté tout ce qu’il avait subi, il m’a dit aussi combien la guerre est difficile. Mais il m’encourage à me porter volontaire car il considère que c’est ma génération qui doit reconquérir nos terres», insiste le jeune étudiant en littérature française.
Salek Laabid Mohamed Dada, 23 ans, étudiant en sciences et technologies à l’université de Bab Ezzouar d’Alger, reconnaît que la question de la reprise du conflit contre le Maroc a toujours été un problème générationnel au sein de la société sahraouie. Les jeunes ont souvent reproché aux responsables du Front Polisario leur refus de reprendre les armes.
«Je suis né réfugié, je n’ai pas connu la guerre, mais je ne sais pas ce qu’est la vie dans un pays libre. Comme de nombreux jeunes Sahraouis, j’en ai longtemps voulu à nos dirigeants de ne pas avoir repris le conflit car celui qui est entré par les armes doit sortir par les armes. Aujourd’hui, je dois reconnaître qu’ils ont fait preuve de sagesse en donnant la chance à la paix. Et ils démontrent maintenant qu’ils ont su prendre une décision responsable en mettant un terme à l’accord de cessez-le-feu, le 14 novembre, après l’assaut des Marocains», note Salek.
Du pacifisme au combat
Kamel Abbès Abdelouadoud, 30 ans, doctorant en études stratégiques à la faculté de sciences politiques d’Alger, a un parcours totalement différent des autres membres du petit groupe. Contrairement aux milliers d’élèves sahraouis, il n’a pas fait le collège et le lycée en Algérie. Kamel est né et a grandi à Lâayoune, dans le Sahara occidental sous administration marocaine. Il y a vécu jusqu’à l’âge de 20 ans.
«J’ai milité dès mon plus jeune âge dans la clandestinité contre le système administratif colonial. J’ai été arrêté et j’ai subi des violences à quatre reprises. En 2010, j’ai décidé de quitter les territoires occupés et d’aller en Mauritanie pour rejoindre les camps de réfugiés de Tindouf. J’ai été accueilli par les membres de ma famille et par le Front Polisario qui m’a permis de poursuivre des études en Algérie.»
Kamel déclare ne pas avoir de rancœur envers les Marocains. «Je dois dire que je n’ai rien contre eux. Le problème principal, c’est le Makhzen, ce système qui tente de broyer le peuple sahraoui», lance-t-il.
Marié et père d’un petit garçon, cet étudiant avoue avoir longtemps été pacifiste. «Contrairement à la grande majorité des jeunes Sahraouis qui appelaient à la reprise des armes, j’ai toujours milité pour une solution pacifique et politique de la question sahraouie. Malheureusement, le retour à la guerre nous est imposé par le Maroc qui refuse, depuis trois décennies, de reconnaître notre droit à l’autodétermination», ajoute Kamel. Tout comme Ahmed et Saleh, il n’a aucune expérience des armes et des techniques de combat.
Difficile d’avoir des données précises sur le nombre d’étudiants qui ont décidé de rejoindre l’armée sahraouie. Le phénomène des volontaires ne concerne pas uniquement l’Algérie, mais aussi la Mauritanie, l’Europe –notamment l’Espagne– ainsi que Cuba. Interrogé à ce sujet, Mahdjoub Chérif, responsable de la culture et de l’éducation à l’ambassade du Sahara occidental à Alger, a préféré ne pas donner de détails sur cette question.
«Je peux juste dire que la liste des conscrits est très longue et nous avons également de nombreuses étudiantes qui sont prêtes à s’engager.»
Source: Sputnik