Paris financera plusieurs projets sécuritaires au pays du Cèdre. Au-delà de l’aspect géopolitique, il en va du rôle historique de la France, que l’Élysée veut maintenir à tout prix, estime Joseph Moukarzel, député suppléant des Français à l’étranger et patron de presse au Liban.
Malgré les crises et les brouilles passagères, la relation fraternelle entre la France et le Liban perdure: le partenariat franco-libanais a ainsi récemment franchi une nouvelle étape dans le domaine militaire.
Les armées française et libanaise ont signé le 21 février dernier trois conventions en matière de Défense, de coopération navale, de lutte antiterroriste et de combat en montagne. À cette occasion, le commandant en chef de l’armée libanaise, le général Joseph Aoun, a reçu Anne Grillo, ambassadeur de France, à Yarzé, dans la banlieue de Beyrouth.
Cette aide confirme un peu plus la position privilégiée de la France au pays du Cèdre, estime Joseph Moukarzel, député suppléant LREM de la 10e circonscription des Français de l’étranger, qui comprend le Moyen-Orient et une partie de l’Afrique:
«Ce n’est pas nouveau, la France a toujours été un partenaire privilégié dans le domaine militaire avec le Liban. Les États-Unis et l’Italie sont également des partenaires importants»
Toutefois, contrairement à Washington, Paris n’a jamais émis de réserve sur l’armée libanaise, précise à Sputnik celui qui est aussi patron du journal satirique libanais Ad Dabbour (La guêpe, en arabe). En 2016, les États-Unis avaient obtenu de l’Arabie saoudite qu’elle interrompe le financement de son aide militaire au Liban. En effet, de peur de voir le Hezbollah acquérir un nouvel arsenal militaire, Riyad avait annulé son aide d’un milliard de dollars, ce qui avait également compromis un contrat juteux pour la France. Mais pour rassurer Paris, Riyad a tout bonnement remplacé Beyrouth: les armes destinées aux soldats libanais se sont finalement retrouvées dans les mains des soldats saoudiens engagés dans la guerre au Yémen.
La France entretient des relations avec le Hezbollah
Paris agit donc avec une certaine liberté au Liban, contrairement aux autres partenaires du pays du Cèdre. Macron l’avait précisé en aout 2020, le Hezbollah étant une composante du peuple libanais, il serait sage de ne pas aller à l’encontre du mouvement chiite. Une posture qui rompt avec celle de Washington, qui a classé ce dernier parmi les organisations terroristes.
«Les contacts entre Paris et le Hezbollah sont permanents», souligne-t-il avant de préciser que «bien évidemment, la France ne souhaite pas que son arsenal militaire tombe entre les mains du parti chiite.»
Or, concernant le récent accord entre les deux pays, il s’agit uniquement de matériel défensif et de surveillance à destination de l’armée libanaise. Cet accord n’a fait l’objet d’aucun contrat, puisqu’il s’agit d’un financement et d’une donation. En effet, la première convention porte sur le financement par la France d’un centre de secours maritime, au sein de la base navale de Beyrouth.
«C’est un impératif pour le Liban: compte tenu de la crise, plusieurs bateaux de fortune prennent le large pour atteindre les côtes chypriotes. Cette aide va permettre à la marine libanaise de réguler tant bien que mal ce trafic», explique le patron de presse franco-libanais.
Les deux autres conventions portent sur le financement de la construction d’un centre de formation militaire cynotechnique et sur la donation d’équipements pour le combat en montagne. Cette aide s’explique notamment par l’objectif sécuritaire des deux pays, précise Joseph Moukarzel.
«La lutte antiterroriste est une priorité pour le Liban, le développement des capacités de détection d’explosifs et le combat en montagne doivent permettre à l’armée libanaise de sécuriser certaines zones poreuses», souligne-t-il.
Le représentant LREM des Français de l’étranger fait ici référence à la frontière syro-libanaise et au Nord du pays, où il est fait état de plusieurs cellules terroristes dormantes. Plus encore, cette aide militaire répond à «un impératif d’ordre géopolitique pour les autorités françaises»: le Liban est en effet la porte d’entrée de la France en Orient.
«Le Liban est en quelque sorte la chasse gardée de la France»
«Qu’importent les époques et les crises régionales, la France a toujours répondu “présent” pour aider le Liban», aime à rappeler notre interlocuteur. Fervent défenseur de l’amitié franco-libanaise, il estime que «la France n’a jamais douté de son rôle.»
«Qu’importe l’étiquette politique du Président français, l’amitié franco-libanaise est inscrite dans le marbre. Même si demain, un gouvernement d’extrême droite arrive au pouvoir en France, la relation avec le Liban sera la même.»
Ici, histoire et intérêts se mêlent. La France a tout intérêt à garder cette position dominante au Liban. Elle entretient des liens forts avec la communauté chrétienne, francophile. Le Liban est la pièce maîtresse de la politique orientale française. «C’est en quelque sorte sa chasse gardée», ironise notre interlocuteur.
«Le Liban est le seul pays qui reste un territoire où la France a sa présence dans tous les domaines, de l’éducation au militaire en passant par la culture. On pourrait évoquer la relation bilatérale de la France avec le Qatar ou avec les Émirats, mais ce n’est pas la même chose.»
Pas la même chose en effet, tant les liens entre la France et le Liban sont emprunts de sentiments. Les Libanais ne perçoivent guère la présence française comme une ingérence, souligne Joseph Moukarzel, mais davantage comme une «amitié réciproque».
«Le peuple libanais aime appeler la France “Oum el Hanoun”», ce qui signifie littéralement «la tendre mère». Ce qui n’exclut pas de la critiquer quand elle se révèle trop autoritaire. Ainsi le Hezbollah avait-il regretté en septembre dernier le «comportement condescendant» d’Emmanuel Macron, exigeant la formation d’un gouvernement en quelques jours.
Source: Sputnik