L’Iran n’est plus prisonnier du détroit d’Ormuz pour acheminer son pétrole. Avec l’inauguration du terminal de Jask, le pays n’est plus menacé d’un blocage dans ce passage stratégique. Un accomplissement crucial pour Téhéran, qui avait pris du retard sur ses concurrents régionaux à ce niveau. Analyse.
«Aujourd’hui est un grand jour historique pour la nation iranienne». Le Président sortant Rohani a ainsi annoncé l’inauguration du terminal d’exportation de son brut à partir d’un port sur la mer d’Oman. Le terminal dénommé Jask se trouve à l’Est du très stratégique détroit d’Ormuz.
Un chantier titanesque qui comprend également la construction d’un oléoduc long de 1.000 kilomètres, qui devrait aider Téhéran à reconquérir ses marchés perdus au profit des pays rivaux, selon l’agence iranienne IRNA.
«Avec l’ouverture du terminal de Jask sur le golfe d’Oman, les Iraniens viennent de gagner un important vecteur d’indépendance économique et énergétique», explique à Sputnik Pierre Fabiani, ancien représentant du groupe Total en Iran.
À l’époque de son mandat (2004 –2008), ce dernier a donné son avis sur la pertinence de cette construction aux autorités compétentes en Iran:
«Quand les Iraniens m’ont demandé conseil, je leur ai dit que l’exploitation du terminal de Jask était une évidence.»
Les avantages sont en effet nombreux. D’une part, le projet estimé par Hassan Rohani à «deux milliards de dollars» permet de gagner quelques jours de navigation par rapport au port pétrolier de Kharg, dans le Golfe. Mais surtout, «c’est le meilleur moyen pour eux de se prémunir d’un blocage du détroit d’Ormuz.»
Long de 63 km, large d’environ 40 km et profond de 60 mètres, le détroit coincé entre l’Iran et le Sultanat d’Oman est stratégique pour Téhéran, comme pour le reste du monde. Selon l’Agence américaine de l’Énergie, environ 21 millions de barils de brut y circulaient quotidiennement en 2018.
Un blocage d’Ormuz peut arriver «à tout moment»
Cela représente environ 21% de la consommation mondiale de pétrole et un tiers du brut acheminé par voie maritime dans le monde. Un quart du commerce mondial de gaz naturel liquéfié passe également par Ormuz.
Pour l’Iran, ce détroit était jusqu’ici une porte de sortie cruciale de son brut vers plusieurs marchés. Or, «le monde est fou», dramatise l’ancien numéro Un de Total en Iran. «À tout moment, il peut y avoir un événement qui crée un blocage dans le détroit.»
En effet, aujourd’hui les régions maritimes menacées par des incidents de toute sorte ne sont pas supervisées que par les puissances régionales, mais aussi par les soi-disant groupes tactiques internationaux composés des forces navales de différents pays.
Le détroit d’Ormuz en est un exemple flagrant. La présence des États-Unis et leurs alliés dans le détroit est quasi-permanente avec d’importants moyens militaires. D’importantes tensions l’entourent, des incidents avec navires et cargos n’y sont pas rares. Ainsi en 2019, année riche en événements de ce type, deux pétroliers se dirigeant vers l’Asie y avaient été attaqués après que quatre navires, dont trois pétroliers, ont été sabotés. Les États et armées environnantes ont systématiquement nié leur implication dans ces incidents.
Le détroit est donc une poudrière géopolitique qu’une étincelle peut faire exploser à tout moment. Et ce, sans même parler de possibles incidents indépendants de la volonté humaine qui peuvent s’y produire. Il était donc impératif selon Pierre Fabiani que l’Iran offre une porte de sortie à son brut indépendante d’Ormuz.
Détroit d’Ormuz, arène géopolitique
Philippe Sébille-Lopez, spécialiste des enjeux énergétiques dans les relations internationales, a d’ailleurs tendance à tempérer l’enthousiasme iranien. Selon lui, «cet oléoduc, tout comme les infrastructures annexes du terminal d’exportation de Jask, qui restent en partie à construire, n’est pas en soi d’un grand apport stratégique dans l’immédiat, mais davantage dans une vision de moyen terme. Par ailleurs, comme dans le cas des Émirats, ces oléoducs de contournement ne permettent d’exporter qu’une partie des volumes normalement exportés via le détroit», explique-t-il au micro de Sputnik.
«Tous les pays exportateurs du Golfe qui le peuvent veulent réduire leur dépendance au détroit d’Ormuz. Les Émirats arabes unis ont déjà un oléoduc fonctionnel d’une capacité de 1,5 million de barils par jour, soit 50% de plus que le nouvel oléoduc iranien de contournement d’Ormuz», précise le directeur de Géopolia.
En effet, deux pipelines passent actuellement par la région: l’oléoduc Petroline, qui traverse l’Arabie saoudite d’est en ouest, et l’oléoduc qui relie l’émirat d’Abou Dhabi à celui de Sharjah.
Il y aurait, selon Philippe Sébille-Lopez, une volonté de Téhéran de survendre l’inauguration de Jask pour montrer que le pays peut continuer à se développer même sous le joug des sanctions américaines. Un pari en partie réussi.
Source: Sputnik