Le Liban n’en est certes pas à sa première démêlée avec l’Arabie saoudite qui cherche les prétextes pour punir le Liban, dans ses moments les plus difficiles, où il est confronté à une crise économique inédite.
Les déclarations du ministre de l’Information George Kordahi lui en a présenté un nouveau pour convoquer son ambassadeur au Liban, expulser celui du Liban au royaume et suspendre les relations commerciales entre les deux pays. Et à d’autres pays du Conseil des pays du golfe de suivre le pas. Y compris les Emirats arabes unis, et le Koweït. Le Qatar et Oman se sont abstenus.
La re publication de ses propos dans lesquels il critique la guerre au Yémen, la qualifiant d’absurde et estimant que l’organisation houthie Ansarullah défendait son pays n’est pas anodine. Ils avaient été prononcés quelques mois avant sa nomination et ne devraient donc pas impliquer le gouvernement.
Plus ahurissante en est la disproportion de la réaction saoudienne en voulant punir tous les Libanais si on s’en remettait exclusivement aux faits.
Une réaction qui n’est pas sans rappeler la précédente, l’affaire de trafic illicite de captagon dans une cargaison de grenadines exportée en Arabie depuis le Liban, et qui avait servi d’alibi pour couper les importations libanaises.
La décision était d’autant plus illogique que les contrebandes et les trafics illicites sont une occasion pour unir les efforts entre les Etats et non pour couper les ponts. Une affaire de captagon datant depuis 2016 et dans laquelle un émir saoudien était impliqué n’avait pas provoqué une réaction similaire de la part de Beyrouth !
Il était clair que ces faits ne sont que des prétextes pour que Riyad pousuive sa politique hostile au Liban depuis la crise qu’elle a provoquée en 2017. Le prince héritier Mohamad ben Salman avait alors séquestré l’ex-Premier ministre libanais Saad Hariri, en visite à Riyad, l’a obligé à présenter sa démission devant les écrans avant de se rétracter en raison du tollé soulevé auprès de l’ensemble de la classe politique libanaise voire même de l’opinion publique. Sous le coup de la médiation du président français Emmanuel Macron, il a dû le relâcher.
Depuis, l’Arabie a banni Saad Hariri, pourtant son allié depuis des décennies, nuisant à ses investissements et intérêts en Arabie. Elle affirme dans les coulisses qu’il ne l’intéresse plus.
Elle l’a remplacé par le chef du parti des Forces libanaises, Samir Geagea qui est devenu son homme de main, son favori. Comme en attestent les visites amicales à Meaarab de son ambassadeur au Liban et l’aide financière considérable, selon les médias. On rapporte dans les coulisses que c’est Geagea qui a été dénoncer Hariri auprès des Saoudiens, leur soufflant qu’il était trop mou avec le Hezbollah.
Car pour l’Arabie, c’est bien là que le bât blesse. Elle reproche au chef du courant du Futur de ne pas avoir pu circonscrire le Hezbollah de la vie politique libanaise.
« La crise avec le Liban est causée par l’hégémonie du Hezbollah », a ouvertement lâché le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhan, le samedi 30 octobre à la CNBC.
« L’hégémonie du Hezbollah rend infructueuse toute relation avec le Liban et inquiète l’Arabie », a-t-il ajouté.
Ce qui est de l’hégémonie du point de vue saoudien n’est que le rôle qui est dû au Hezbollah en tant que partie intégrante des composantes politiques et populaires au Liban. Dans la vie politique et les institutions étatiques, le parti de la résistance libanaise ne dispose pas d’atouts supérieurs aux autres partis et représentations politiques libanaises. A l’instar des autres, il est aussi incontournable.
C’est son élimination pure et simple que les saoudiens semblent exiger dans le contexte de leur lutte acharnée contre l’axe de la résistance dans la région.
« L’Arabie saoudite demande à M. Hariri ce qu’il ne peut faire », avait expliqué une fois le vice-secrétaire général du Hezbollah cheikh Naim Qassem.
« Si les Saoudiens ont quelque chose contre le Hezbollah, qu’ils s’en prennent au Hezbollah, et laissent tranquilles les autres Libanais. Traitez avec nous », avant lancé sayed Hassan Nasrallah dans un de ses discours.
Comme lors de la séquestration de Saad Hariri, les vicissitudes de la politique saoudienne sont très mal perçues au sein d’une bonne partie de l’opinion publique libanaise. Et chez certains partis politiques.
Le samedi 30 octobre, le chef du courant Marada, auquel appartient le ministre Kordahi n’a pas mâché ses mots.
« Il a été traité injustement. Et je le soutiens entièrement », a déclaré Sleiman Frangiyeh, avertissant que s’il démissionne, il ne proposera personne d’autre à sa place, au risque que le gouvernement soit dissous.
Et d’ajouter : « je ne veux pas de problèmes avec l’Arabie saoudite, je veux les meilleures relations avec elle. Mais je voudrais aussi que la dignité des gens soit respectée ».
Le contenu d’innombrables tweet et messages sur les réseaux sociaux illustrent le sentiment chez les Libanais d’être de plus en plus humiliés par l’Arabie saoudite, persuadés qu’elle veuille exploiter les faiblesses économiques et financières de leur pays pour les amener à se soumettre à sa politique éliminatrice.
« Le Liban n’est pas le souffre-douleur de l’Arabie ou des Emirats ni d’aucun autre pays. Son affaiblissement, son intimidation et l’atteinte à sa dignité nationale ne sont pas admissibles et sont condamnables », a lancé ce dimanche 31 octobre le chef du Conseil exécutif du Hezbollah cheikh Ali Daamouche.
Rappelant que « les libertés générales et la diversité sont dictées par notre constitution », le député du Hezbollah Hassan Fadlallah a rejeté d’imposer au Liban « un régime politique répressif autoritaire », défendant les propos de Kordahi de soutien au peuple yéménite face à la guerre dirigée par l’Arabie soaudite contre ce pays.
« C’est comme cela qu’ils dirigent leur pays, ils interdisent aux gens de parler, ils ne sont pas habitués à accepter les points de vue des autres », a-t-il soutenu.
« Il ne s’est pas trompé… certains dramatisent contre lui en disant que le pays va s’effondrer… à notre avis, l’affaire n’est pas liée à sa démission ni à sa personne. Ils vont continuer dans leurs tentatives de faire plier tout le pays, nous soutenons son maintien », a ajouté M. Fadlallah. Réitérant le soutien du Hezbollah au ministre libanais. A l’opposé de la position du courant du Futur et du parti des Forces libanaises qui exigent sa démission.
Sachant que le Premier ministre libanais Najib Mikati qui s’est démarqué de ses propos l’a appelé implicitement à démissionner. Sans pour autant le révoquer.
Ce dimanche, M. Kordahi a dit son dernier mot: « ma démission est hors de question”, a-t-il affirmé dans une interview pour une télévision locale.
A Sanaa, qui se sent particulièrement flattée par ses propos de soutien à Ansarullah, lui a été dédiée une grande banderole sur une artère principale de la ville: « Oui George. La guerre du Yémen est absurde ».
Source: Divers