La région du Kurdistan irakien est le théâtre d’un nouveau mouvement de contestation lequel se répète depuis 10 ans.
Malgré l’instauration d’une autonomie politique dans cette région du nord-est irakien, la population kurde n’en est nullement favorisée. Elle est de plus en plus désillusionnée.
La troisième semaine de ce mois-ci a été émaillée par des manifestations organisées par les étudiants de la ville de Soulaymaniya, qui protestaient contre la suspension de leur bourse universitaire et le manque de services dans leurs universités et instituts.
Ils voudraient percevoir la modique somme entre 40 et 66 dollars par mois , comme cela était de vigueur avant sa suspension en 2014. Ils sont 135 mille étudiants qui ont besoin de cette cotisation pour poursuivre leur enseignement universitaire.
Alors que les autorités kurdes justifiaient à cette époque cette mesure par la chute du cours du pétrole et les divergences avec le gouvernement central de Bagdad autour du budget à octroyer à cette province, les manifestants ciblent surtout la corruption et le clientélisme de la caste au pouvoir qui ne cesse de s’enrichir.
Celle-ci est axée depuis des décennies autour de deux dirigeants kurdes historiques, de leur clan et de leur parti politique : le chef l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) Jalal Talabani, et le chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) Massoud Barzani. Ces frères ennemis de l’histoire moderne des Kurdes, lesquels se sont réconciliés après des décennies de combats meurtriers entre eux, se partagent le pouvoir dans le Kurdistan irakien depuis que leurs zones respectives se sont unies en 2006. Et ce n’est pas pour le bonheur de leur population.
Avant de mourir, Talabani confessait que cette région compte 19 milliardaires en dollars en 2017 . En font partie ses fils dont Qubad qui est actuellement le vice-président du Kurdistan, et le fils de Massoud Barazani, Masrour. Le fils de ce dernier, Netchrivan est actuellement président du gouvernement du Kurdistan.
Auparavant, la chercheuse Berévan Adlig avertissait : « Jusqu’à présent, les partis politiques kurdes imputaient la guerre et la misère au régime baasiste [de Saddam Hussein], mais les Kurdes ne sont pas dupes et désormais attendent de leurs dirigeants qu’ils mettent fin aux pratiques de corruption. »
Lorsqu’en 2011 ont eu lieu les premières manifestations à Souleimaniyé, fief de l’UPK les milliers de jeunes qui défilaient scandaient : « Gouvernement démission ! », « Les corrompus devant la justice ! ».
En décembre 2020, des manifestations ont mobilisé des milliers de personnes qui protestaient contre le retard dans le paiement des salaires des fonctionnaires du secteur public et la dégradation de la situation économique.
Durant cette semaine-ci, d’autres villes du Kurdistan irakien ont rejoint la fronde des étudiants. Et comme d’habitude, ils ont été violemment réprimés par les forces de l’ordre. La responsabilité de cette violence est imputée aux deux partis au pouvoir.
La page de l’organisation Kurdistan Watch a posté la vidéo montrant un membre du parti de Barazani, le PDK, proférant des menaces contre les étudiants : « je vous frapperai jusqu’à la mort… vous n’êtes pas des étudiants. Celui qui ose faire quelque chose je le frapperai jusqu’à la mort »
Des menaces qu’il ne faut pas prendre à la légère, et dont en pâtissent aussi les journalistes, qui ont leur lot de persécutions pour les empêcher de faire leur travail et leur interdire de critiquer ou de rapporter les voix critiques.
Ils ont été interdits d’accéder sur les lieux des manifestations de Soulaymaniya et d’interviewer les manifestants. Cela se poursuit depuis 10 ans.
En 2020, ont été recensés 385 violations à l’encontre de 291 journalistes du Kurdistan. Et 75 d’entre eux ont été arrêtés sans avis judiciaire.
Leur icone est le jeune Saradacht Osman. Journaliste et étudiant en Anglais, il a été arrêté le 4 mai 2010, pour ses articles dans lesquels il dénonçait la corruption dans laquelle avaient trempé des responsables gouvernementaux et de grands responsables appartenant aux deux partis. Il a été retrouvé tué de deux balles dans la tête. Les autorités du Kurdistan ont tenté de faire adosser sa mort à un groupe jihadiste, Ansar à l’Islam, actif dans cette région, faisant croire qu’il travaillait pour eux. Mais cette version a été catégoriquement rejetée par les journalistes et par le frère de la victime qui a fui le Kurdistan et vit désormais en Europe.
Ces deux partis se permettent cette répression en toute impunité grâce au soutien que leurs procurent les Etats-Unis.
« Les Etats-Unis ne se préoccupent que de leurs intérêts… Ils n’accordent aucune priorité aux gens, tant que les gens au pouvoir sert leurs intérêts en Irak et dans la région » a accusé l’homme politique kurde indépendant Amin Baker.
La crise a été cette fois-ci exacerbée par le sort de plus de 7000 kurdes irakiens bloqués à la frontière entre la Bielorussie et la Pologne, dans leur fuite vers la Grande Bretagne. Désespérés par la situation dans leur Kurdistan irakien, ils ont laissé derrière eux leur rêve brisé.
Sources: Al-Mayadeen, Le Monde Diplomatique, Wikipedia…