Ils font la fête à l’intérieur du bunker : une nouvelle clôture autour de la bande de Gaza a été inaugurée. Une clôture ? Une barrière terrifiante. Tous les invités d’honneur du ministère de la Défense ont été conviés à « l’événement d’annonce de l’achèvement du projet » – en l’absence du lépreux Benjamin Netanyahou, qui détient des parts fondatrices dans le projet et n’a bien sûr pas été invité. Ils se sont serrés dans les bras, comme seuls les vieux potes savent le faire, ont tapé dans le dos de « Monsieur Clôture », le général de brigade Eran Ofir, qui porte le titre poétique de « chef de l’administration des frontières et de la ligne de démarcation » – dans un pays qui n’a pas de frontière et qui a à peine une ligne de démarcation. Le ministre de la Défense, Benny Gantz, a déclaré que la barrière était « créative », comme s’il s’agissait d’une œuvre d’art, et tout le monde était ravi et débordait de fierté.
Après tout, comment ne pas se réjouir devant les 3,5 milliards de shekels |=992 millions d’€] jetés par les fenêtres : autrement dit, enfouis profondément dans le sol, et en échange desquels Israël a reçu 2 millions de mètres cubes de béton, 140 tonnes de fer et d’acier qui ne rouilleront jamais, y compris des capteurs sensibles à toute binette utilisée par un membre du Hamas, et la sécurité pour toujours pour les enfants vivant en Israël près de la frontière de Gaza – qui est bien sûr « sans prix ».
Ils sont même venus de l’Amérique de Donald Trump à l’époque pour regarder la merveille – la fierté d’Israël. Chaque volée de roquettes Qassam passait par là et voyait les trois usines à béton construites là, les tonnes de ciment et de fer versées dans le sol dans un pays qui verse à ses handicapés 3 200 shekels [=900 €] par mois, et exige qu’ils se contentent de cela pour vivre, car il n’a pas d’argent.
Pendant que le monstre de fer et de béton était enfoui dans la terre, pas un seul débat public n’a été organisé sur cette entreprise insensée. Parce qu’il y avait quoi à discuter ? De la sécurité. Il est peu probable qu’il y ait ne serait-ce que 1000 Israéliens, sans compter les entrepreneurs et leurs familles, qui aient entendu parler de tout cela. Il est ridicule d’exiger un débat public sur la question, que seuls les généraux de brigade comprennent, et dont des personnages comme Trump sont si ravis.
C’est excitant de voir la clôture maintenant dans toute sa gloire. Elle peut servir de nouveau monument national pour commémorer la santé mentale temporaire que le pays a perdue. Un convoi de limousines amènera les invités officiels de l’étranger – directement de Yad Vashem – pour voir cette merveille. Ici est enterrée la raison d’Israël. Ici, il a enfoui sa tête aussi profondément que possible dans le sable, et ici, il a finalement été déclaré nation maboule. Un État militaire sophistiqué, qui s’entoure de clôtures qui n’ont aucun rival dans le monde, face à des milices aux pieds nus, qui ne cesseront jamais de le harceler tant qu’elles seront emprisonnées à l’intérieur de la bande de Gaza. Un pays qui investit des dizaines de milliards de shekels supplémentaires dans la préparation d’une attaque non moins folle contre l’Iran, tout en sachant qu’il ne la mènera jamais à bien, a besoin d’un monument de bon sens – et sa place est à la frontière avec la bande de Gaza.
Derrière les façades bondées des grilles de fer, il n’est plus possible de voir ce qui se trouve de l’autre côté. Mais personne ne veut voir non plus. Il y a là un énorme camp de concentration pour les humains.
Lorsque la clôture a été construite autour de Qalqilyah en Cisjordanie, elle faisait penser à un camp de concentration. Quiconque osait faire la comparaison était bien sûr immédiatement condamné. Face à la clôture de Gaza, il n’est plus possible de tromper qui que ce soit : voilà à quoi ressemble la clôture d’un ghetto, d’une prison, d’un camp de concentration. Il n’y a qu’en Israël qu’on célèbre la construction d’un camp de concentration. Seul le ciel du ghetto est encore ouvert, et de façon limitée. Bientôt, la prochaine invention diabolique de l’establishment de la défense : un dôme de fer, un énorme plafond au-dessus du ciel de Gaza. Le chef de l’administration « des frontières et de la ligne de démarcation » y travaille déjà. D’abord, il doit en finir avec le mur intimidant en cours de construction à la frontière libanaise, et ensuite il sera libre de le faire aussi.
Deux millions de personnes ont été emprisonnées sans interruption pendant 15 ans – il n’y a jamais eu d’autre camp de concentration comme celui-ci. La clôture qui a été inaugurée mardi est impitoyable : elle restera à jamais. Vous ne serez jamais libérés, Gazaoui·es. Après tout, on ne jette pas un milliard de dollars à la poubelle.
La ligne Bar-Lev était un piège mortel, la barrière de séparation est ouverte et déchirée depuis longtemps, et aucune leçon n’a été tirée. Mais les Israéliens font la fête. Il y a un trop-plein de sécurité dans le sud, aussi – tellement de sécurité qu’il ne reste rien pour quoi que ce soit d’autre.
Par Gideon Levy : Analyste israélien
Sources : Haaretz, Traduit par Fausto Giudice ; Tlaxcala