L’ancien chef de la diplomatie française explique avoir participé aux discussions auxquelles se réfère aujourd’hui la Russie quand elle évoque des promesses occidentales de non-élargissement de l’OTAN, faites à l’URSS à la fin de la Guerre froide.
Depuis plusieurs semaines, des chancelleries occidentales reprochent à Moscou de « masser ses troupes » dans le sud-ouest de la Russie, en s’appuyant sur l’hypothèse, brandie avec insistance par l’administration américaine, selon laquelle l’armée russe serait sur le point d’envahir l’Ukraine. L’allégation a d’ailleurs récemment provoqué une vive réaction de l’exécutif ukrainien, qui a reproché à Washington d’être à l’origine d’une panique malvenue.
Démentant catégoriquement le projet d’invasion qui lui est imputé, Moscou a de son côté assuré à plusieurs reprises que les activités militaires menées sur son territoire étaient conformes au droit international et avaient pour principal objectif de garantir la sécurité de la Russie face à la politique d’élargissement de l’OTAN en direction de ses frontières. Ce point préoccupe particulièrement la partie russe, qui perçoit l’accumulation des troupes de l’Alliance en Europe de l’Est comme une trahison des promesses occidentales faites à l’URSS à la fin de la Guerre froide.
Cependant, les promesses sur lesquelles se base aujourd’hui la Russie sont fortement remises en question au sein du paysage politico-médiatique occidental, où elles sont parfois présentées comme un « mythe » ou encore comme une « contrevérité historique ».
Promesses occidentales, mais encore ?
À l’occasion d’un entretien publié le 13 février sur le site Les Crises, l’ancien chef de la diplomatie française Roland Dumas est revenu sur le sujet, rappelant avoir lui-même participé aux discussions auxquelles se réfère la Russie.
Alors ministre français des Affaires étrangères, Roland Dumas a en effet participé en 1990 aux tractations en amont du traité de Moscou, qui portaient en premier lieu sur la réunification de l’Allemagne, et au cours desquelles ont également été abordées les considérations générales visant à mettre un terme définitif à la Guerre froide.
« On voulait surtout éviter un retour de la Guerre froide », témoigne aujourd’hui l’ancien haut diplomate, selon lequel il a aussi été question du désarmement à trois niveaux.
Il raconte que la délégation de l’URSS avait à l’époque soumis deux requêtes majeures auprès de ses alliés occidentaux : l’une portait sur l’entretien des monuments à la gloire de l’armée soviétique après le départ de ses troupes ; l’autre portait sur un engagement occidental sur le fait qu’« il n’y ait pas de déplacement des troupes de l’OTAN dans les régions du pacte soviétique qui [devaient] être désarmées ».
« Cette discussion a eu lieu, d’abord parce que les Russes l’ont demandée [et] parce que nous l’avons soutenue : moi le premier, les Américains aussi, et les Allemands évidemment », explique alors l’ancien haut diplomate.
« Je me souviens très bien de la scène, [James] Baker [alors secrétaire d’État américain] est intervenu après moi en disant : “Même si M. Dumas ne l’avait pas demandé, moi, je l’aurais demandé” », relate-t-il encore en référence à l’engagement occidental d’un non-élargissement de l’OTAN vers l’est.
Mais c’est le contraire qui a eu lieu. Entre 1990 et 2022, 12 pays qui faisaient partie du Pacte de Varsovie ou de l’Union soviétique ou d’autres pays de l’Est ont intégré l’OTAN.
Le site Les Crises expose les dates les plus importantes concernant l’Ukraine : elles illustrent comment le fait accompli s’est glissé et a été imposé.
Et en 2008, l’OTAN fait la promesse à l’Ukraine et à la Géorgie qu’elles rejoindraient l’organisation. Mais face au désaccord entre George Bush d’une part, favorable à une adhésion, et d’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, très réticents, aucune date n’a été avancée.
En 2014, il y a eu le coup d’Etat du Maidan, qui a évincé le président pro russe et apporté au pouvoir la clique des pro occidentaux, à leur tête Petro Porochenko. Cette année même, l’Ukraine abandonne son statut de pays non-aligné.
En 2019, ce pays inscrit dans sa Constitution sa volonté d’adhérer à l’UE et à l’OTAN. C’est l’année où Volodymyr Zelensky succède à Porochenko. En 2020, l’OTAN lui accorde le statut de partenaire « nouvelles opportunités ».
En 2021, les choses vont en s’accélérant : le président ukrainien a indiqué en février que sa première question à Joe Biden concernerait l’adhésion de son pays à l’OTAN. En juin, il lui demande de lui répondre par « oui » ou « non » pour l’adhésion de l’Ukraine. En septembre de la même année, il rencontre Biden, et lui a demande d’accélérer l’adhésion de l’Ukraine.
Le mois suivant, la Russie indique qu’elle estime que la taille de l’armement militaire de l’Ukraine opéré par l’OTAN menace sa sécurité, même si l’Ukraine n’est pas encore membre de l’OTAN.
En novembre, elle commence à déplacer certains de ses soldats près de la frontière russo-ukrainienne. C’était un message clair, encore plus clairement exprimé le 18 novembre 2021 : pour Poutine, l’Occident prend les lignes rouges de la Russie bien trop à la légère.
Le 7 décembre 2021, il a demandé à Biden des garanties sur le non-élargissement de l’OTAN. Deux jours plus tard, ce dernier refuse de les lui accorder. Le 16 décembre 2021, le président ukrainien est reçu à l’OTAN. Et dans la foulée de ce sommet, l’OTAN et l’UE menacent la Russie.
Selon le site Les Crises, cette crise montre l’incompétence de la diplomatie occidentale, empêtrée dans une promesse faite à la légère il y a 15 ans à l’Ukraine. Une décision que les pays membres, en particulier la France et l’Allemagne, comprennent bien qu’ils ne peuvent la concrétiser, car cela déclenchera une gigantesque crise avec la Russie.
« Mais, en réalité, la solution à la crise est très simple, et le Président Macron pourrait même l’appliquer seul : indiquer que la France met son véto à toute extension de l’OTAN, à commencer par l’Ukraine et la Géorgie. Et mettre en place pour eux un statut d’État neutre, coopérant avec tous ses voisins, statut qui les protégera finalement bien mieux, puisqu’on image très mal les États-Unis mettre en péril leur existence pour des problèmes frontaliers de l’autre côté de la Planète », en conclut Les Crises.
RT rapporte que fin 2021, en pleine poussée de crise diplomatique autour de l’épineux dossier ukrainien, le dernier président soviétique Gorbatchev avait critiqué avec virulence la politique atlantiste qui s’est depuis intensifiée.
« Ça leur est monté à la tête, l’arrogance, l’autosatisfaction, ils se sont proclamés vainqueurs de la Guerre froide alors qu’on avait ensemble sauvé le monde de la confrontation […] Comment peut-on espérer des relations d’équité avec les États-Unis, avec l’Occident, dans cette situation ? » Selon lui, le camp occidental voulait « bâtir un nouvel empire » et « c’est là qu’est née l’idée de l’élargissement de l’OTAN ».
Les Russes estiment avoir été arnaqués. Quand bien même la promesse n’a été faite qu’oralement. Reste à savoir pourquoi elle n’a pas été faite à l’écrit.
Sources: RT France; Les Crises