Une large coalition d’entreprises du secteur technologique américain commence à préparer une action judiciaire commune pour contester le décret anti-immigration du président Donald Trump, ont indiqué mardi des sources proches du dossier.
Le président américain Donald Trump a suspendu vendredi par décret l’entrée aux Etats-Unis des ressortissants de sept pays à majorité musulmane (Iran, Irak, Yémen, Somalie, Soudan, Syrie et Libye) et de tous les réfugiés, le temps de revoir les critères d’octroi de visas.
Ce décret a provoqué une levée de boucliers, en particulier dans le secteur technologique où les dirigeants de Google, Microsoft, Facebook, Apple, Amazon et Netflix ont notamment exprimé leurs inquiétudes.
Plus de 20 entreprises devraient participer à une réunion pour discuter de leurs options contre le décret, qui risque d’avoir des conséquences importantes pour un secteur employant des milliers d’immigrés et d’étrangers.
« C’est encore très tôt mais la stratégie serait probablement similaire à celle du dossier sur l’iPhone de San Bernardino », a indiqué sous couvert d’anonymat un salarié du secteur technologique au courant des discussions.
Les autorités avaient tenté de forcer Apple à aider la police à débloquer un iPhone appartenant à l’un des auteurs de la fusillade qui avait fait 14 morts dans cette ville de Californie en 2015.
Le groupe avait refusé, et plusieurs entreprises du secteur technologique l’avaient soutenu en envoyant une lettre à la justice afin d’appuyer ses arguments (amicus brief).
Parmi les participants attendus à la réunion figurent entre autres Alphabet, la maison mère du géant internet Google, le service de vidéo en ligne Netflix, la plateforme de réservation d’hébergement chez l’habitant Airbnb et le réseau social Twitter, d’après la source.
D’autres entreprises ont été invitées dont l’éditeur de logiciels Adobe Systems, les plateformes de stockage en ligne Dropbox, de vente de produits artisanaux Etsy ou de commentaires d’internautes Yelp, la fondation Mozilla qui développe le navigateur internet Firefox, le service Pinterest qui propose d’épingler des photos liés à ses centres d’intérêt, le site de blogs Reddit, le groupe informatique Salesforce, la société de satellites SpaceX et l’éditeur de jeux vidéo Zynga.
Les discussions incluent « plusieurs » membres d’une association du secteur technologique basée à Washington, a également indiqué une autre source.
Rafale de recours
Plusieurs procédures judiciaires ont été lancées ces derniers jours contre le décret, et des juges en ont bloqué certains éléments.
Le géant de la distribution en ligne Amazon et le voyagiste sur internet Expedia, qui ont leur siège dans l’Etat de Washington (nord-ouest), ont déjà transmis des documents à la justice pour soutenir une plainte du ministère de la Justice de cet Etat réclamant l’arrêt immédiat de l’application du décret, car il l’estime inconstitutionnel.
Amazon a indiqué avoir 49 salariés nés dans l’un des pays cités dans le décret présidentiel, ainsi que sept personnes auxquelles il avait fait une offre d’emploi.
Le groupe a précisé avoir « contacté les salariés concernés d’Amazon et les personnes dépendant d’eux, et recommandé qu’ils s’abstiennent de voyager en dehors des Etats-Unis jusqu’à nouvel ordre ».
Depuis vendredi, plusieurs entreprises et associations technologiques ont critiqué le décret et prévenu qu’il risquait de nuire à la compétitivité du secteur aux Etats-Unis.
Les mesures « créent une incertitude considérable autour du système d’immigration de notre nation et auront un impact négatif sur les travailleurs du secteur technologique qui vivent et travaillent dans notre nation », a notamment indiqué Linda Moore, présidente de l’organisation sectorielle TechNet.
Le département d’Etat a reçu la protestation de ses diplomates « dissidents »
Par ailleurs, le ministère américain des Affaires étrangères a officiellement entre les mains un mémorandum de nombre de ses diplomates « dissidents » qui dénoncent le décret anti-immigration du président Donald Trump, a indiqué mardi un responsable américain.
« Nous avons reçu le mémo dissident », a annoncé à quelques journalistes ce cadre du département d’Etat à propos de ce texte signé par des centaines de diplomates et fonctionnaires du ministère contre l’ordonnance que M. Trump a paraphée vendredi pour suspendre l’entrée aux Etats-Unis de ressortissants de sept pays musulmans et de réfugiés du monde entier.
Bien que le département d’Etat soit en théorie passé sous le pavillon de l’administration Trump, beaucoup de ses diplomates ont transmis « un message par le canal dissident à propos du décret intitulé +Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis+ », avait confié lundi Mark Toner, porte-parole intérimaire de la diplomatie américaine.
Le « canal dissident » est un moyen de communication interne au ministère des Affaires étrangères créé en 1971 durant la Guerre du Vietnam et qui permet aux agents de pouvoir « exprimer leurs opinions avec franchise et de manière confidentielle auprès de leur hiérarchie ».
Dans ce mémorandum, dont une copie à été publiée lundi par le blog spécialisé Lawfare, les diplomates contestataires dénoncent « une politique qui ferme la porte à plus de 200 millions de voyageurs légitimes dans l’espoir d’empêcher une petite fraction d’utiliser le système des visas pour entrer aux Etats-Unis et s’en prendre aux Américains ».
Cela « ne répondra pas à l’objectif d’un pays plus sûr », protestent les « dissidents », quelques jours seulement après que leur président a pris son décret, provoquant un tollé aux Etats-Unis et à l’étranger. Mais la colère de ces diplomates n’a pas plu à la Maison Blanche qui leur a lancé un ultimatum:
« Soit ils acceptent le programme, soit ils s’en vont », avait tonné lundi son porte-parole Sean Spicer.
Le « canal dissident » avait été rouvert pour la dernière fois en juin 2016 lorsqu’une cinquantaine de diplomates avaient réclamé que les Etats-Unis frappent militairement la Syrie, une critique sévère contre leur président et leur secrétaire d’Etat de l’époque, Barack Obama et John Kerry, lesquels refusaient toute intervention armée d’envergure en Syrie.
Mais une contestation officielle émanant du département d’Etat dix jours après l’investiture d’un nouveau président et avant même que son secrétaire d’Etat soit en fonction est du jamais vu.
Avec AFP