Une rupture historique en Colombie, après une longue succession de présidents libéraux et conservateurs : Gustavo Petro est devenu le premier président de gauche du pays le 19 juin en recueillant environ 50,5% des voix, contre 47,3% à son concurrent, l’homme d’affaires Rodolfo Hernandez, qui avait créé la surprise au premier tour en devançant la droite traditionnelle.
«Aujourd’hui est un jour de fête pour le peuple. Laissez-le célébrer la première victoire populaire», s’est félicité le vainqueur sur Twitter, son adversaire ayant concédé la défaite en espérant qu’il reste «fidèle à son discours contre la corruption».
Le scrutin s’est déroulé dans le calme, le nouveau chef de l’Etat ayant affirmé qu’il serait à l’écoute : «Les partisans de Rodolfo Hernandez pourront venir dialoguer avec nous quand ils veulent.», a-t-il déclaré, assurant que «l’opposition, quelle qu’elle soit, sera toujours la bienvenue pour dialoguer».
Un ancien guérillero devenu social-démocrate
«J’ai consacré ma carrière à ce combat pour la justice sociale, contre les inégalités et la corruption», a notamment déclaré Gustavo Petro durant la campagne, se disant «prêt à conduire le destin» du pays et à «gouverner par l’amour et non par la haine».
A la tête de la coalition de gauche dite du «Pacte historique», il était candidat pour la troisième fois à la magistrature suprême.
Economiste de formation, il a appartenu dans sa jeunesse à la petite guérilla urbaine du M-19, qui a déposé les armes en 1990.
Ses adversaires l’ont d’ailleurs attaqué sur ce point pendant la campagne, évoquant la perspective de voir la Colombie basculer dans le «communisme» ou de s’aligner sur le Venezuela voisin, en proie à de sérieuses difficultés économiques.
Selon l’AFP, son engagement politique et dans la guérilla a pris racine dans son rejet du coup d’Etat militaire au Chili perpétré en 1973 contre le président socialiste Salvador Allende.
Admirateur du prix Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez, il avait adopté pendant sa clandestinité le nom d’Aureliano, personnage de Cent ans de solitude. Arrêté et torturé par l’armée, il a été emprisonné pendant un an et demi.
Comme le relève l’AFP, il a été inspiré par la théologie de la libération, courant du catholicisme favorable à la lutte armée et à un engagement radical auprès des pauvres d’Amérique du Sud.
Il était d’ailleurs l’unique candidat de l’élection colombienne à avoir rencontré le pape François. Gustavo Petro a été ensuite député, sénateur, maire de Bogota de 2012 à 2015, puis à nouveau sénateur.
Dénonçant les liens entre une partie de la classe politique colombienne et les groupes paramilitaires d’extrême droite, il a été contraint à un exil de trois ans en Europe après avoir reçu des menaces de mort.
Promesse de «justice sociale»
«Le gouvernement qui entrera en fonction le 7 août sera celui de la vie, de la paix, la justice sociale et la justice environnementale», a promis le nouveau président le soir de son élection.
Il s’est engagé à ce que la Colombie soit désormais «à la tête de la lutte contre le changement climatique dans le monde», et sauve, avec les autres pays du continent, la jungle amazonienne, prévoyant aussi de suspendre l’exploration pétrolière.
S’il s’est engagé à renforcer l’Etat, à réformer le système des retraites et la fiscalité afin de faire payer les plus riches, il a aussi tenté de rassurer les milieux d’affaires sur ses intentions, note Le Monde, en déclarant :
«Nous allons développer le capitalisme. Non que le système nous plaise, mais parce que nous devons sortir du féodalisme et entrer dans la modernité.»
Pour mettre en œuvre son programme, il s’appuiera sur sa colistière Francia Marquez, militante écologiste et féministe et première afrodescendante à occuper le poste de vice-présidente.
Gustavo Petro succède au président conservateur et pro-américain Ivan Duque, dont le mandat a été marqué par la pandémie, la récession économique et des manifestations antigouvernementales massives dans les villes, entraînant une répression féroce et des dizaines de morts parmi les protestataires, ce qui avait suscité une condamnation de la part de l’ONU.
Par ailleurs, la violence des groupes armés dans les campagnes et le narcotrafic feront partie des nombreux défis qu’aura à relever le nouveau dirigeant.
La gauche latino-américaine se réjouit
Les chefs d’Etat sud-américains ont salué son élection, dont le président de gauche Gabriel Boric, récemment élu à la tête du Chili, qui s’est dit prêt à travailler «ensemble pour l’unité de notre continent».
Nicolas Maduro, président du Venezuela, a félicité Gustavo Petro pour sa victoire, déclarant que «des temps nouveaux se profilent à l’horizon pour ce pays frère».
Sur le même registre, le président argentin Albero Fernandez s’est réjoui de la victoire de l’ancien guérillero, qui «valide la démocratie et assure la voie vers une Amérique latine intégrée, en ces temps qui exigent une solidarité maximale entre les peuples frères».
«La victoire de Gustavo Petro est historique», a salué le président du Mexique, Andrés Manuel Lopez Obrador, tandis que le dirigeant cubain Miguel Diaz-Canel lui a adressé ses «félicitations fraternelles» pour cette «victoire populaire historique».
Enfin, le président péruvien Pedro Castillo a assuré à son «frère Gustavo», qu’il pourrait toujours compter sur son soutien.