Le durcissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) a fait remonter en flèche les taux d’intérêt des dettes publiques européennes et l’écart entre les taux d’emprunts des différents pays.
Face à ce risque d’une « fragmentation » de la zone euro, voire d’une nouvelle crise de la dette, l’institution de Francfort a promis un nouvel outil.
Des détails pourraient être communiqués à l’issue de la réunion jeudi du conseil des gouverneurs.
Après des années à injecter des liquidités dans l’économie, la BCE vient de cesser d’investir dans de nouveaux achats d’obligations d’Etat et s’apprête à relever pour la première fois ses principaux taux pour tenter de juguler l’inflation.
Le problème est que les 19 pays de la zone euro (et même vingt en 2023 avec la Croatie) utilisent la monnaie unique sans avoir réellement mis au diapason leurs politiques budgétaires.
Avec des finances publiques nationales fortement sollicitées depuis la pandémie de Covid-19 et désormais face aux conséquences de la guerre en Ukraine, les coûts d’emprunts entre pays ont commencé à diverger, car les investisseurs réclament une prime de risque plus élevée aux Etats fortement endettés.
L’écart entre le rendement de l’emprunt allemand « Bund » à 10 ans, qui fait référence, et celui de l’Italie a ainsi doublé ces dernières semaines, passant de 1 à 2 points de pourcentage.
C’est bien moins qu’au pic de la crise de la dette en 2012 mais assez pour gêner l’action de la BCE.
La BCE voudrait que toutes les économies en zone euro profitent de la même manière des décisions prises sur ses taux de référence, mais la « fragmentation » se met en travers de cet objectif.
Il en découle qu’une entreprise ou un ménage italien paiera plus cher pour s’endetter que les mêmes acteurs en Allemagne, même s’ils présentent un profil de risque ou des garanties identiques.
Or, les changements de politique monétaire ne seront efficaces qu’en cas de « transmission ordonnée dans toute la zone euro », a martelé fin juin la présidente de la BCE Christine Lagarde.
Au-delà de vouloir maîtriser son action, la BCE s’inquiète de voir ressurgir des menaces sur l’unité de la zone euro, voire sur la monnaie unique elle-même, comme ce fut le cas il y a dix ans.
La BCE va prendre le temps d’analyser les « spreads » avant d’agir, en distinguant ce qui ressort de causes économiques, qui n’appellent a priori pas de réaction, et le « risque de panique des marchés », une dimension purement psychologique, selon Holger Schmieding, économiste chez Berenberg.
Cette panique nourrit la hausse des rendements obligataires et la BCE voudra la tuer dans l’oeuf.
Sa « première ligne de défense » pourrait prendre la forme de « réinvestissements flexibles » du portefeuille de dette au bilan des banques centrales, avance Frederik Ducrozet, chef économiste chez Pictet.
Par exemple, l’institut se fera rembourser un emprunt allemand à son échéance et rachètera un montant équivalent de dette italienne dont le taux devrait mécaniquement baisser.
Dans un second temps, l’institut pourrait dégainer « une nouvelle facilité d’achat (de dette) comme filet de sécurité », ajoute M. Ducrozet.
La liquidité créée par ces achats d’obligations serait « neutralisée » en proposant aux banques de déposer un montant équivalent auprès de la BCE, éventuellement contre rémunération, pour ne pas alimenter davantage l’inflation.
Un large accord au sein du conseil des gouverneurs de la BCE rendrait plus crédible l’instrument anti-fragmentation.
Or, le patron de la Bundesbank Joachim Nagel ne semble pas prêt à signer un chèque en blanc.
Seules « des situations exceptionnelles » pourraient justifier de recourir à un tel outil et encore de façon très encadrée, a prévenu ce banquier central très orthodoxe.
Mais cela va s’avérer « compliqué » de « comprimer les +spreads+ souverains sans donner de mauvais signaux aux autorités budgétaires », note Erik Nielsen, chef économiste chez Unicredit.
La BCE pourrait se voir reprocher de faire du financement d’Etat déguisé qui est interdit par le Traité.
Essayant d’anticiper des recours judiciaires émanant d’eurosceptiques, comme en Allemagne comme par le passé, Mme Lagarde a souligné que la lutte contre la « fragmentation injustifiée » « fait partie du mandat de la BCE » qui est de ramener l’inflation à 2%.
Source: Avec AFP