Le leader irakien sayed Moqtada Sadr, incontournable pilier de la scène politique, a annoncé lundi son « retrait définitif » de la politique et la fermeture de toutes les institutions liées à son mouvement, alors que l’Irak est plongé dans une grave crise.
« J’avais décidé de ne pas m’immiscer dans les affaires politiques. J’annonce donc maintenant mon retrait définitif et la fermeture de toutes les institutions à l’exception du Mausolée sacré (de son père Mohammed Sadr mort en 1999, ndlr), du Musée d’honneur et de l’Autorité du patrimoine Al-Sadr », a-t-il écrit sur Twitter.
Le clerc a fait cette annonce au moment où l’Irak est embourbé dans une profonde crise politique depuis les législatives d’octobre 2021.
L’Irak, riche en pétrole mais accablé par une grave crise économique et sociale, n’a toujours pas de nouveau Premier ministre, ni de nouveau gouvernement, les forces chiites n’arrivant pas à se mettre d’accord sur leur mode de désignation.
Désaccord et crise politiques
Sayed Sadr est l’un des poids lourds de la politique irakienne qui peuvent envenimer la crise ou sortir le pays de l’impasse.
Son Courant était arrivé premier aux législatives avec 73 sièges (sur 329).
Mais, incapable de former une majorité, et faute d’accord avec les autres composantes, il avait fait démissionner ses députés en juin, affirmant vouloir « réformer » de fond en comble le système et en finir avec la « corruption ».
Depuis des semaines, Moqtada Sadr, auquel des dizaines de milliers d’Irakiens obéissent au doigt et à l’œil, réclamait la dissolution du Parlement et de nouvelles législatives anticipées pour tenter de dénouer la crise.
Ses partisans occupent les abords du Parlement irakien à Bagdad depuis près d’un mois et, la semaine dernière, ils ont brièvement bloqué l’accès à la plus haute instance judiciaire du pays.
Et dans le bras de fer qui l’opposait à ses adversaires du Cadre de coordination, alliance des factions du Hachd al-Chaabi et des partis irakiens, Moqtada Sadr avait encore fait monter les enchères depuis fin juillet. Samedi, Moqtada Sadr avait proposé que « tous les partis » en place depuis la chute de Saddam Hussein en 2003 –dont le sien– renoncent aux postes gouvernementaux qu’ils détiennent pour résoudre la crise. Il avait alors donné « 72 heures », faute de quoi « il n’y aurait pas de place pour les réformes ».
Les partisans sadristes investissent les institutions étatiques
Après l’annonce de sa décision de se retirer de la vie politique, des centaines de ses partisans ont laissé éclater leur colère en envahissant le siège du Conseil des ministres à Bagdad.
Lundi après-midi, les sympathisants du chef religieux et politique sont entrés dans le « palais de la République », situé dans l’ultra-sécurisée Zone Verte dont les accès ont été fermés, a indiqué une source de sécurité sous couvert de l’anonymat. Selon un photographe de l’AFP, les manifestants ont pris place dans des fauteuils, certains brandissant des drapeaux irakiens, d’autres prenant des selfies. D’autres encore se baignaient dans un bassin dans le jardin.
Le « palais de la République », construit sous Saddam Hussein, était utilisé par l’ancien dictateur pour recevoir des hôtes de marque. Aujourd’hui, il abrite le Conseil des ministres que le Premier ministre Moustafa al-Kazimi a suspendu « jusqu’à nouvel ordre », appelant Moqtada Sadr à « enjoindre les manifestants à se retirer des institutions gouvernementales ».
Hors de la Zone verte, dans les rues de Bagdad, plusieurs milliers de sadristes se dirigeaient vers cette enceinte du centre-ville en scandant « Moqtada! Moqtada! », selon un journaliste de l’AFP. L’armée a annoncé la mise en place d’un couvre-feu à Bagdad à partir de 15h30 (12h30 GMT) et les forces de l’ordre ont été déployées en nombre dans la capitale.
En fin de journée, les partisans du courant sadriste se sont retirés de l’entourage de la Zone verte. Des tirs de feu ont été entendus et des blessés ont été déplorés. Ils ont aussi été évacués du Palais présidentiel.
Selon M. Kazimi, « ce qui se passe est le signe de la dangérosité des séquelles dues à la poursuite des divergences politiques et leur accumulation ».
Pour sa part, le président irakien Barham Saleh a appelé « les forces politiques à s’élever au dessus des divergences, à assumer leur responsabilité et à laisser le champ libre aux forces de sécurité pour accomplir leur mission ».
Position du Cadre de coordination
Quant au Cadre de coordination, il a affirmé son soutien à l’État et à ses institutions, « car il n’est en aucun cas possible de rester neutre lorsque les institutions de l’État sont attaquées et effondrées ». Il a souligné, dans un communiqué, que « le gouvernement et les institutions de sécurité doivent agir conformément à leur devoir national de protéger les institutions de l’État et les intérêts publics et privés ».
Le Cadre a également appelé tous les acteurs religieux, politiques et sociaux à intervenir et à prendre l’initiative afin d’éviter les conflits, de faire prévaloir le langage de la raison et du dialogue, d’épargner au pays davantage de chaos et d’effusion de sang, de tenir pour responsables tous ceux qui contribuent à la tension et incitent à l’escalade, et de développer des solutions pratiques et réalistes basées sur la constitution, la loi et le langage du dialogue comme base pour atteindre des résultats décisifs et rapides pour arrêter la souffrance des gens ».
Le Cadre a également appelé les frères du mouvement sadriste, les dirigeants et les masses, à revenir à la table du dialogue et à travailler avec leurs frères afin de parvenir à des ententes communes qui établissent une feuille de route claire qui adopte la loi et la constitution afin d’atteindre le intérêts de ce grand peuple.
Avis d’expert
Pour Hamzeh Hadad, chercheur invité au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), l’annonce du « retrait » de Moqtada Sadr « n’est pas très claire ».
« Dans la tradition sadriste, on peut s’attendre à ce qu’il fasse marche arrière », a-t-il jugé auprès de l’AFP. Mais, « et c’est plus terrifiant, on peut penser qu’il donne à ses partisans le feu vert pour faire ce qu’ils veulent, en disant qu’il ne répond plus de leurs actions ».
Moqtada Sadr a connu une ascension fulgurante après l’invasion de l’Irak emmenée par les Etats-Unis en mars 2003, notamment en créant l’Armée d’al-Mahdi, une milice « résistante » face à l’occupant, puis les Brigades de la paix, autre groupe armé à ses ordres, créé en 2014 après que Mossoul soit tombée aux mains des jihadistes takfiristes wahhabites Daech (EI)..
Et s’il ne participe pas directement à l’actuel gouvernement, son Courant dispose depuis de nombreuses années de relais dans les ministères et les administrations.
Source: Divers