Le journal libanais al-Akhbar a publié dans son édition de ce mardi 15 novembre un article qui dévoile le plan qui a été mis au point, à partir de 2016 par les régimes saoudien et émirati pour déstabiliser l’Iran. Notre site francophone al-Manar publie sa traduction en deux parties.
En réponse à une question posée par le journaliste Daoud Al-Shiriane sur le dialogue avec l’Iran, en 2017, la réponse de Mohammed ben Salmane allait à l’encontre des usages de la politique étrangère saoudienne. Il avait alors déclaré vouloir « transférer la bataille à l’intérieur de l’Iran ».
À l’époque, dans leur interprétation de ses propos, certains observateurs s’attendaient à ce que Riyad recourt à ses outils habituels à l’instar des cellules de Daech ou ses agents aux velléités séparatistes, originaires du Sistan-Baloutchistan, au plus profond de l’Iran. Cependant, dans les documents obtenus par Al-Akhbar, il est clair que ben Salmane entendait cibler l’intérieur iranien, à travers un plan visant à influencer la catégorie des jeunes iraniens, parallèlement à la rhétorique rampante de diabolisation de l’Iran, adressée aux deux publics arabes et islamiques. Les récents évènements en Iran illustrent parfaitement ce qui avait été planifié.
Une proposition, depuis 2016
Le matin du 2 janvier 2016, le monde s’est réveillé en apprenant la nouvelle de l’exécution du cheikh Nimr Baqir Al-Nimr (*), d’un groupe de jeunes originaires de la région d’Al-Qatif, ainsi que d’un groupe de responsables saoudiens et de cadres d’Al-Qaïda.
Les réactions de colère ont éclaté à l’intérieur du royaume de Salman et à l’extérieur, notamment en Iran, pour culminer avec l’incendie des bâtiments de la mission diplomatique saoudienne à Téhéran, par des jeunes iraniens en colère.
Quatre jours plus tard, le 6 janvier, le Conseil national des médias des Émirats arabes unis présentait aux représentants de l’Arabie saoudite et de Bahreïn une proposition de plan, qu’il appelait « La stratégie médiatique pour traiter le dossier iranien« , qui s’est développée les années suivantes, en coordination avec les Américains, dans un « plan pour saper l’Iran de l’intérieur ».
La proposition de stratégie médiatique présentée par le ministre d’État et président du conseil d’administration du Conseil national des médias des Émirats, Sultan Al Jaber, indique que l’objectif sous-jacent est de «construire une opinion publique hostile aux politiques iraniennes depuis le public interne et externe ».
La stratégie « met l’accent sur la dimension politique et s’éloigne du discours sectaire qui risque d’affaiblir le discours des médias publics s’il est basé sur celui-ci ».
Plus important encore, « les résultats de la stratégie devraient être atteints après des années ».
Les 4 publics visés par la stratégie
Dans la proposition initiale, comme le montre le document n° 1, le public cible est l’opinion publique régionale, l’opinion publique du Golfe, l’opinion publique à l’intérieur de l’Iran (le peuple iranien et les minorités iraniennes non persanes en particulier), et l’opposition iranienne à l’étranger et à la maison.
Il est à noter que dans le paragraphe «partenaires de l’exécution» , les Émiratis ont mentionné «l’Organisation de la coopération islamique» comme partenaire dans la mise en œuvre de la stratégie, aux côtés des entités officielles du Golfe, de la Ligue des États arabes, des groupes de réflexion et de l’opposition iranienne, sachant que la République islamique d’Iran est un membre authentique de l’organisation susmentionnée, où domine l’Arabie saoudite qui l’exploite dans ses intérêts depuis sa création.
Les accusations véhiculées contre l’Iran
Dans la rubrique des « éléments principaux » de la stratégie médiatique pour affronter le régime en Iran, Al-Jaber a mentionné tout ce que les médias du Golfe, ceux financés par les pays du Golfe, sionistes et financés par les États-Unis disent sur « l’ingérence de l’Iran dans les affaires de l’État » et ce qu’ils appellent « dévoiler le soutien de l’Iran au terrorisme sunnite et chiite. »
Le plus important de ces éléments stipulait « de s’adresser à l’opinion publique iranienne et de se concentrer sur les points de divergence entre le peuple iranien et le gouvernement iranien ».
Dans la proposition faite par les Emiratis, il y a une référence à la nécessité de prendre en compte les axes militaires et sociaux pour accroître l’influence réelle des médias au sein de la stratégie.
Il y est fait référence à « l’augmentation des dépenses de Téhéran en armement militaire tout en réduisant les dépenses dirigées vers les affaires sociales », en mettant en exergue le budget que l’Iran alloue pour soutenir les mouvements de résistance, tout en arguant que l’argent du peuple iranien « est destiné à détruire, dévaster et déstabiliser la région au lieu d’améliorer les conditions de vie des Iraniens ».
Dans l’encadré des principaux messages à faire passer, une liste de 14 points peut être résumée dans une idée centrale : « Il n’y a eu de problèmes dans la région qu’à partir de 1979, lorsque le régime de la Révolution islamique est apparu en Iran ».
Un centre d’études et une chaine d’information
La stratégie médiatique contient des détails sur les « mécanismes de mise en œuvre ».
Dans ce contexte, a été proposé le projet suivant : « le développement de programmes de télévision et de radio, la création de sites Web en arabe, en anglais et en farsi, la construction de plateformes de médias sociaux et l’utilisation des bras médiatiques des ambassades ».
Les deux outils les plus importants que la stratégie stipulait sont peut-être la création du Centre d’études et de recherche sur les affaires iraniennes et une chaîne d’information en langue persane qui diffuse des informations 24 heures sur 24 destinées à la jeunesse iranienne.
En réconciliant ce qui est énoncé dans le texte de stratégie et ce qui s’est passé sur le terrain, il s’avère que le Centre d’études a été créé en mars 2016 et portait le nom de «Centre du golfe arabe pour les études iraniennes». Mais son nom a ensuite été changé pour devenir « Institut international d’études iraniennes – Rasanah ». Il est géré depuis sa création par le Saoudien Mohammed Al-Salami.
Quant à la chaîne d’information « Iran International », lancée à Londres mi-2017, qui attire toujours des médias et des journalistes iraniens d’opposition, le texte de la stratégie précise que son budget oscille entre 20 et 60 millions de dollars par an (notant que des informations confirment que son budget annuel a maintenant doublé), et que son personnel est composé de 100 employés, et son objectif est « de s’adresser à la jeunesse iranienne en proposant des programmes sociaux qui affectent leur vie quotidienne ».
S’adresser aux jeunes iraniens
Parmi les « outils exécutifs » mentionnés dans le plan figure le lancement d’un « site Web pour les jeunes Iraniens qui correspond à leurs intérêts, avec des sites de réseaux sociaux d’accompagnement » intitulé Iranshub.com. Son budget est estimé à 338.000 dollars.
Cependant, il s’est avéré que le site n’était plus sur Internet depuis 2021, et lorsqu’il a été retracé jusqu’au service d’archivage Way Back Machine. Il s’est avéré que le domaine était réservé depuis 2017, sans qu’aucun contenu n’y soit placé depuis sa réservation, et il a été archivée trois fois en 2018, 2019 et 2021. Ce qui indique qu’il y a un possible détournement des fonds alloués au projet, sans jamais voir la lumière, ce qui est courant dans la coutume des souverains du Golfe.
« Imaginez si c’était l’Iran »
Les outils de mise en œuvre comprennent également un ensemble d’initiatives, notamment « Imaginez si c’était l’Iran » avec un budget de 338.000 dollars, et l’initiative « Réfléchir – Accepter – Changer » avec un budget de 546.700 dollars pour diffuser des visuels en ligne d’Iraniens influents vivant à l’étranger, pour encourager la jeunesse iranienne à changer l’image stéréotypée de la culture iranienne.
Il y a aussi l’initiative « Dessins animés et personnages de dessins animés », dotée d’un budget de 866.000 dollars, pour « accéder à des outils intéressants pour la jeunesse iranienne via les médias sociaux ». En plus de l’initiative « Youth Views » en « diffusant du matériel vidéo pour la jeunesse iranienne sur Internet afin de mettre en évidence une voix autre que la voix du gouvernement ».
Des séries télévisées et un portail
D’autres programmes proposés par les Emiratis incluent l’allocation de 2,68 millions de dollars pour « produire des séries dramatiques sur les valeurs et les faits liés aux EAU, pour les diffuser sur un certain nombre de chaînes qui atteignent le public persan ».
En plus d’un financement de 250.000 dollars pour « conduire des recherches et des sondages sur la perception des Iraniens des Arabes et ceux du Golfe et des Émirats arabes unis ».
Ainsi qu’un financement de 723.000 $ pour « produire un programme télévisé qui met en évidence les points communs entre les sociétés iraniennes et du Golfe en termes de l’espace et du temps pour stimuler les discussions via les réseaux sociaux ».
Cette section des outils exécutifs prévoyait la création d’un portail électronique pour la jeunesse iranienne, d’une valeur de 3,13 millions de dollars, « destiné pour être un rassemblement de la jeunesse persane dans diverses parties du monde ».
Les personnalités impliquées dans le plan
La stratégie a été présentée au sultan Al-Nuaimi (actuellement directeur général du Centre d’études et de recherche stratégiques des Émirats), maître de conférences au Collège de la défense nationale des Émirats arabes unis et au Collège de commandement et d’état-major (en tant qu’expert des affaires iraniennes), et à Adel Al-Tarifi, ministre saoudien de l’information jusqu’au 22 avril 2017, lors d’une réunion tripartite, entre les EAU, l’Arabie et le Bahreïn.
Après avoir approuvé la stratégie et accepté de coordonner entre eux pour commencer à préparer les outils exécutifs et identifier les aspects unifiés du travail, les Saoudiens et les Bahreïnis ont nommé deux personnes ayant « une formation en sécurité » pour prendre en charge le département de coordination de la stratégie. Il s’agit de Hani Al- Dhalan, conseiller du ministre saoudien de l’Information, et Ahmed bin Khalid Al-Arifi, du cabinet du premier vice-président du Conseil des ministres bahreïnis.
Le document n ° 2 montre que le Conseil national des médias des Émirats arabes unis a mis en place une équipe de 10 personnes au sein du conseil, qui connaissent bien les affaires iraniennes, pour suivre la mise en œuvre de la stratégie, en référence à la présence de l’ambassadeur émirati à Téhéran, Saïf Al-Zaabi dans les réunions du comité.
Retour aux trois îles
Selon le document, les Emiratis mentionnent 19 exigences, à commencer par « l’activation de la revendication des trois îles » en procédant par l’éclairage médiatique dans le Golfe et sur le plan international – par le biais de missions diplomatiques – sur le soi-disant « rôle interventionniste iranien dans les pays de la région», en passant par des contacts avec certaines personnalités « modérées » de la société civile iranienne dans le cadre de tentatives de commercialisation de la stratégie.
Les documents 3 et 4 sont deux lettres adressées par le président du Conseil national des médias des Émirats arabes unis, Sultan Al-Jaber, au ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, Abdel ben Zayed Al-Nahyan.
Il l’informe dans la première sur la stratégie, ses chapitres et ses objectifs. Dans la seconde, il expose les nouveautés dans l’exécution du plan du coté émirati.
Enrôler l’opposition iranienne de l’extérieur
Il indique aussi avoir pris contact avec deux protagonistes pour son exécution en référence à la communication avec l’Iranien Saad Mohseni, qu’il décrit comme un « magnat des médias » qui possède plusieurs chaînes de télévision, dont la chaîne « Farsi 1 », dans le but de « nous fournir une vision intégrée sur la manière de coopérer pour utiliser les plates-formes et les canaux qu’il possède et gère pour diffuser nos principaux messages. »
Ainsi, il y a une indication officielle émiratie selon laquelle les émiratis ont enrôlé l’opposition iranienne et des militants qui diffusent du contenu depuis l’extérieur de l’Iran pour leur permettre de livrer ce qu’ils veulent transmettre à l’intérieur iranien.
Quant à la deuxième entité, c’est GH Communication, une société de médias numériques basée aux Émirats arabes unis, qui a été invitée à soumettre des offres à étudier, car la société avait précédemment établi cinq plates-formes similaires.
Le feu vert des Américains
Le document n° 5 est le plus important, car ses auteurs se réfèrent à la présentation de la stratégie aux Américains et qu’elle a été adoptée par un comité tripartite américano-saoudien-émirati travaillant au sein de ce que l’on appelle les « outputs de l’American-Gulf dialogue stratégique ».
Il est clair que la date de présentation du plan aux Américains a eu lieu après le retrait de Trump de l’accord nucléaire en mai 2018. A cette époque, on a rapporté que le protagoniste saoudien (qui est apparemment devenu le principal acteur du plan) a soulevé avec la délégation américaine, en marge du sommet du G-20 qui s’est tenu en Argentine le 30 novembre 2018, une série de mesures pratiques supplémentaires nécessaires pour suivre le rythme de la stratégie médiatique qui a été baptisée « Le plan destiné à saper l’Iran de l’intérieur ».
Communiquer avec les clients de l’Iran en Asie
Le document indique que Riyad s’est engagé auprès des Américains à remplacer les quantités de pétrole iranien, qui avait commencé à faire l’objet de sanctions américaines, avec une affirmation saoudienne de communiquer avec les clients de l’Iran en Asie et en Europe pour confirmer la fourniture d’approvisionnements alternatifs en pétrole, afin de faciliter le processus de frappe de l’économie iranienne.
Dans ce contexte, le document révèle que « l’Arabie saoudite a augmenté, pendant 4 mois, ses exportations de pétrole de plus du double de la baisse des exportations iraniennes, en plus d’autres mesures qui ont empêché un choc majeur sur les marchés pétroliers ».
Le document comprenait une référence selon laquelle « l’Arabie saoudite a convaincu les pays producteurs de pétrole du Golfe et la Russie d’augmenter leurs exportations, ce qui est un très grand changement par rapport à la tendance des producteurs précédents à réduire le stock mondial de pétrole gonflé ».
Le texte du document indique que « les efforts de l’Arabie saoudite ont conduit à une réduction des prix du carburant aux États-Unis de leurs niveaux au début de l’été à leurs niveaux modérés maintenant ».
Ce que les Saoudiens ont considéré être une grande réussite à créditer à «Son Excellence le président Trump».
A SUIVRE
Demain « Les initiatives détaillées du plan»
(*) Cheikh Nimr Baqer Al-Nimr est un religieux saoudien chiite qui réclamait des réformes politiques dans le royaume wahhabite saoudien.
Source: Médias