C’est surement le défi le plus grave auquel le président russe Vladimir Poutine est confronté depuis son arrivée au Kremlin en 1999.
Engageant ses troupes en pleine guerre en Ukraine, depuis près d’un et demi, son fer de lance le chef du groupe paramilitaire Wagner Evguéni Prigojine s’est insurgé contre lui.
Accusation et démenti
Tout a commencé dans la soirée du vendredi lorsque Prigojine a accusé le commandement de l’armée russe d’avoir bombardé les camps-arrières de ses hommes dans le Donbass. Dans plusieurs messages audios, le patron de Wagner a affirmé que des frappes russes ont fait un « très grand nombre de victimes » dans ses rangs.
« Ils ont mené des frappes, des frappes de missiles, sur nos camps à l’arrière. Un très grand nombre de nos combattants ont été tués », a-t-il dit, accusant le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou d’avoir ordonné ces attaques.
Mais le ministère de la Défense a démenti ces accusations dans un communiqué assurant qu’elles « ne correspondent pas à la réalité et sont une provocation ».
Une « mise en scène ».
Dans la nuit du 23 au 24 juin, la chaîne de télévision russe Pervy a assuré que la vidéo des conséquences d’une frappe présumée sur les positions du groupe de sécurité privé Wagner, qui circule sur les réseaux sociaux, est une « mise en scène ».
« Une vidéo des prétendues conséquences d’une frappe [sur un point de déploiement de Wagner-ndlr.] a fait son apparition. Il est évident que c’est une mise en scène. Le premier indice qui le confirme est l’absence d’autres témoignages vidéo. Les déclarations faites au nom de M. Prigojine ont été partagées sous forme de messages vocaux », a déclaré l’animatrice, se référant notamment à une enquête de la chaîne Telegram Rybar.
En plus, « les métadonnées des fichiers audio sont toutes les mêmes », a-t-elle ajouté.
« Il s’ensuit que ces messages ont été enregistrés en même temps et publiés en mode différé », a-t-elle noté.
Pas de succès
Dans ses messages audios de vendredi, Prigojine avait même contesté la version officielle de Moscou sur le cours de la bataille selon laquelle l’armée russe « repousse » tous les assauts ukrainiens.
« Il n’y a pas de succès militaires » de Moscou, a-t-il dit affirmant que les militaires russes « se lavent avec leur sang », une manière de dire qu’ils subissent de lourdes pertes.
Selon l’AFP, ses propos sont invérifiables de source indépendante.
Ces derniers jours, M. Poutine a répété que la contre-offensive ukrainienne était un échec et que les forces de Kiev avaient essuyé des pertes quasi « catastrophiques ».
M. Prigojine a qualifié de « profonde tromperie » ces déclarations victorieuses.
Les traitres
Ce samedi 24 matin, le chef du Kremlin a fait une apparition télévisée dans une adresse à la nation. En complet noir, l’air grave et le ton martial, Poutine a qualifié ce qu’il s’est passé de « mutinerie armée » accusant sans les nommer « les traitres » à la nation russe et promettant de les « punir ».
« C’est un coup de poignard dans le dos de notre pays et de notre peuple », a déclaré M. Poutine .
« Ce à quoi nous faisons face, ce n’est rien d’autre qu’une trahison. Une trahison provoquée par les ambitions démesurées et les intérêts personnels », a-t-il affirmé.
Et d’ajouter : « j’exhorte ceux qui sont entraînés dans ce crime à ne pas commettre l’erreur fatale, tragique et irréparable, à faire le seul bon choix – cesser de participer aux actions criminelles. Tous ceux qui ont délibérément emprunté la voie de la trahison, qui ont préparé la mutinerie armée, qui ont emprunté la voie de la sédition et des méthodes terroristes subiront une inévitable punition, en répondront devant la loi et devant notre peuple ».
Vladimir Poutine a également indiqué qu’en tant que Président, il ferait tout pour défendre le pays et protéger l’ordre constitutionnel, la vie, la sécurité et la liberté des citoyens.
En revanche, il a mis en valeur l’héroïsme des combattants du groupe Wagner qui participaient à l’opération spéciale. Selon lui, ceux qui ont organisé la mutinerie ont trahi leur nom et leur gloire.
Poutine se trompe
Poutine « se trompe profondément » a rétorqué le chef de Wagner assurant que ses combattants ne se « rendront pas ».
« Nous sommes des patriotes. Personne ne va se rendre à la demande du président, des services de sécurité ou de qui que ce soit », a ajouté Prigojine qui s’en prend pour la première fois à maître du Kremlin.
Wagner à Rostov
Dans la nuit de vendredi à samedi, Prigojine avait annoncé avoir traversé la frontière et être entré à Rostov, siège du quartier général du commandement sud de l’armée russe d’où sont coordonnées les opérations militaires en Ukraine. Il a aussi assuré que ses troupes avaient abattu un hélicoptère russe qui avait « ouvert le feu sur une colonne civile ».
« Les sites militaires de Rostov sont sous contrôle, y compris l’aérodrome », avait dit Prigojine dans une vidéo diffusée sur Telegram.
Il n’a pas apporté de preuves de ces affirmations, a indiqué l’AFP qui n’était pas en mesure de confirmer la véracité.
Le site d’information pro russe Intel Slava a confirmé cette présence des forces du PMC indiquant qu’ils ont exigé que les civils s’éloignent de 2 km du quartier général qu’ils avaient bouclé. Le gouverneur de la région de Rostov a appelé la population à « rester à la maison ».
Et les tchétchènes à Rostov
Intel Slava indique aussi que la force tchétchène Akhmat ont été dépêchées à Rostov et ses combattants seraient entrés dans la ville par deux côtés. Du côté d’Aksai (partie nord-est) et du côté de Krasny Krym (partie nord-ouest), selon certains médias prorusses.
Ramzan Kadyrov, chef de la Tchétchénie, avait auparavant qualifié de « trahison odieuse » les appels du patron de Wagner à la mutinerie armée.
Il avait aussi annoncé que ses forces étaient prêtes d’intervenir « pour écraser ce soulèvement des mesures sévères doivent être prises ».
Vers Moscou
Dans un message audio sur Telegram, Prigojine a même menacé de continuer vers Moscou : « On continue, on ira jusqu’au bout » et « nous détruirons tout ce qui sera mis sur notre route », a-t-il lancé.
« Nous sommes tous prêts à mourir, tous les 25.000. Et après il y en aura encore 25.000. Parce que nous mourons pour la patrie, nous mourons pour le peuple russe qu’il faut libérer de ceux qui bombardent la population civile », avait martelé Prigojine.
« Ceux qui ont la responsabilité militaire du pays doivent être stoppés », a aussi dit le patron de Wagner, en appelant les Russes à se joindre à ses troupes ou à ne pas leur opposer de résistance.
Des éléments de Wagner se trouvent déjà sur le territoire de la région de Lipetsk, située à environ 400 km au sud de Moscou, a indiqué sur Telegram le gouverneur régional, Igor Artamonov. « Les agences de maintien de l’ordre et les autorités (…) prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de la population. La situation est sous contrôle », a-t-il assuré.
Intel Slava a publié sur sa page Telegram une carte de la progression des colonnes PMC Wagner dans les régions de Voronej et de Lipetsk.
Moscou sous protection accrue
Dans la capitale russe, où les bannières publicitaires de Wagner PMC ont été retirées, selon des médias, le « régime d’opération antiterroriste » a été instauré et les autorités russes y ont renforcé les mesures de sécurité. La circulation a été bloquée en direction de Moscou sur trois ponts traversant la rivière Oka – sur les autoroutes M-4 « Don », M-5 « Oural » et M-2 « Crimée », selon certains sites.
Sur le périphérique de Moscou, des policiers et la garde russe installent un poste de contrôle.
Ouverture d’une enquête pénale
Le Service fédéral de sécurité russe (FSB) a ouvert une enquête pénale contre le patron du groupe Wagner pour appel à une insurrection armée, en vertu de l’article 279 du Code pénal. Ce crime est passible d’une peine allant de 12 à 20 ans de prison.
Tandis que les dirigeants des deux chambres du Parlement ont appelé à soutenir « la consolidation des forces » ainsi que le « président Vladimir Poutine, le commandant-en-chef », a déclaré sur Telegram le président de la chambre basse, Viatcheslav Volodine.
« La force » de la Russie réside dans « l’unité (…) et notre intolérance historique pour les trahisons et les provocations », a renchéri la présidente de la chambre haute, Valentina Matvienko.
Les dirigeants installés par la Russie dans les régions de Donetsk et de Lougansk (est), ainsi que Zaporijjia et Kherson (sud) ont fait de même, déclarant dans des communiqués séparés publiés sur Telegram, que leurs régions respectives sont « avec le Président! ».
Appels aux combattants de Wagner
Dans un communiqué, paru ce samedi 24 juin, le ministère russe de la Défense a appelé les combattants de Wagner à faire preuve de sagesse et prendre contact avec les représentants de la Défense ou des forces de l’ordre dès que possible.
« Vous avez été piégés pour participer à l’aventure criminelle de Prigojine et la mutinerie armée », a-t-elle noté, selon l’agence russe Sputnik.
D’après la Défense russe, beaucoup de soldats de Wagner de plusieurs escadrons ont déjà « réalisé leur erreur » et ont demandé de l’aide pour retourner sur les lieux de leur déploiement permanent en toute sécurité.
Un influent général russe, Sergueï Sourovikine, les a exhortés « à ne pas faire le jeu de l’ennemi » et à résoudre les problèmes de manière pacifique.
Une telle provocation ne pouvait être faite que par des ennemis de la Russie, a lancé un autre général, Vladimir Alexeev.
Source: Divers