Les manifestations de soutien à la Palestine occupée et à Gaza se poursuivent dans plus de 50 universités américaines, alors que les mouvements étudiants de par le monde dénonçant le rôle central des États-Unis dans la poursuite de la guerre de génocide pratiquée par l’occupation israélienne se multiplient.
Le soutien du président américain Joe Biden à « Israël » a suscité des appels de colère exigeant l’annulation de son discours prévu lors de la cérémonie de remise des diplômes au Morehouse College d’Atlanta, en Géorgie, le 19 mai.
Le Morehouse College est un collège historique pour les Afro-Américains, et Martin Luther King Jr., l’un des symboles les plus marquants du mouvement pour les droits civiques des Afro-Américains, en est diplômé.
L’annonce du discours prévu de Biden a déclenché une réaction immédiate de la part des étudiants et des professeurs, qui ont commencé à préparer une éventuelle manifestation pendant le discours.
Peu de temps après l’annonce, les diplômés de Morehouse ont rédigé une lettre appelant l’université à abandonner le discours d’ouverture de Biden en raison de son soutien à « Israël ».
La lettre déclarait : « En invitant le président Biden sur le campus, l’université affirme une norme stricte selon laquelle la complicité dans le génocide ne mérite pas d’être punie par l’institution qui a produit l’un des plus éminents défenseurs de la non-violence du XXe siècle. »
Elle a poursuivi : « Si le Collège ne peut pas affirmer cette noble tradition de justice en annulant son invitation au président Biden, le Collège doit reconsidérer son association avec le Dr King. »
Tout cela survient après que la police a arrêté plus de 100 personnes la semaine dernière, a retiré des tentes du parc principal du campus universitaire de Manhattan, à New York. Malgré cela, les manifestants sont revenus et ont de nouveau installé leurs tentes.
Après avoir éclaté aux États-Unis, les manifestations estudiantines dans les universités se sont étendues à d’autres pays, l’Australie, la France et la Grande-Bretagne qui ont été le théâtre de manifestations similaires, en soutien à la Palestine et aux manifestants américains. Elles ont subi la répression de la police dans plusieurs pays.
USA : étudiant révolutionnaire ou révolution étudiante
La notion d’étudiant révolutionnaire est ancienne, celle de révolution étudiante est nouvelle. Les étudiants ont pris part aux grandes révolutions politiques — la Révolution Russe et la Révolution Chinoise — comme membres d’un parti, comme représentants de la jeunesse ou comme membres d’organisations de soutien alliées et périphériques, mais jamais en tant qu’étudiants et surtout pas pour des raisons locales. Ainsi, dans la guerre des Etats-Unis au Vietnam, l’escalade de l’engagement militaire a fourni aux étudiants un centre d’intérêt propre : l’enrôlement de la jeunesse, contre son gré, dans les forces armées. Les étudiants ont compris qu’il s’agissait là d’une guerre sans bannière, sans enthousiasme. La guerre du Vietnam ne se justifie par aucune nécessité nationale. On l’a appelée la sale petite guerre.
Pour le peuple américain qui n’en ressent pas les effets dans sa vie quotidienne, cette guerre n’est pas une vraie guerre. Bien au contraire, le niveau de l’emploi et les profits sont élevés et le chômage est faible. Les affaires et les distractions se poursuivent comme d’habitude, c’est seulement lorsque le lien entre l’inflation et la position internationale du dollar d’une part, et la guerre d’autre part, a atteint la conscience populaire que le problème de la perpétuation du conflit s’est trouvé posé. Dès ses débuts, la guerre n’a touché profondément qu’un secteur restreint de la population : la jeunesse.
Aujourd’hui, la situation est différente et sans précédent dans l’histoire contemporaine des Etats-Unis.
Il ne s’agit pas d’une révolte généralisée contre la vieille génération, ni d’un rejet de la richesse et de l’autosatisfaction du capitalisme ou de la bourgeoisie. Il s’agit plus d’un conflit de valeurs à travers lequel les étudiants américains refusent de faire partie de l’histoire d’une nation qui a participé au premier génocide du 21eme siècle.
Preuve à l’appui : leurs demandes consistent à rompre les contrats qui lient leurs universités avec le Pentagone. Bref, une revendication d’autonomie des établissements universitaires par rapport au pouvoir politique et militaire.
C’est en 1946 que le général Eisenhower, au nom de l’armée, a pris la décision fondamentale de relier les centres de recherches universitaires au Pentagone, en affirmant « qu’il n’y a guère de raisons pour créer dans l’armée un double des organisations extérieures mieux qualifiées par leur expérience que nous ne le sommes pour réaliser certaines de nos tâches. La guerre moderne exige une recherche scientifique d’un niveau élevé, et l’armée trouverait une bonne part des talents qui lui sont nécessaires pour réaliser un plan d’ensemble dans l’industrie, et dans l’université », par le biais de contrats, et, en finançant «de vastes programmes de recherches dans les établissements d’enseignement. »
Nul ne se fit jamais d’illusions quant aux raisons du soutien ainsi accordé, puisque le Pentagone a souvent répété dans les années qui suivirent que le Département de la Défense financerait la recherche universitaire, pour « obtenir des résultats, et non pour apporter sa contribution à l’enseignement supérieur ».
Jusqu’à l’année fiscale 1964, les subventions du Département de la Défense aux universités s’élevèrent à 401 millions de dollars ; 25 établissements reçurent à eux seuls plus des trois quarts de cette somme, et les universités occupaient une place de choix dans les dépenses du Pentagone consacrées à la recherche de base, avec pour objectif la conception et l’élaboration d’armes nouvelles.
A mesure que la guerre moderne change de nature, et, de confrontation entre puissances technologiques en proie à une terreur réciproque, et en équilibre instable, devient combat contre des guérillas, les besoins du Pentagone se modifient, et au lieu des armes de guerre qui n’ont pas réussi jusqu’ici à lui apporter la victoire au Vietnam, il lui faut des « armes souples », dont Washington espère qu’elles pourront pallier à son infériorité vis-à-vis des qualités humaines des partisans. Et puisque seule l’Université possède les chercheurs qu’il lui faut dans le domaine des sciences sociales, on peut affirmer sans risque de se tromper que le Pentagone aura désormais un plus grand besoin de concours académiques que les milieux académiques n’auront besoin des fonds du Département de la Défense.
En 1964, l’Université de Pennsylvanie n’occupait que le onzième rang pour les subventions gouvernementales, mais son Institut de Coopération et de Recherches (ICR) était, grâce à une expérience d’une dizaine d’années, un centre vital pour le développement de la guerre chimique et bactériologique (CB). Le rôle qu’il joua dans la découverte d’armes totales CB, et des procédés nécessaires à leur emploi lui donna une place décisive dans l’ensemble des travaux du Chemical Corps.
Pendant vingt ans, le Pentagone et l’industrie se sont trouvés dans une telle dépendance vis-à-vis de l’Université, qu’il serait imposable à cette dernière de revenir à son rôle d’avant-guerre sans provoquer une véritable révolution dans les structures de la recherche militaire aux Etats-Unis.
Justement, tel est l’enjeu géopolitique interne qui s’est imposé sur la scène politique des USA : entre une génération qui refuse d’être aliénée au pouvoir politique et militaire et entre un pouvoir (contesté dans sa légitimité) politique et militaire -qui pour des raisons qui lui sont propres- persiste à soutenir une guerre de génocide contre tout un peuple.
On peut conclure à travers les slogans estudiantins que ce soit « Libérez la Palestine » ou les demandes de réformes des étudiants des établissements universitaires de se libérer de la dépendance du pouvoir politique et militaire, que nous assistons à une forme de révolution étudiante socio-culturelle qui remet en cause tout le système éducatif d’enseignement supérieur américain : un système fondé sur trois piliers : le Pentagone (et le pouvoir politique), les grandes entreprises privées et l’établissement universitaire supérieur.
Autrement dit, les étudiants aux Etats-Unis s’attaquent aux institutions particulières qui régissent la vie étudiante : les sources de contrôle et de financement de l’université, sous le slogan de suspendre tout soutien à Israël, dans le but de cesser la guerre génocidaire.
Les manifestations estudiantines en Europe : Effet de boule de neige ?
En Europe, la police de Berlin, en Allemagne, a procédé vendredi à l’évacuation d’un camp de manifestants, installé depuis plusieurs semaines à proximité du bâtiment de la Chancellerie. Même si la « population permanente » du camp ne comptait qu’une vingtaine de personnes, des dizaines d’autres sont venues résister à l’opération de police. Les médias locaux font état d’environ 75 personnes arrêtées. Les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent que la police n’a pas été particulièrement tendre avec les manifestants, qui ont résisté. Plusieurs arrestations ont eu lieu en raison, entre autres, « d’agressions physiques et de résistance » de policiers.
En France, c’est à Paris que la contestation s’est focalisée. Des étudiants de la prestigieuse université de Sciences Po ont bloqué l’entrée du campus avec des poubelles, des objets en bois et en métal et un vélo. Entre 40 et 50 personnes sont restées dans le bâtiment pendant la nuit, défiant les ordres du personnel de l’Université.
Les manifestants affirment qu’ils ont été inspirés par leurs homologues américains, qui organisent depuis plusieurs jours des actions propalestiniennes sur les campus de tout le pays.
La direction de Science-Po a indiqué dans un communiqué qu’elle avait pris l’ »engagement » de « suspendre » les saisines de la section disciplinaire alors que les militants demandaient « la cessation immédiate des poursuites disciplinaires envers les étudiants « .
La direction de l’établissement s’est aussi engagée à organiser un débat interne. « Compte tenu de ces décisions, les étudiants se sont engagés à ne plus perturber les cours, les examens ainsi que toutes les activités de l’institution », a écrit Jean Bassères, administrateur provisoire, dans un message.
Cela dit, il convient de noter que l’une des particularités des mouvements estudiantins en France au 20eme et 21eme siècle, est qu’ils étaient motivés par des objectifs purement internes : soit contre des projets de loi, soit contre des décrets (mars 1974 : mouvement lycéen contre le projet de loi Fontanet ; printemps 1976 : mouvement étudiant contre la réforme du second cycle ; mai 1980 : mouvement étudiant contre le décret Imbert ; novembre-décembre 1986 : mouvement étudiant contre le projet Devaquet ; mars 1994 : après la manifestation contre la révision de la Loi Falloux ; 16 janvier : mouvement étudiant et lycéen contre le CIP ; 2006 : le mouvement étudiant contre la loi pour l’égalité des chances, qui comprenait le contrat première embauche (CPE), fait abandonner le projet), à l’exception du Mouvement estudiantin de 1968.
En effet mai 68 désigne une période durant laquelle se déroulent, en France, de grandes manifestations ainsi qu’une grève générale et sauvage, accompagnée d’occupations d’usines et de bâtiments administratifs, de la généralisation de forums de discussions et de propositions sociales et politiques, d’une paralysie presque complète du système économique et de l’administration, et d’une ébauche d’organisation de relations sociétales égalitaires dans toute la France.
Ce mouvement est caractérisé par une vaste révolte spontanée antiautoritaire, de nature à la fois sociale, politique et culturelle, dirigée contre le patriarcat, le paternalisme, les structures autoritaires, le capitalisme, le consumérisme, et pour l’instauration de relations égalitaires dans le travail, les études, la famille, et, plus immédiatement, contre le pouvoir gaulliste en place.
Et donc, les manifestations estudiantines qui ont eu lieu à l’Ecole de Sciences-Po sont sans précédent. Par la forme, car elles ont eu lieu dans un établissement universitaire qui forment les futurs élites politiques du pays, par le fond car elles sont motivées par une cause géopolitique externe : la cause palestinienne.
Or, il convient de rappeler que les manifestations estudiantines en Europe en soutien à la cause palestinienne ont commencé bien avant celles aux Etats-Unis.
Et pour cause, avec 112. 000 personnes inscrites au sein de ses facultés, l’université La Sapienza, à Rome, est tout simplement celle qui compte le plus d’étudiants en Europe. Véritable ville dans la ville, elle est historiquement un haut lieu de luttes politiques, et, comme on pouvait s’y attendre, le conflit en cours à Gaza n’a pas manqué de faire monter les tensions à l’intérieur de ses murs.
En effet, mardi 16 avril, des heurts ont éclaté entre les forces de l’ordre et des étudiants qui manifestaient contre la rectrice de La Sapienza, Antonella Polimeni, et ce pour les raisons suivantes, listées par Il Post : « Ces étudiants protestaient pour demander au conseil académique d’éliminer toutes les collaborations actives entre La Sapienza et les universités israéliennes, mais aussi contre l’accord entre Rome et l’État hébreu [signé en 2024] visant à financer des projets de recherches scientifiques qui, selon des étudiants, des professeurs et des chercheurs, pourraient concerner des technologies utilisables à des fins militaires ».
Environ 300 étudiants ont essayé de pénétrer dans le rectorat, ce qui a conduit à des affrontements avec la police et à l’arrestation de deux d’entre eux. Le lendemain, une nouvelle étape était franchie. « Certains étudiants qui campaient à l’intérieur de La Sapienza depuis trois jours se sont enchaînés et ont annoncé une grève de la faim », rapporte en effet Il Fatto Quotidiano. Une action qui a été accompagnée d’un communiqué relayé par le journal de la capitale italienne.
Face à ces faits, il convient de noter que dans le cadre du programme Erasmus, financé par l’Union européenne (programme d’échange d’étudiants et d’enseignants entre les universités, les grandes écoles européennes et des établissements d’enseignement à travers le monde entier. Ce programme fait partie de l’Espace européen de l’enseignement supérieur), les étudiants, ont l’occasion de vivre pour la première fois dans un pays étranger, d’apprendre la culture et les coutumes du pays d’accueil, et de renforcer le sentiment communautaire entre eux dans divers pays.
Cela a conduit à utiliser le terme de « génération Erasmus » pour qualifier ces étudiants universitaires qui, au travers de cette expérience, ont créé des liens d’amitié internationaux et possèdent une évidente conscience de citoyenneté européenne.
Et donc, le risque que les manifestations estudiantines en Europe puissent doubler d’intensité est réel en raison de ce lien d’amitié qui les lient d’une part, surtout si les autorités locales décident de recourir à une violence non-justifiée, ce qui risque de provoquer un large sentiment de solidarité entre les étudiants de par l’Europe. Mais, surtout, et à la différence de tous les mouvements de contestations estudiantines du 20 ème siècle, soit ceux de la gauche radicale qui constituaient un des principaux foyers de contestation, leur action est à la fois verbale et physique et orientée vers le changement social total et violent.
Les récents mouvements des étudiants sont à la fois globaux et particuliers dans leur objectif (un seul : cessez la guerre contre Gaza), pacifiques dans leurs méthodes, larges et étroits dans leurs appels à l’action unitaire, dans leur recrutement, et dans la participation. Non-traditionnels en ce qui concerne l’esprit et le champ de leurs revendications, car ils ont rompu avec les idéologies et les programmes du passé.
D’un autre côté, ce mouvement étudiant se réfère essentiellement au présent ou à son propre passé récent. Il a transformé une cause aux enjeux géopolitiques à un slogan humanitaire et universel, sans formuler de programmes et de doctrines idéologiques spécifiques. Ils n’a aucun rapport avec les mouvements révolutionnaires du passé.
Autrement dit, ces étudiants qui représentent la génération des réseaux sociaux, ont réussi d’une certaine manière à remanipuler une arme qui était censée les réorienter vers des titres et des objectifs superficiels, sachant que ces mêmes réseaux ont été exploités par les puissances occidentales afin de renverser des régimes via les révolutions colorées. Ces réseaux sociaux avec la jeunesse ont renversé le quatrième pouvoir traditionnel – le pouvoir des médias- dont se sont accaparés au fil des années les puissances occidentales. La jeunesse a créé avec les réseaux sociaux un cinquième pouvoir dont la forme et la nature reste à définir.
D.Ghada HOUBBALLAH
Enseignant-chercheur et géopolitologue à l’Université Islamique du Liban
Source: Médias