Le général Joseph Votel, chef du commandement central des forces armées US, a annoncé jeudi devant le Congrès que les militaires américains étaient incapables d’assurer la sécurité des civils lors de l’opération antiterroriste menée à Mossoul en Irak.
Il répondait à la question des congressistes qui souhaitaient savoir s’il était possible de limiter les pertes causées par les bombardements de la coalition parmi les habitants de la ville.
« Plus nous nous impliquons dans des activités militaires en milieu urbain, plus il devient difficile de respecter les normes extraordinairement élevées en la matière. Mais nous nous efforcerons de le faire », a déclaré Votel.
Fin mars, le New York Times avait dévoilé l’ouverture d’une enquête par le Pentagone sur la mort de 240 civils à Mossoul après une série de bombardements aériennes de la coalition américaine du 17 au 23 mars.
Quand l’ambassadrice US à l’Onu parle de « crimes de guerre »
Ce n’est pas le premier cas du genre. L’aviation des USA et de leurs alliés a attaqué plusieurs fois des sites non militaires de Mossoul. Ainsi, le 14 janvier, un bombardier a détruit dans l’ouest de la ville un bâtiment où se trouvaient 30 civils. Une semaine plus tôt, les avions de la coalition avaient attaqué un convoi de camions-citernes qui transportait du carburant aux habitants locaux. Le raid a fait 15 morts. Le 30 mars, le site irakien Shafaq News annonçait la découverte, dans le sud de la ville, d’un charnier avec les corps d’Irakiens tués dans les bombardements et exécutés par Daech. Au total depuis le début de l’offensive sur Mossoul en octobre dernier, près de 1 500 tonnes de munitions air-sol ont été tirées sur la ville.
Plus tôt, les militaires et les politiciens américains avaient déclaré à plusieurs reprises que l’assaut d’une aussi grande ville était impossible sans pertes civiles. Dans le même temps, nous nous souvenons tous des déclarations des représentants officiels américains sur l’opération de libération d’Alep par l’armée gouvernementale de Bachar al-Assad soutenue par la Russie, qui qualifiaient pratiquement de politique de génocide l’information infondée concernant la mort de civils à cause des agissements de l’armée syrienne et de l’aviation russe.
La dernière intervention résonante fut le discours de l’ambassadrice des USA au Conseil de sécurité des Nations unies Nikki Haley, qui a qualifié les actions de la Russie, de l’Iran et du gouvernement de Bachar al-Assad de « crimes de guerre »: « Ils ont détruit tous les hôpitaux dans l’est d’Alep. 250 000 personnes doivent souffrir. Les forces d’Assad détruisent des quartiers résidentiels entiers ». Alors que la diplomate ne s’est pas gênée pour qualifier son pays de « conscience du monde » — ni plus ni moins.
Haley a prononcé son discours mercredi, à la veille de l’intervention du général Votel au congrès US. Ainsi, la représentante permanente des États-Unis à l’Onu a répété la tactique rhétorique habituelle utilisée par les diplomates américains depuis l’intervention de la Russie dans le conflit syrien, qu’on pourrait résumer ainsi: « Nous bombardons les cibles civiles seulement par accident, alors que les Russes le font sciemment ». Dans ce sens, la vision qu’a l’administration de Donald Trump de la participation russe aux événements au Moyen-Orient se démarque peu de la position de son prédécesseur Barack Obama.
« Sur le front de la guerre médiatique on se prépare à un » bombardement » pour la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine qui aura lieu en juillet — ou peut-être même plus tôt — estime Sergueï Soudakov, professeur à l’Académie des sciences militaires et politologue américaniste. Pour l’instant le président américain ne sait pas comment se comporter avec son homologue russe mais il étudie certainement la possibilité d’une conversation depuis une position de force. Il ne faut pas croire que Haley exprime son point de vue personnel. Même si elle a qualifié Trump de « clown » pendant la course présidentielle en automne, il l’a tirée de son poste de gouverneur pour la placer au deuxième rang diplomatique de l’État. Ses protégés respectent une subordination rigoureuse et expriment uniquement la position du président ».
Sauver la face
Selon l’expert, Trump tente de marquer des points politiques grâce à la rhétorique antirusse, populaire aujourd’hui aux USA, et de nier tout lien avec la Russie dont l’accusent ses opposants politiques et les médias. L’image du leader puissant qui cherche à dominer sur la scène internationale est tout de même sérieusement ternie par l’assaut de Mossoul qui traîne en longueur, alors que les généraux américains avaient promis de prendre la ville en deux mois. De son côté la Russie a réussi à libérer Alep, devenant de facto la principale force politique au Moyen-Orient.
« Pour sauver la face, Trump doit rabaisser les succès russes et dire au monde entier que la Russie est un État criminel qui tue sans discernement, alors que les USA aident aux contraires les plus démunis et importent la démocratie en Irak, analyse Sergueï Soudakov. Il ne lésine pas sur les moyens pour cela. En 2016 les USA ont dépensé près de 350 millions de dollars pour la guerre médiatique contre la Russie. Le financement reste maintenu approximativement au même niveau. Trump n’a apporté aucune modification au budget de 2017 validé par Obama en ce qui concerne la confrontation médiatique avec les régimes indésirables aux USA. »
Même un amateur a pu voir le résultat de ces investissements financiers: à tous les coins de rue les médias occidentaux parlaient de l’offensive de l’armée syrienne sur Alep. Et plus les forces d’Assad s’approchaient de la ville, plus la presse parlait d’un nouvel hôpital ou d’une école détruite par l’aviation. Les journalistes occidentaux se référaient aux témoignages de l’ « opposition modérée », aux mises en scène des Casques blancs, aux messages sur les réseaux sociaux d’ « activistes » locaux au passé flou et à d’autres sources douteuses. Et bien que le ministère russe de la Défense ait démenti plusieurs fois ces fakes, faits en mains, le fond médiatique autour d’Alep en automne dernier ressemblait plutôt à une hystérie.
Un blocus médiatique
Ce battage médiatique contraste avec le traitement de l’information sur Mossoul: les médias occidentaux parlent de pertes civiles avec réticence ou en passant et bien que la coalition menée par les USA bombarde Mossoul depuis octobre, les chaînes européennes et américaines n’ont toujours pas montré une « image » normale de la ville. Les « activistes locaux » sont étonnamment passifs sur internet et les représentants des organisations humanitaires ne se rendent pas non plus dans la zone du conflit.
« Mossoul subit aujourd’hui un blocus médiatique, remarque le directeur du Centre de prévision militaire Anatoli Tsyganok. La même tactique est utilisée par Israël pendant les affrontements dans la bande de Gaza: les journalistes ne sont pas autorisés à s’approcher de la zone des opérations. Il est évident que les USA s’efforcent par tous les moyens d’éviter la fuite de détails désagréables sur leur offensive dans la presse. Alors que les militaires irakiens ne peuvent rien faire ou dire car ils sont dans une position de subordination et doivent faire ce que leurs alliés supérieurs leur disent.
L’expert souligne que personne ne bombarde intentionnellement les habitants de Mossoul: les terroristes de Daech retiennent de force des centaines de milliers de personnes dans la ville et s’en servent comme bouclier humain. « De son côté, la coalition n’essaie même pas de minimiser les pertes civiles, souligne Anatoli Tsyganok, contrairement aux militaires russes qui n’ont pas bombardé la ville d’Alep même avec l’aviation ».
Le problème du deux poids deux mesures des médias occidentaux dans la couverture des offensives à Mossoul et à Alep a été soulevé par la représentation permanente de la Russie à l’Onu dans un communiqué officiel publié le 28 mars. Les diplomates ont appelé les journalistes à couvrir objectivement les événements en Syrie et en Irak.
« Malheureusement, dans de nombreux médias occidentaux le thème de l’opération antiterroriste à Mossoul est présenté de manière étonnamment calme par rapport à l’hystérie soulevée autour de la libération de l’est d’Alep fin 2016, indique le communiqué. Les tragédies quotidiennes de Mossoul sont passées sous silence par les médias internationaux et les ONG. Jusqu’à 600 000 personnes restent actuellement dans l’ouest de Mossoul, par conséquent l’ampleur de la situation est largement plus catastrophique que les événements d’Alep.»