La Russie va créer un système de contrôle des aéronefs sans pilote, y compris des quadrirotors légers qu’on peut encore facilement acheter auprès de beaucoup de magasins en ligne. Aux États-Unis, un projet similaire est en cours de conception par la NASA.
En Russie ce projet a été confié à l’entreprise Systèmes spatiaux russes ( RKS ) qui fait partie du holding public Roskosmos. Cette société a déjà conçu le système de navigation par satellite GLONASS, qui reposera à la base de la nouvelle infrastructure visant à assurer une utilisation sécurisée des drones. On prévoit de mettre au point un système d’essai d’ici la fin de l’année pour lancer des tests en Bachkirie. Mikhaïl Kiretchko, concepteur en chef de cette infrastructure, explique à Sputnik ses objectifs et son fonctionnement, ainsi que les conséquences éventuelles pour les propriétaires actuels ou futurs de quadrirotors.
Sputnik : Expliquez-nous les objectifs de ce système. Pourquoi a-t-on besoin de suivre des appareils aussi petits, destinés dans la plupart des cas aux compétitions de pilotage ou à la captation de photos et de vidéos amateur ?
Mikhaïl Kiretchko : Il n’est, à mon avis, pas tout à fait juste de considérer notre conception comme un système de contrôle, car ses capacités sont beaucoup plus larges. Il vaut mieux utiliser le terme de « système d’approvisionnement en information ». Qui plus est, le contrôle n’est qu’un moyen alors que l’objectif est d’homogénéiser et de créer un espace de travail pour les opérateurs de petits drones, d’élargir leurs possibilités et de poser les fondations à l’apparition d’un tout nouveau domaine de services de pointe dans l’économie nationale.
– Pourquoi créer une infrastructure de contrôle des drones aujourd’hui ?
— Les aéronefs sans pilote ne sont pas nouveaux: les technologies nécessaires à leur usage existent depuis plusieurs décennies. Leur prix a cependant chuté depuis quelques années. C’est exactement la raison du boom des petits drones. Les quadrirotors légers constituent un exemple éloquent: la production se développe et les ventes ne cessent de grimper et la fréquence de renouvellement des modèles proposés dans cette industrie n’est dépassée que par celle des smartphones. Quoi qu’il en soit, les petits drones ne restent toujours que des gadgets en vogue. Leur utilisation plus large à des fins commerciales est empêchée par des limitations législatives et des exigences de sécurité. Aujourd’hui, il est évident que les pays qui arriveront les premiers à lever ces obstacles bénéficieront d’un avantage énorme dans le développement de nouveaux services de pointe, allant des livraisons et de la surveillance à l’assurance et aux systèmes de sécurité de nouvelle génération.
– Où envisagez-vous de tester ce système ? Quand ce dernier sera-t-il étendu à tout le pays ?
— On envisage de mettre au point un projet d’essai de l’infrastructure d’ici fin 2017 en Bachkirie. Il s’agit de l’une des régions russes les plus avancées en ce qui concerne le niveau de développement et la rapidité d’introduction des systèmes de géoinformation. On envisage d’y lancer prochainement un projet de surveillance routière à l’aide de drones. Lors de la mise en œuvre de ce dernier nous aurons la possibilité de tester nos conceptions et de créer un prototype régional de notre système. L’étape suivante est de l’étendre à tout le territoire du pays. Il s’agit d’un projet titanesque, dans le cadre duquel nous travaillons en partenariat avec l’Agence fédérale de transport aérien, l’entreprise Rostelecom, et le partenariat GLONASS. Notre coopération est excellente, et je suis certain que nous serons en mesure d’assurer à notre pays le leadership dans l’introduction des technologies de drones.
– Comment, selon vous, ce contrôle public sera-t-il en mesure de contribuer à l’équilibre entre un développement actif d’une industrie jeune et la sécurité des vols ?
— Je vais vous présenter l’exemple des automobiles. Suite à leur apparition personne ne comprenait d’abord ce qu’elles étaient. Leur dissémination a pourtant créé la compréhension de la nécessité des autoroutes, on a introduit des codes et des signaux routiers, ainsi que des permis de conduire car il était évident qu’une voiture conduite par un chauffeur peu éduqué ou incapable, pouvait constituer une menace. Sans tous ces facteurs, l’industrie automobile n’aurait jamais pu atteindre le niveau d’aujourd’hui.
– Ce sera la même chose pour les propriétaires de quadrirotors ?
— Oui, c’est inévitable. Comme vous le savez probablement, on a adopté fin 2015 en Russie une loi imposant l’enregistrement et la certification de tous les drones pesant plus de 250 grammes. Cette décision était fondée sur de bonnes intentions mais elle signifiait concrètement que certains propriétaires de jouets tombaient dans l’illégalité. Les normes ont été ensuite révisées à l’été 2016 et tous les drones pesant moins de 30 kilos ont été libérés de l’enregistrement.
Afin de conserver un équilibre entre la sécurité et le développement, nous prévoyons d’introduire un moyen simplifié d’acquisition d’un permis de vol, par un certificat ordinaire. C’est pour cela que nous avons besoin de notre système. Son utilisation n’exige pas d’efforts considérables de la part des opérateurs mais il pourra assurer la sécurité des vols. Il permettra d’éviter les collisions de drones, ainsi que leurs vols au-dessus des aéroports et des sites militaires où un appareil sans pilote peut être abattu ou descendu de manière très ferme, après le brouillage de ses signaux de commande et de navigation. Qui plus est, ce système permettra de contrôler tout ce qui se passe avec l’appareil hors du rayon de sa visibilité directe. Cela crée donc des fondements pour la formation d’une industrie de l’assurance des quadrirotors, ce qui pourrait être très demandé compte tenu des prix de certains modèles les plus avancés.
– Comment fonctionnera ce système en pratique ? Faudra-t-il installer obligatoirement des équipements supplémentaires sur les drones ? Seront-ils coûteux ?
— Chaque appareil devra être muni d’équipements spéciaux qui définiront sa position et ses mouvements grâce au système de navigation par satellite pour ensuite transférer ces données au système de contrôle. La plupart des modèles existants possèdent déjà ces équipements: il ne reste donc qu’à adapter leur logiciel.
L’opérateur devra déclarer son itinéraire pour obtenir ensuite une confirmation ou une liste de limitations. Le système pourrait calculer automatiquement son itinéraire compte tenu des limitations et des demandes déjà présentées. Il assurera ensuite son application. Il est également possible de télécharger ce plan dans la mémoire du drone pour qu’il fasse un vol autonome. En cas de violation de l’itinéraire, l’opérateur sera informé des actions nécessaires pour y remédier. Ces données seront également transmises aux organes de contrôle.
Dans le cadre du projet Infrastructure d’opérateur fédéral de réseau, qui est en cours de réalisation par RKS, nous prévoyons également la possibilité de créer des applications spéciales destinées aux besoins des opérateurs de drones. Par exemple, certains objectifs des services de livraison peuvent être automatisés et se réduire au choix de l’adresse du destinataire, comme c’est le cas pour la navigation automobile. Mais tout cela est pour l’avenir. Aujourd’hui, notre objectif est de tenir compte d’une telle possibilité au niveau du système et on crée une plateforme d’applications dont le fonctionnement sera comparable à celui des magasins d’applications pour les smartphones, tels que l’AppStore et GooglePlay.
– Quelles appareils sans pilote sont ciblés par ce système ?
– Pour le moment nous prévoyons de viser les drones pesant de 250 grammes à 30 kilogrammes. Les caractéristiques sont définies de la manière suivante: le plancher est constitué des appareils capables de menacer de grands avions, selon les experts, alors que le plafond concerne les appareils qui suivent les mêmes règles que l’aviation civile. Qui plus est, leurs objectifs sont absolument différents.
– Avez-vous déjà débattu avec les producteurs de drones des conséquences de l’introduction du système de contrôle? Il s’agit dans la plupart des cas de jeunes entreprises étrangères qui se développent activement et n’ont aucun intérêt à se voir imposer des limitations…
— Aujourd’hui, RKS et l’Agence fédérale de transport aérien rédigent leurs premières propositions en ce sens, qui impliquent notamment la rédaction d’une liste des équipements installés à laquelle doivent correspondre tous les petits drones vendus en Russie. Ces exigences seront rédigées de manière à faciliter au maximum leur modernisation éventuelle par les producteurs et les opérateurs.
– Que fera-t-on avec ceux qui démonteront les équipement installés par les producteurs consciencieux pour dissimuler les déplacements de leurs appareils ?
— Ce n’est pas très compliqué d’un point de vue technique. Les technologies modernes permettent à n’importe qui de créer son propre drone: on peut imprimer sa carcasse, acheter des engins, des servomoteurs et des équipements radio. Et voilà! On peut voler. Mais si l’on reprend notre exemple des automobiles, c’est la même chose que conduire sans permis. Des gens normaux conduisent avec leur permis et parfaitement sobres, mais il y a des exceptions… Si vous voulez enfreindre la loi, c’est votre affaire, mais cela induira une responsabilité proportionnelle au danger public de ces actions. Je suis sûr que cela sera le cas avec les drones.
– Quelles sont les moyens de transmission des informations ? Par quels canaux de communication passent-elles ? Il arrive souvent que plusieurs quadrirotors survolent en même temps la même zone…
— Dans un premier temps, nous prévoyons d’utiliser les réseaux de téléphonie mobile pour transmettre les données. Il sera possible de passer à l’avenir aux réseaux LPWAN ( Low-power Wide-area Network — les liaisons sans fil à faible consommation d’énergie ) qui conviennent bien à l’internet des objets et se développeront sans doute dans notre pays. Il s’agit d’une technologie nouvelle qui répond à certains objectifs beaucoup mieux que la téléphonie mobile.
– Tenez-vous compte de l’expérience de vos collègues étrangers ?
— Les efforts les plus sérieux dans ce domaine sont actuellement entrepris par les États-Unis, où la NASA a lancé un projet similaire. L’Union européenne mène elle aussi un travail équivalent. Nous prenons tout cela en considération.
Ce marché est très dynamique, alors même que son apparition a été assez inattendue, ce qui a créé un problème pour les organes de régulation. Qui plus est, il s’agit de l’aviation — un secteur très conservateur qui suit des règles de sécurité très strictes. Aujourd’hui la croissance du marché dépasse les capacités des régulateurs à répondre aux défis qu’il pose. Ce problème ne s’explique pas par l’inactivité des organes publics mais par un manque de solutions techniques adéquates. Tout le monde comprend qu’il ne faut pas interdire, mais que le contrôle nécessite une nouvelle infrastructure.
– L’infrastructure crée en Russie sera-t-elle différente — comme c’est le cas assez souvent — des solutions adoptées dans d’autres pays ?
— Comme les rails ferroviaires… Aujourd’hui, cela n’est plus possible. Notre monde est différent: il est plus ouvert et les échanges d’informations se déroulent facilement et rapidement. Cela contribue à ce qu’une solution soit plus concertée et universelle. Tout le monde tente d’échanger ses idées et de répandre son opinion. La concertation et l’harmonisation se dérouleront de manière tout à fait naturelle.