Mardi 30 mai, le prince Mohammed ben Salmane s’est rendu dans la capitale russe. Il n’est pas simplement un prince saoudien, fils du roi, ni même simplement ministre de la Défense: formellement il est le deuxième prétendant au trône après son cousin Mohammed ben Nayef. De facto, selon certains analystes, c’est lui qui succédera à son père.
Le numéro 2 de l’État a été chargé d’évoquer à Moscou des questions cruciales d’importance nationale, dont dépend en partie la survie du régime saoudien.
Une alliance pétrolière
L’une des principales questions évoquées fut évidemment l’or noir. Le principal intérêt qui unit le royaume et la Fédération de Russie est le maintien de prix acceptables des hydrocarbures. Le 25 mai, l’Opep et d’autres pays (Russie y compris) ont accepté de prolonger l’accord conclu le 1er janvier pour la réduction de la production pétrolière jusqu’à la fin du premier trimestre 2018. Si une baisse des cours pétroliers peut provoquer en Russie une réduction des dépenses, en Arabie saoudite elle est susceptible de remettre en question l’accord entre la dynastie saoudienne et la société (en vertu duquel le roi assure à la population une pluie de pétrodollars en échange de sa loyauté). Riyad a donc aidé Moscou à adopter l’idée de réduire les quotas. Les médias mondiaux ont qualifié cette manœuvre de « coopération par une alliance pétrolière ».
Pendant la visite du prince Mohammed à Moscou, les parties ont tenté d’élargir cette alliance. Selon le ministre russe de l’Énergie Alexandre Novak, la coopération entre les deux pays dans le secteur pétrolier pourrait passer au niveau supérieur. « De nouvelles perspectives de coopération bilatérale s’ouvrent, notamment par la réalisation de projets conjoints pour la production, le transport et la transformation des hydrocarbures sur le territoire des États participants et des pays tiers, ainsi que pour la coopération technologique », a déclaré le ministre. Il est possible qu’une partie des nouveaux accords soit présentée pendant le forum économique de Saint-Pétersbourg.
Les perspectives d’approfondissement de la coopération économique russo-saoudienne sont très larges — et pas seulement autour du pétrole. Au premier trimestre 2017, les échanges entre les deux pays s’élevaient à peine à 124 millions de dollars, d’autant que Moscou propose plusieurs projets d’investissement (ainsi, le fond souverain saoudien Public Investment Fund a l’intention de rejoindre le projet de développement de l’ancien aéroport de Touchino au nord-ouest de Moscou).
Cependant, un sérieux approfondissement de la coopération économique est impossible (du moins selon certains représentants et princes saoudiens) sans un approfondissement politique en parallèle. D’après le prince Mohammed, il existe entre Moscou et Riyad plusieurs « points d’entente » et, en ce qui concerne les points de divergence, » il existe un mécanisme précis pour les surmonter. « En ce sens nous avançons rapidement et dans la bonne direction », ajoute-t-il. Mais c’est fort improbable. Car plusieurs divergences sont fondamentales. Par exemple sur la Syrie.
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Pour sa part, Moscou prône un règlement politique de la crise syrienne avec la participation de toutes les parties intérieures et extérieures en s’appuyant sur la réalité actuelle (c’est-à-dire les victoires militaires et politiques d’Assad). L’Arabie saoudite accepte seulement une option de règlement politique où l’Iran quitterait la Syrie — et comme que Téhéran projette son influence précisément à travers le régime de Bachar al-Assad, Riyad prône la formule « une Syrie sans Assad ». Cette formule n’est actuellement pas applicable mais les Saoudiens n’ont pas besoin d’une paix selon une autre formule, c’est pourquoi ils soutiennent la poursuite de la guerre civile en Syrie en freinant les négociations politiques à Genève (l’opposition fréquentable qu’ils contrôlent sape ce processus), et financent les rebelles qui combattent Assad, y compris les groupes islamistes radicaux.
Le deuxième point de divergence concerne la politique régionale par rapport à l’Iran. Il n’est un secret pour personne qu’aujourd’hui, l’Arabie saoudite construit un bloc régional pour réfréner Téhéran, voire mieux: effacer totalement son influence sur le Moyen-Orient. C’est dans le cadre de cette vision que Riyad a engagé Donald Trump en lui payant, pour sa participation active à ce réfrènement, un paquet commercial d’investissement de 350 milliards de dollars tout en prônant la création d’une « Otan arabe ». De toute évidence, le prince Mohammed a également évoqué la participation russe à ce projet.
Ce dernier n’intéresse pas du tout Moscou. Premièrement, le Kremlin ne veut en principe aucun conflit avec l’Iran: la Russie peut ne pas apprécier certains aspects de la politique régionale de la République islamique (par exemple son attitude envers Israël), mais au niveau des relations bilatérales Moscou et Téhéran n’ont aucun différend profond. Ce qui, d’ailleurs, n’est pas le cas des relations avec Riyad qui soutient différents groupes terroristes sunnites. Selon les experts russes, la fiabilité des partenaires saoudiens tend vers zéro, même à l’échelle du Moyen-Orient, ce qui est la deuxième raison pour laquelle le Kremlin reste sceptique face aux différents projets stratégiques conjoints avec un partenaire comme l’Arabie saoudite.
Une nouvelle tentative?
De toute évidence Riyad tentera encore de convaincre Moscou: après le prince Mohammed c’est le roi Salmane en personne qui se rendra en Russie. Bien sûr, Moscou est prêt à accueillir un tel invité de marque pour s’entretenir avec lui. « Je suis certain que la première visite du roi d’Arabie saoudite en Russie de toute l’histoire de nos relations sera un bon signe, un bon signal et une bonne stimulation dans le développement de nos liens interétatiques », a noté Vladimir Poutine. Cependant, cette stimulation ne mènera certainement pas à l’adhésion de la Russie au projet d’Oran arabe ni/ou au changement des positions de Moscou sur la question syrienne.
Le fait est que la Russie occupe une place unique au Moyen-Orient: c’est la seule force extérieure qui entretient à la fois des relations avec tous les pays de la région (même avec des ennemis réciproques) et qui n’a pas l’intention de remanier la région ni les régimes locaux en fonction de ses désirs. Elle ne revendique pas, pour autant, le rôle de leader régional.
Aujourd’hui, le Kremlin peut parfaitement jouer le rôle de médiateur dans de nombreuses crises où trempe l’Arabie saoudite (y compris le conflit yéménite qui tourne mal pour Riyad, où le prince Mohammed est personnellement responsable de l’opération militaire et dont la carrière dépend de l’issue favorable de ce conflit). En outre, Moscou pourrait pencher dans la balance sans prendre ouvertement partie pour un camp dans le conflit, mais en le soutenant par la livraison d’armes par exemple. Il s’avère donc qu’aujourd’hui, Riyad a davantage besoin de Moscou que Moscou de Riyad.
Source: Sputnik