Une crise a éclaté récemment entre la famille royale saoudienne Al-Saoud et la famille royale Al-Tani, au pouvoir au Qatar. Les deux familles se proclament de la même lignée royale, ainsi que de la même idéologie wahhabite, développée par l’Imam Mohamad Ben Abd Al-Wahab .
La crise entre les familles royales saoudienne et qatarie appartenant à la même lignée rappelle les graves divergences d’autrefois entre les rois et les princes européens, appartenant eux aussi aux mêmes dynasties à la veille de la Première Guerre Mondiale. L’Histoire se répète dans un autre coin du monde.
L’Arabie Saoudite, et avec elle le Conseil de Coopération du Golfe, a désigné le Qatar comme pays soutenant le terrorisme. L’Arabie Saoudite a établi une liste de 52 personnalités ayant des liens différents avec le Qatar, les accusant de soutenir et de financer le terrorisme. À titre d’exemple, le Mufti Youssef Al-Kardawi figure sur la liste des 52 personnalités, lui qui a encouragé les jeunes à rejoindre les mouvements takfiristes armées au Moyen-Orient, émettant des fatwas en faveur des attentats suicides. Lui qui a émis des fatwas contre/en faveur des attentats suicides.
Ces manœuvres politiques et stratégiques n’innocentent en aucun cas ni l’Arabie Saoudite ni certains pays du Golfe, qui s’immiscent dans les affaires d’autres pays du Moyen-Orient, et soutiennent d’une façon ou d’une autre les mouvances armées radicales, notamment en Libye, en Syrie ou encore au Yémen.
Affirmer le contraire ne relève que de l’hypocrisie et du dédain envers les peuples du Moyen-Orient, comme par exemple le peuple syrien qui connaît la réalité des choses. Il la connait suite à son expérience d’une guerre atroce où toutes les nations du monde s’opposent les unes aux autres, dans une allure de troisième guerre mondiale localisée.
L’Arabie Saoudite et ses alliés arabes ont eu tort d’assiéger de telle façon le Qatar sans prendre en compte ses capacités économiques, financières ainsi que sa présence dans le monde, notamment en Europe, à travers les lobbies et les investissements, ainsi qu’à travers ses chaînes satellitaires, comme Al-Jazeera, vitrine du Qatar.
Cependant, la mentalité tribale a poussé les dirigeants de l’Arabie Saoudite à mener des aventures qui ne servent que le projet américano-sioniste au Moyen-Orient, croyant que cela va les protéger d’une chute probable. Il convient de préciser que la prospérité financière, le développement matériel et technologique n’a pas éradiqué la persistance de la mentalité tribale. Cette mentalité s’exprime quasiment chez tous les dirigeants arabes sans exception, à des degrés différents, telle une pathologie incurable.
Certains dirigeants du monde arabe sont atteints du syndrome de la servilité volontaire, concept développé par Hannah Arendt, et ont besoin en permanence de leurs maîtres afin d’avoir une légitimité mensongère, qu’ils sont les seuls à croire.
Les mesures prises par l’Arabie Saoudite contre le Qatar ont en quelque sorte échoué, tout comme les médiations koweitiennes.
Le danger se situe dans des manœuvres militaires contre le Qatar, puisque la pensée saoudienne n’accepte pas que des pays du Moyen-Orient, et notamment/en l’occurrence du Golfe, ne se soumettent pas de manière absolue à sa volonté. L’accession de Mohamad Ben Salmane au poste de prince héritier, c’est-à-dire bientôt roi de l’Arabie Saoudite, fait émettre beaucoup de craintes dans ce domaine, surtout lorsque nous voyons la gestion du Prince héritier, en tant que ministre de la défense, en ce qui concerne la crise au Yémen.
Cependant, l’Arabie Saoudite ne considère pas les pays du Golfe comme des États libres et indépendants. Pour le royaume saoudien, ils sont plus un prolongement de sa vision politico-stratégique dans la région. La guerre au Yémen se situe dans cette perspective, même si ce n’est pas l’unique raison.
L’émir du Qatar a refusé de se rendre aux États-Unis pour rencontrer le président Donald Trump de peur de subir un coup d’Etat durant son absence, à l’instar du coup d’État qui a eu lieu en 1995 contre le grand-père du prince actuel Cheikh Khalifa Ben Hamad, renversé par son fils Cheikh Hamad Ben Khalifa. Mais il paraîtrait que le président américain s’est tenu au silence suite à l’achat par le Qatar d’avions de chasse F-15, pour un montant de 52 milliards d’euros.
Les premiers bénéficiaires de la crise actuelle entre l’Arabie Saoudite et le Qatar sont les États-Unis et leurs alliés israéliens. Quant aux Européens, ils peuvent se diviser face à cette crise, d’autant plus que l’Arabie Saoudite et le Qatar ont de grands investissements en Europe, notamment en Allemagne et en France.
Nous avons vu le ministre qatari des affaires étrangères se rendre en Allemagne, pour discuter de la crise avec l’Arabie Saoudite, alors que le ministre saoudien des affaires étrangères s’est rendu en France pour évoquer la même crise. Si l’Europe se divise sur la crise saoudo-qatarie, sur ses issues et ses solutions, le président Trump aura fait d’une pierre deux coups.
Il aurat divisé les pays du Golfe, provoquant une crise sans précédent, tentant d’épuiser ces pays, les engageant dans des guerres d’usure au Moyen-Orient, et leur extorquant de grosses sommes d’argent. En même temps, à partir de cette crise M. Trump aura divisé l’Europe pour la mettre complètement sous sa domination.
Quant à la Turquie, alliée du Qatar, elle est également visée à son tour par les manœuvres américano-saoudiennes, si elle n’obéit pas au nouveau système politique qui est en train de se dessiner par l’Arabie Saoudite dans la région du Golfe.
Le centre de ce projet politico-stratégique impulsé par l’Arabie Saoudite est la constitution d’un front de protection pour le royaume. Toutefois, les pays participant à cette coalition risqueraient de subir littéralement un effacement politique et militaire au profit des Américains, et de leurs alliés arabes et sionistes. Cela serait un facteur de graves problèmes et la répétition de la crise saoudo-qatari.
Il convient de préciser que par son alliance avec le Qatar, Erdogan a mis un pied à l’intérieur du Conseil de Coopération des pays du Golfe, chose qui n’a pas plu à l’Arabie Saoudite. Cependant, le délai qu’Erdogan a donné afin de trouver une solution à la crise saoudo-qatari -c’est-à-dire la fin du mois de Ramadan- n’est que le délai qu’il faut à ce dernier pour préparer les 5 000/cinq milles soldats dont le parlement turc a voté l’envoi à Doha.
De ce fait, le Qatar voudrait signifier à l’Arabie Saoudite qu’il n’est pas seul dans cet affrontement, et qu’il y a de grandes puissances régionales qui le soutiennent. En même temps, Erdogan refuse de laisser le monopole du monde musulman, notamment sunnite, à l’Arabie Saoudite.
L’une des plus grandes farces dans la crise entre l’Arabie Saoudite et le Qatar sont les déclarations du ministre qatari des Affaires Étrangères, évoquant les mesures prises contre son pays comme le manque de respect des lois internationales. Cependant, le Qatar a demandé une réunion à l’ONU afin de parler des violations visant le peuple qatari. La vraie farce est lorsque les lois internationales, ainsi que les conventions des Droits de l’Homme, deviennent des outils permettant à certains dirigeants d’essuyer le sang des innocents, qui tombent sur leurs chaussures à cause des guerres qu’ils mènent au Moyen-Orient et dans le monde.
Ils ont habillé le Qatar de l’étoffe du terrorisme, au moment où les organisations terroristes en Syrie et en Irak s’effondrent. Cela signifie que lorsque le terrorisme perdra complètement la bataille, l’Arabie Saoudite et ses alliés vont revenir à la charge, attribuant cela au Qatar comme/en tant que soutien politique, financier et militaire du terrorisme.
L’axe américano-saoudo-sioniste va tâcher d’apparaître comme un vecteur de la paix, avec pour objectif d’investir économiquement dans la reconstruction des pays saccagés par les guerres que ce même axe a mené au Moyen-Orient. Actuellement, l’axe évoqué perd la guerre militaire, alors il tente une victoire par la guerre des investissements. Mais les connivences de l’axe américano-saoudo-sioniste sont telles que toute manœuvre de blanchissement est compromise.
Une chose est certaine, la crise entre l’Arabie Saoudite, le Conseil de Coopération des pays du Golfe, le Qatar et ses alliés vient tout juste de commencer. D’autres crises pourraient avoir lieu entre l’Arabie Saoudite et d’autres pays du Golfe ou l’Egypte, voire la Turquie. Tout dépend également de la stratégie que va suivre le nouveau prince héritier saoudien, lequel deviendra probablement le prochain roi de ce royaume.
Par Antoine Charpentier