Alors que plusieurs pays musulmans ont manifesté leur solidarité avec les Rohingyas, l’Arabie saoudite a réagi très modérément à l’égard de la Birmanie, par où transite son pétrole vers la Chine.
Le premier exportateur mondial de pétrole cherche à accroître ses ventes à la Chine, son puissant client, notamment en se servant d’un oléoduc en Birmanie. «L’Arabie saoudite n’a d’autre choix que de fermer les yeux», lâche Jean-Joseph Boillot, spécialiste des économies émergentes au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII).
Le royaume saoudien a beau être le berceau de l’Islam, il pourrait être en train d’ignorer le nettoyage ethnique des Rohingyas au nom de l’or noir.
En avril, un oléoduc a été mis en service pour relier la côte ouest birmane à la Chine. Il s’agit du premier accès direct et sûr pour le transport du pétrole entre la Chine et le Moyen-Orient.
Les importations pétrolières chinoises qui ne passent pas par le pipeline, et qui sont originaires de l’Arabie saoudite, transitent par le détroit de Malacca avant d’atteindre la Chine continentale. Cette route commerciale est particulièrement vulnérable dans la mesure où une prise de contrôle de ce détroit par des puissances hostiles à la Chine mettrait son approvisionnement énergétique gravement en danger.
L’oléoduc Birmanie-Chine a une capacité énorme : 22 millions de tonnes par an. Près de la moitié provient de l’Arabie saoudite, ce qui représente 5% de la production totale du royaume.
Or c’est le gouvernement birman, le même qui a orchestré la persécution des Rohingyas et leur exode vers le Bangladesh, qui entretient le pipeline.
«Condamner Myanmar serait synonyme, pour le royaume saoudien, de faire une croix sur le marché pétrolier chinois», souligne Jean-Joseph Boillot.
Non seulement l’oléoduc traverse la Birmanie, mais il empiète sur son passage sur des terres agricoles appartenant aux Rohingyas.
Les producteurs pétroliers avaient réquisitionné leurs terres sans leur donner de compensation financière.
La minorité musulmane a beau réclamer une redevance depuis des années, le régime militaire, corrompu par les compagnies pétrolières, et seul détenteur des bénéfices de l’oléoduc, n’est pas près de céder, et continue à les opprimer.
«Cet argent servirait à financer la retraite des militaires», précise Moiffak Hassan, qui a longtemps travaillé en tant qu’ingénieur pétrolier pour la Banque mondiale.
«Tout ce bruit ne servira à rien»
«L’ampleur des relations économiques entre l’Arabie saoudite et la Chine dépasse largement la question des Rohingyas», explique Jean-Joseph Boillot. L’Arabie saoudite n’a manifesté son soutien qu’à travers une aide humanitaire. Le 19 septembre, le roi Salmane a annoncé qu’il allait faire un don de 15 millions de dollars aux réfugiés rohingyas, une déclaration que l’ingénieur pétrolier Moiffak Hassan considère comme du «camouflage» : «Ce sont des paroles en l’air. 15 millions c’est rien du tout, n’importe quel prince saoudien pourrait les offrir tout de suite. L’Arabie saoudite paie pour détourner l’attention, pour ne pas avoir à accueillir des réfugiés.» Une passivité qui s’inscrit dans la ligne politique officielle des dirigeants saoudiens : «Depuis que le prince héritier Ben Salmane est au pouvoir, le concept de panislamisme est tombé à l’eau. Il promeut un nationalisme saoudien, complètement désintéressé de la cause des musulmans à travers le monde», explique Madawi al-Rasheed, professeure saoudienne au centre de recherche sur le Moyen-Orient (London School of Economics).
Que peut-on alors encore espérer de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), dominée par l’Arabie saoudite ? Les pays membres se sont réunis le 11 septembre pour aborder la question des Rohingyas et ont décidé d’accorder des aides financières aux réfugiés. Toujours pas de sanctions contre Myanmar.
Les Rohingyas ne sont pas les premiers à subir des persécutions au nom de l’or noir. Dans les années 90, Total s’empare d’un des plus grands champs gaziers offshore, celui de Yadana, au sud de la Birmanie. La compagnie pétrolière et gazière y installe un pipeline qui traverse la Birmanie pour exporter du gaz vers la Thaïlande. Sur le passage de ce gazoduc, se trouvent des villages habités par les Karens, une minorité tibéto-birmane à l’est du pays. L’armée birmane les a opprimés, et les a contraints à travailler sur ces champs gaziers. Le régime militaire, corrompu par Total, avait fermé les yeux. De nombreuses ONG s’étaient mobilisées, en vain. «Tout ce bruit ne servira à rien. Même Aung San Suu Kyi n’a rien pu faire, elle n’est pas assez puissante face au régime militaire. Rien n’a été fait pour contrer Total dans la zone des Karens à l’époque, rien ne sera fait aujourd’hui pour les Rohingyas», conclut Moiffak Hassan.
Avec Libération
Mélissa Kalaydjian