Emmanuel Macron se rendra-t-il l’an prochain en Iran, à l’invitation du Président Hassan Rohani? Une visite historique pour un chef d’État français, sur fond de tensions autour de l’accord sur le nucléaire. Le Président jouera-t-il les intermédiaires entre Washington et Téhéran ou affirmera-t-il la position européenne sur ce dossier?
«Je souhaite qu’on reste dans le cadre de cet accord, le président Rohani s’est d’ailleurs engagé à y rester. L’Europe et les autres négociateurs y restent, parce qu’on contrôle mieux les choses, parce que mon objectif pour nos concitoyens c’est la sécurité et j’irai au moment voulu pour avoir ce dialogue exigeant avec l’Iran. On peut avoir des désaccords mais ils ne doivent pas être rédhibitoires.»
Par ces mots prononcés devant les caméras de TF1 dimanche 15 octobre, Emmanuel Macron a lancé une bombe: la visite d’un chef d’État français en Iran serait un événement inédit depuis les années 70. Il y rencontrerait son homologue iranien, le président Hassan Rohani, avec lequel il se serait entretenu par téléphone.
Un geste du Président français, qui selon Thierry Coville, chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et auteur, notamment, de «Iran, la révolution invisible» (Éd. Découverte, 2007) s’inscrit dans un rapprochement entre Paris et Téhéran amorcé sous la présidence de François Hollande —ce malgré les efforts déployés par son ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius.
«On a bien vu durant la dernière visite d’Hassan Rohani, à Paris [début 2016, ndlr]- il a quand même été reçu par les plus hautes autorités- que cela c’est très, très bien passé.» détaille ce spécialiste de l’Iran qui rappelle aussi les félicitations qu’Emmanuel Macron avait adressées à son homologue lors de sa réélection à la mi-mai. Autant de signes qui dénotent selon notre expert une «autre direction» prise par la «politique iranienne de la France» et qui devient «plus explicite» avec la crise autour de l’accord sur le nucléaire iranien.
«La position de la France rejoint celle des autres pays européens qui tiennent à cet accord et qui l’ont fait savoir de manière très explicite au président américain.»
Un rapprochement franco-iranien, sur fond de tensions encore exacerbées par les prises de position du président américain. En effet, Donald Trump a jugé cet accord «inacceptable» par pas plus tard que vendredi 13 octobre. Dans une diatribe enflammée, le locataire de la Maison-Blanche, qui avait promis durant sa campagne électorale de revenir sur ce «deal», s’est montré particulièrement virulent à l’encontre de l’Iran, qu’il dépeint comme «un régime fanatique», qui «répand la mort, la destruction et le chaos» et qu’il accuse d’être «le principal État soutenant le terrorisme dans le monde.»
Des propos qui ont fait vivement réagir Paris, Berlin et Londres. Dans une déclaration commune, les trois capitales européennes se sont dites «préocupées» par les conséquences que pourrait avoir un durcissement de l’accord par le Congrès des États-Unis. Une fragilisation également condamnée par Moscou et Pékin, finissant ainsi d’isoler la partie américaine sur ce dossier.
«C’est un accord qui existe, qui résulte d’une négociation acharnée, il y a eu des concessions de part et d’autre. Quand on dit qu’on veut l’améliorer, cela me paraît complètement illusoire.»
Une charge du Président américain visant à satisfaire tant son électorat que ses alliés Israéliens et Saoudiens et dont les effets sont —sans grande surprise- loin d’être constructifs. Comme le souligne Thierry Coville, qui se réfère à la presse iranienne:
«En ayant ce discours anti-iranien, il crée des tensions, il renforce plutôt les durs en Iran et affaiblit les modérés, il développe un sentiment antiaméricain en Iran… Donc on ne voit pas très bien en quoi cela pourrait avoir un aspect constructif, que cela soit sur le nucléaire ou les relations futures entre l’Iran et les États-Unis.»
L’accord, signé à Vienne en juillet 2015 avait donné lieu à près de 21 mois de négociation entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne, avec la République islamique. Un accord qui mettait un terme à pas moins de douze ans de tensions diplomatiques et auquel Emmanuel Macron a renouvelé sa confiance, et ce quelle que soit la position américaine sur le sujet, déclarant aux journalistes concernant la position de son homologue américain «Il veut durcir les choses avec l’Iran, c’est ce qu’il a déclaré vendredi. Moi je lui ai expliqué que c’était à mes yeux une mauvaise méthode».
Une sortie qui lui vaut d’être présenté ce matin dans la presse comme le «médiateur» de cette crise ouverte entre Washington et Téhéran, un terme peu approprié selon Thierry Coville. Il estime pour sa part que «l’Europe doit défendre ses propres intérêts» avant de s’occuper de jouer les intermédiaires entre les États-Unis et l’Iran:
«Si cela permet de mieux expliquer la position iranienne aux autorités américaines, d’organiser des négociations, etc. pourquoi pas, mais […] je considère que l’Union européenne doit d’abord penser a elle-même et avoir une politique étrangère enfin indépendante de celle des États-Unis. Cette crise est un moment de vérité pour la politique étrangère européenne.»
L’Europe peut-elle, cependant, se permettre d’aller à l’encontre de la politique étrangère américaine? En effet, si Barack Obama a abrogé une bonne partie des sanctions unilatérales imposées par les États-Unis à l’Iran, une loi américaine fait toujours figure d’épée de Damoclès sur les liens économiques que pourraient renouer Européens et Iraniens, la loi d’Amato-Kennedy, qui est à l’heure actuelle simplement suspendue concernant l’Iran.
Elle vise à sanctionner les «États-voyous» en raison de leur soutien supposé au terrorisme international. Dans le cas de l’Iran, elle pourrait permettre aux autorités américaines de sanctionner à tout moment des entreprises étrangères- en lien direct ou indirect avec les États-Unis- qui auraient décidé de commercer avec des entités ou des personnes de nationalité iranienne. Le cas d’école le plus flagrant reste pour l’heure l’amende record de 8,9 milliards de dollars infligée par l’OFAC (organisme sous tutelle du Département du Trésor en charge de faire respecter les sanctions financières décrétées par les États-Unis) à la BNP en 2014 pour violation d’embargos américains.
Un «scénario catastrophe» peu probable, estime Thierry Coville qui souligne l’écart entre les paroles et les actes du président américain, qui fustige l’accord sur l’Iran sans toutefois le démonter — ou plutôt le «déchirer» — lui-même comme il l’avait annoncé.
«Les Européens devront réagir avec force. On sait très bien que ces sanctions américaines ont touché les entreprises européennes parce que les Européens l’ont bien voulu, ont accepté le caractère extraterritorial des sanctions américaines. Et là, non, je pense qu’il faudra que ce soit fini!»
Des menaces de poursuites de la part des autorités américaines aujourd’hui ravivées suite au vote, mi-juillet, par le Congrès d’une nouvelle série de sanctions, notamment à l’encontre de Téhéran pour ses activités militaires jugées «pernicieuses». Quoi qu’il en soit, Emmanuel Macron, qui entend également dialoguer avec l’Iran au sujet de la crise syrienne, semble bel et bien inscrire son action politique internationale dans un multilatéralisme que l’on n’avait plus observé depuis plus d’une décennie en France. Reste à savoir jusqu’où il parviendra à porter ses idées.
Source: Sputnik