Prévenus absents, victimes non convoquées, allégations de torture: les procès des attentats attribués à la mouvance terroriste en Tunisie ces dernières années patinent, entravés par une désorganisation de la justice.
Le procès de l’attentat du musée du Bardo, qui a fait 22 morts dont 21 touristes en mars 2015, a ainsi démarré en catimini en juillet, sans que les victimes ne soient convoquées. Près de la moitié des prévenus n’étaient pas présents.
Par souci de sécurité, les principaux accusés dans de tels procès sont généralement détenus dans des prisons différentes, et les autorités ne parviennent pas toujours à les faire venir à temps pour l’audience. En outre, certains extrémistes refusent de comparaître devant une justice qu’ils ne reconnaissent pas.
Lors de la seconde audience du procès du Bardo mardi, ils étaient 18 sur 26 dans le box. Et le procès a de nouveau été renvoyé.La justice antiterroriste, dotée d’enquêteurs et d’un parquet spécialisés, est pourtant moins engorgée et mieux dotée que les autres juridictions, et plutôt compétente selon plusieurs observateurs.
Mais elle pâtit des mêmes travers que toute la justice pénale: désorganisation des greffes, multiplication des formalités chronophages, défaillances dans le respect des procédures pénales.
L’instruction doit rendre ses conclusions dans un délai qui s’avère trop court pour des procès complexes aux ramifications internationales.
« Nous réclamons un changement du délai de détention provisoire (14 mois actuellement, ndlr). Il faudrait au moins trois ans » pour les affaires de terrorisme, estime Béchir Akremi, procureur général de Tunis, qui avait mené l’instruction du Bardo.
En revanche, il n’y a pas de limite de temps passé en détention pendant le procès. Celui-ci peut donc s’éterniser pendant que sont rassemblées les expertises et pièces manquantes.
Dix-huit tomes
« Nous avons déjà traité par le passé des dossiers internationaux très complexes, comme les trafics d’armes entre la Tunisie et la Libye. Mais ce qui est spécifique sur ces procès, c’est le nombre de victimes étrangères », poursuit M. Akremi.
Et avec des services judiciaires où rien n’est numérisé, accéder aux informations est compliqué, en raison de l’imposante taille des dossiers de l’antiterrorisme -18 tomes, soit 18.000 pages pour le Bardo-.
Côté français, les victimes disent n’avoir reçu qu’un dixième du dossier pénal, 2.000 pages, a priori un résumé effectué par le juge par souci d’efficacité, mais elles réclament la totalité.
Elles ont à maintes reprises regretté d’avoir été trop peu associées à la procédure, au point de ne pas être dûment représentées à l’audience.
« Ce que l’on demande à la justice tunisienne, c’est d’intégrer les victimes à leur place dans le procès », souligne l’avocat français Gérard Chemla, qui défend 27 des parties civiles.
Il regrette que Paris et Tunis n’aient débloqué aucun moyen pour permettre à celles-ci de suivre le procès sur place ou à distance.
Des avocats tunisiens ont été commis d’office, mais la plupart n’ont pas eu de contact avec les victimes étrangères.
Les victimes n’ont pas été entendues durant l’enquête et rien n’assure qu’elles le seront pendant le procès.
« Les victimes françaises demandent justice, dit Me Chemla à Tunis. La justice, c’est la transparence, la vérité et l’accessibilité. »
Torture
Des dysfonctionnements comparables ont émergé lors du procès de l’attentat de Sousse, où un étudiant tunisien armé d’une kalachnikov a abattu 38 touristes dans une station balnéaire le 26 juin 2015.
Lors de la deuxième audience en octobre, des avocats désignés par l’Etat tunisien pour représenter des touristes britanniques, irlandais ou belges ont expliqué ne pas savoir s’ils représentaient une victime blessée ou les proches d’un mort, ni même la nationalité de leur client.
La plupart des victimes ont abandonné le suivi direct du procès et l’audience s’est déroulée dans une salle quasi vide.
Des avocats de la défense ont par ailleurs fait état de mauvais traitements sur leurs clients.
Dans le procès du Bardo, six suspects ont été libérés durant l’instruction car leurs aveux ont été extorqués sous la torture, selon la justice tunisienne. Leurs dépositions ont été écartées.
Un signal fort que la justice ne tolère plus ce type de pratiques, mais qui a également semé le doute sur l’enquête.
D’importants projets de réforme de la justice sont en cours, notamment pour améliorer son efficacité et la collaboration dans la lutte antiterroriste.
Reste à savoir si cela pourra améliorer le déroulé des procès en cours, qui risquent de durer plusieurs années encore.
Source: Avec AFP