En dépit de ses efforts pour lutter contre le trafic de drogue, le Maroc est régulièrement désigné par les rapports internationaux comme le principal producteur mondial de résine de cannabis. Motif supplémentaire pour envenimer les relations déjà tendues avec son voisin algérien.
Nouveau rebondissement de «la crise du haschich» entre les deux grands voisins du Maghreb. Les autorités algériennes ont une nouvelle fois pointé du doigt le Maroc, qu’elles accusent de noyer le pays sous des tonnes de résines de cannabis. L’accusation est venue du Premier ministre en personne, Ahmed Ouyahia, qui a déclaré que «concernant (…) le Maroc, tout le monde sait où se trouve le haschich en Afrique du Nord. Il ne nous vient pas d’Afghanistan, qui est trop loin de nous». Silence à Rabat, face à cette nouvelle tentative algérienne de «ternir la réputation du Maroc», d’après le plus célèbre média en ligne marocain, Hespress.
Pas de réaction… à moins de considérer que la pique verbale du ministre marocain des Affaires étrangères, intervenue le lendemain, constituait une réponse indirecte. Dans une réunion tenue dimanche à Alger, qui a réuni les chefs de diplomatie des deux rives de la Méditerranée, Nasser Bourita a déclaré que le bon voisinage «est une valeur et un engagement» qui doit être respecté par les États. «La stabilité n’est pas compatible avec l’irresponsabilité», a-t-il ajouté.
C’est que, de son côté, le Maroc déploie bien des efforts pour lutter contre ce fléau. Régulièrement, les forces de sécurité saisissent des quantités considérables de drogue. En septembre dernier, par exemple, plus de 226 kilogrammes de cocaïne pure ont été interceptés sur l’axe Agadir-Marrakech. La marchandise devait transiter par le nord du Royaume pour alimenter les marchés européens. Y aurait-il moins de bonne volonté dès lors qu’il s’agit d’arrêter le haschich local en partance vers l’Algérie?
C’est dans la région montagneuse du Rif que se concentre l’essentiel de la culture du «Kif», appellation locale du cannabis. Une tradition ancestrale, encouragée sous le protectorat espagnol puis sous l’occupation française, qui l’a étendue via sa Régie du tabac et du kif, à d’autres zones du pays. Aujourd’hui, et en dépit de son interdiction officielle, cette culture continue de prospérer à la faveur d’une marginalisation historique dont souffre cette région frondeuse, théâtre en 2016 de contestations sociales. Alors, Rabat joue à l’équilibriste entre les engagements pris, notamment avec les partenaires européens, et la marge laissée à quelque 90.000 ménages dont le cannabis constitue le seul moyen de subsistance.
La même logique prévaut dans quelques régions reculées de Tunisie pour la contrebande de carburant en provenance de Libye ou d’Algérie et qui constitue une source de subsistance pour des milliers de familles. Là aussi, on tolère, comme on peut, à telle enseigne que les contrebandiers de carburants ont pignon sur rue, et parfois, poussent la hardiesse un peu plus loin.
« Une photo qui résume tout (…) contrebande et chevauchement d’une ligne continue pour dépasser une voiture de la garde nationale. Quel culot! »
Retour au Maroc, où les plantations de cannabis, s’étendant sur quelque 45.000 hectares, génèrent, selon un rapport du département d’État américain daté de mars 2016, pas loin de 23 milliards de dollars, soit près de 23% du PIB marocain en 2016.
Dans ce pays leader régional en tourisme, Tour operators et «dealers» locaux joignent leurs efforts pour garantir le bien-être de beaucoup des touristes étrangers. Comme dans la ville pittoresque de Chaouen, prisée pour sa médina bleue et son hasch vert. C’est que l’autre facette de la forte production locale est une demande, tout aussi forte, des marchés européens.
Et si l’ambition que nourrit pour le Maroc l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) est de réduire les superficies de plantations en deçà de la barre symbolique de 23.000 hectares en 2020, c’est sans compter de nouvelles variantes hybrides qui ont été importées d’Europe avec un rendement décuplé, d’après une étude, datant de 2015, de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).
Entre-temps, sur les réseaux sociaux, les amabilités échangées dans l’humour n’excèdent pas les limites conventionnelles du voisinage, à titre d’exemples:
« L’Algérie est jalouse du Maroc parce que le Maroc produit effectivement le meilleur Haschich »!
« Supposons que ce que dit le PM algérien est vrai. Le Maroc est-il coupable si l’Algérie est accro au Haschich? »
D’autres aiment à rappeler, par contre, que la problématique est la même pour les deux pays, bordés au Sud par la bande sahélo-saharienne, autoroute de tous les trafics.
« C’est la même chose au Maroc, avec les drogues hallucinogènes qui nous parviennent d’Algérie (.) Ni le Maroc, ni l’Algérie ne peut affronter ce trafic (.) il faut rester positif. »
Difficile de raison garder quand les deux géants se livrent à une guerre d’influence sur fond de relations tendues, depuis des décennies. Aujourd’hui, comme hier, leur différend a un nom: le Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole que le Maroc revendique comme partie intégrante de son territoire, mais dont l’Algérie soutient les velléités autonomistes, au nom —officiellement- de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Dans ce climat fait de surenchères, de tacles diplomatiques et déclarations incendiaires, tout incident apparaît comme bon à prendre, et le cannabis en fait partie. En septembre dernier, le chef de la diplomatie algérienne, Abdelkader Messahel, avait accusé le Maroc de «blanchir l’argent du cannabis en Afrique». Rabat, qui réalise des percées économiques spectaculaires en Afrique subsaharienne, a rappelé son ambassadeur à Alger pour consultation. Deux mois plus tard, c’étaient les déclarations d’Ahmed Ouyahia qui venaient former ce nouvel épisode de «la crise du haschich». Ce qui n’empêchera pas le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, quelques heures après avoir critiqué l’Algérie sur ses manquements aux principes de bon voisinage, d’échanger une accolade avec son homologue algérien, longuement commentée par les médias algériens et marocains.
Effet de la journée internationale du câlin, sans doute, puisqu’il n’y a pas que le haschich qui adoucit les mœurs.
Source: Sputnik