Le veto russe au Conseil de sécurité des Nations Unies, lundi, pour bloquer une résolution soutenue par l’Occident condamnant l’Iran pour ses violations présumées des sanctions internationales et l’aggravation du conflit au Yémen, a été un événement historique.
C’est la première fois que la Russie rejette au Conseil de sécurité une initiative dirigée par les États-Unis concernant un conflit régional dans lequel elle n’est pas directement impliquée. Moscou n’a pas bloqué les actions occidentales sur l’Irak en 2003 ou sur la Libye en 2011, bien que les intérêts russes aient été impliqués. Moscou n’a pas non plus bloqué l’admission du Kosovo à l’ONU en tant qu’État souverain, piloté par l’Occident, en 2008, bien qu’il s’agisse d’une pilule amère à avaler dans tous les sens du terme.
En Syrie, bien sûr, la Russie a exercé son droit de veto à plusieurs reprises, dans l’intérêt de son allié. Mais dans le conflit du Yémen, la Russie n’est ni une participante ni un protagoniste, et elle n’a aucune raison légitime de prendre parti.
Il suffit de dire que le veto russe de lundi entre dans une catégorie à lui seul, comme une manifestation de l’impasse russo-américaine en matière d’influence mondiale. Il devient donc un tournant dans l’après-guerre froide de la politique des grandes puissances.
Sur son plan le plus large, la Russie a souligné que les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux ne peuvent plus dominer le système international et que la Russie s’opposera par principe à l’hégémonie américaine. Cela a de graves conséquences pour la sécurité régionale et internationale.
En effet, ce que la Russie a fait, c’est abattre une tentative peu scrupuleuse de l’Occident d’isoler l’Iran d’un point de vue géopolitique. L’Occident a adopté une position cynique à l’égard du conflit au Yémen. Les États-Unis ont participé virtuellement au conflit en fournissant une assistance militaire aux forces saoudiennes et en identifiant pour elles les cibles de leurs attaques aériennes brutales contre le Yémen.
L’administration du président américain Donald Trump ne s’est pas souciée de fournir la moindre preuve empirique que les Houthis dépendent du soutien de l’Iran. L’ONU et d’autres experts refusent d’accepter l’allégation des États-Unis selon laquelle l’Iran aurait fourni aux Houthis les missiles qui visaient l’Arabie Saoudite. L’administration de Barack Obama a été assez franche pour admettre que si les Houthis pouvaient être «pro-iraniens » , il n’y avait pas d’alliance en tant que telle entre les deux.
En réalité, les musulmans chiites zaïdites sont plus proches de l’islam sunnite que du chiisme pratiqué en Iran.
La position russe s’est opposée au projet de texte britannique (appuyé par les Etats-Unis et la France) condamnant l’Iran, qui se fonde sur «des conclusions et des rapports non confirmés qui devraient être vérifiés et discutés par le comité des sanctions », comme l’a dit le représentant permanent de la Russie auprès des Nations unies, Vassili Nebenzya.
Nebenzya a noté que la partie russe proposait « plus qu’une formulation de compromis », mais que ces idées avaient été rejetées. Il a déclaré que la Russie « s’oppose fondamentalement à l’extension technique des groupes d’exportation des comités de sanctions qui sont politisés et utilisés pour résoudre non pas des tâches techniques et d’experts, mais des tâches géopolitiques ».
Il est significatif de noter que le texte britannique avorté contenait non seulement des condamnations contre Téhéran sur les livraisons illégales d’armes aux Houthis, mais aussi une déclaration d’intention de prendre de nouvelles mesures en réponse à ces violations. On peut imaginer que Moscou soupçonnait les intentions américaines en aval, compte tenu de la stratégie hostile de l’administration Trump à l’égard de l’Iran, à savoir mettre fin à l’accord nucléaire, imposer davantage de sanctions, faire reculer la capacité de l’Iran en matière de missiles et faire reculer l’Iran en tant que puissance régionale.
Dans un refus catégorique à Washington, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a déclaré mardi à Moscou qu’ «il est nécessaire de mettre pleinement en œuvre le Plan d’action global conjoint [l’accord nucléaire iranien]. S’il y a une volonté de discuter d’autres questions concernant l’Iran dans ce format ou dans un autre format, cela devrait se faire avec la participation volontaire de l’Iran et sur la base du consensus plutôt que par le biais d’ultimatums. »
Il est intéressant de noter que le Ministre des affaires étrangères saoudien Adel al-Jubeir a téléphoné à M. Lavrov lundi, quelques heures avant le vote du Conseil de sécurité. Selon la déclaration russe, ils ont «procédé à un échange de vues sur un certain nombre de questions bilatérales et moyen-orientales, notamment dans le cadre de la rédaction d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies sur le Yémen ».
De toute évidence, si l’administration Trump avait cherché à tirer parti des relations entre l’Arabie Saoudite et la Russie, cela n’a pas fonctionné. Moscou a en effet fait une séparation entre ses relations avec l’Arabie Saoudite et celles avec l’Iran. La Russie a fait montre de ses qualités uniques pour jouer un rôle influent dans la fin du conflit au Yémen et pour faciliter un rapprochement saoudien-iranien. Fait intéressant, Riyad n’a pas critiqué le veto de Moscou lundi et il a été laissé aux États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne le soin de faire une déclaration commune.
Bien sûr, ce qui ressort en dernière analyse, c’est la résilience de l’alliance russo-iranienne dans la politique du Moyen-Orient. La thèse occidentale selon laquelle un Iran « affirmé » s’oppose inévitablement à l’ »expansionnisme » russe au Moyen-Orient se révèle être une notion exagérée.
Ironiquement, l’événement de lundi aura un effet salutaire sur la coordination russo-iranienne en Syrie, d’autant plus que les deux puissances préparent un sommet trilatéral avec la Turquie à Istanbul en avril.
Par MK BHADRAKUMAR : Ex-diplomate indien et chroniqueur pour Asia Times
Source : Asia Times
Traduction : Avic– Réseau International