Mine de rien, une députée israélienne vient de découvrir le pot aux roses. Avec ingénuité, cette élue du parti de gauche « Meretz » a révélé que 122 militaires israéliens et américains étaient en activité sur une base aérienne saoudienne. Cette situation l’horrifie, dit-elle, car ces militaires sont inutilement exposés au « terrorisme saoudien » !
On ne sait s’il faut attribuer cette indignation à la candeur des sionistes de gauche ou à leur duplicité coutumière. Mais l’affaire a le mérite de lever le voile sur la collaboration militaire israélo-saoudienne au moment où l’Arabie saoudite est engagée dans une partie de bras de fer avec l’Iran.
Selon des sources citées par cette parlementaire, l’opération viserait à déployer un système antiaérien extrêmement performant sur le sol saoudien tout en consolidant le système antimissile israélien « Dôme de fer ». Un accord en ce sens aurait même été paraphé au cours de la visite de Barack Obama à Riyad en avril 2016. Ainsi, la Maison blanche ferait coup double. Les Saoudiens nourrissant à l’égard des missiles iraniens la même hantise que les Israéliens à l’égard de ceux du Hezbollah, l’Oncle Sam réunit ses deux alliés régionaux en les gratifiant des derniers joujoux du complexe militaro-industriel.
D’étranges conciliabules laissaient supposer que Riyad et Tel Aviv nouaient clandestinement un partenariat militaire malgré l’absence de relations officielles entre les deux pays.
On se doutait bien que la non-reconnaissance d’Israël par la pétromonarchie préférée des Occidentaux n’était plus qu’un héritage suranné, lié à la grande époque de la « solidarité arabe » et voué par l’esprit du temps à finir aux oubliettes. De nombreux indices nourrissaient le soupçon d’une telle connivence, avivé par des convergences d’intérêt qui n’échappent à personne. Désormais, c’est fait. Un pas a été franchi. La coopération entre Israël et les Saoud s’étale au grand jour avec la bénédiction américaine. Il faut d’ailleurs reconnaître que certains Saoudiens avaient anticipé ce rapprochement.
Il suffit de rappeler les déclarations prémonitoires du prince Walid Ben Talal en octobre 2015.
Selon le quotidien koweïtien « Al Qabas », il déclara : « Je me rangerai du côté de la nation juive et de ses aspirations démocratiques dans le cas du déclenchement d’une Intifada palestinienne, et j’userai de toute mon influence pour briser les initiatives arabes sinistres visant à condamner Tel-Aviv, parce que je considère l’entente israélo-arabe et une future amitié comme nécessaire pour empêcher l’extension dangereuse de l’Iran ».
On n’entendit guère les amis occidentaux d’Israël, à l’époque, se scandaliser de cette déclaration d’amour d’un coupeur de tête esclavagiste pour la « seule démocratie du Moyen-Orient » (si vous êtes un laïque européen) ou la « lumière des nations » (si vous êtes un puritain américain).
Mais continuons avec le prince Walid. « Par conséquent, dit-il, l’Arabie Saoudite et Israël doivent renforcer leurs relations et former un front uni pour contrecarrer le programme ambitieux de Téhéran ». Fort logiquement, la République islamique d’Iran est en ligne de mire. Mais il y a plus. Le quotidien koweïtien « Al Qabas » précise que le prince Al-Walid BenTalal s’est exprimé lors d’une tournée régionale visant à obtenir un soutien pour les rebelles saoudiens présents en Syrie ». Cette ultime précision dévoile le fond de l’affaire. Car Washington, Riyad et Tel Aviv ont le même désir de provoquer la chute du président syrien. Les Saoudiens sont les sponsors officiels de ces hordes de mercenaires décérébrés dont raffolent les droit-de-l’hommistes. Mais Israël et les USA sont les bénéficiaires ultimes de cette tentative de destruction d’un Etat syrien qui a trois fâcheuses manies : il défend sa souveraineté, il soutient le Hezbollah et réclame la restitution du Golan.
Certains diront peut-être que les relations entre Riyad et Washington ne sont pas au beau fixe (on a beaucoup entendu ce discours depuis le 11 septembre 2001). Ils noteront que depuis la levée du veto présidentiel par le Congrès les familles des victimes du 11 septembre peuvent saisir la justice contre le pouvoir saoudien. Certes. Mais il ne faudrait pas nourrir des illusions démesurées sur la justice américaine. Les services secrets des deux pays étant mouillés jusqu’au cou, ils se couvriront mutuellement. Le tandem infernal qui a produit dans l’ombre les attentats du 11 septembre devrait traverser sans embûche cette péripétie judiciaire.
Entre les USA et l’Arabie saoudite, en réalité, la relation est structurelle, non conjoncturelle. Pétrole oblige ! La soif d’hydrocarbures en est le ressort historique. Mais ce n’est pas tout. Depuis 1945, la doctrine rétrograde de l’allié wahhabite présente aussi pour Washington un gage rassurant de conservatisme. Unis dans une même aversion pour les rêveries des partageux et une même envie de profit accumulé, le puritanisme anglo-saxon et le rigorisme wahhabite sont au diapason.
C’est pourquoi, devant la triple menace qui se profila à partir des années 50 (le communisme pro-soviétique, le nationalisme arabe, puis la révolution iranienne), Washington joua résolument la carte de l’obscurantisme religieux. Le wahhabisme mondialisé est une force de frappe idéologique, un redoutable « soft power », une formidable machine à décérébrer les masses musulmanes. L’impérialisme l’utilisa, à grande échelle, contre ces tentatives de développement autocentré qu’incarnèrent l’Egypte nassérienne, l’Algérie de Boumediene, l’Irak baasiste, la Libye de Khadafi, la République islamique d’Iran et la Syrie d’Al-Assad.
Rempart contre l’influence soviétique, antidote au nationalisme arabe progressiste, opportun concurrent de l’influence chiite : Washington prêta au radicalisme wahhabite toutes les vertus. En échange des livraisons de pétrole, il laissa le champ libre à Riyad, qui investit des sommes colossales dans la formation de centaines de milliers de prédicateurs obstinément littéralistes et crétinisés par un fanatisme obtus. Ces hordes de bavards prétentieux, obsédés par la lettre et fermés à l’esprit des textes, ont colporté depuis un demi-siècle une doctrine qui est une injure à la civilisation de l’Islam classique et un affront à la modernité éclairée par la raison. Cette propagande religieuse d’une imbécillité crasse, hélas, fut le vecteur insidieux d’une régression culturelle sans précédent.
Plus grave encore, le lavage de cerveau wahhabite a contribué au désarmement politique et idéologique du monde arabe. Il l’a affaibli face aux convoitises étrangères en frappant d’illégitimité, au nom d’un panislamisme réactionnaire, de jeunes Etats qui avaient l’audace de vouloir incarner un pouvoir souverain, moderne et séculier. La sauvage agression contre la Syrie, en réalité, est le dernier acte de cette conspiration de l’impérialisme occidental allié à l’obscurantisme wahhabite contre la souveraineté nationale arabe.
Les pétromonarchies du Golfe ne sont pas seulement les bailleurs de fonds du terrorisme takfiriste (quand il frappe des musulmans) et djihadiste (quand il frappe des non-musulmans). Avec la bénédiction des puissances occidentales, elles fournissent à ces mercenaires sans foi ni loi leur dose quotidienne de stupéfiant idéologique. Elles leur inoculent cette haine toxique de la différence religieuse qui est au fondement de leur obscurantisme sectaire. Le wahhabisme, c’est le captagon des desperados du chaos.
Parce qu’il est logé par les hasards de la géologie sur une nappe d’hydrocarbures, ce régime qui devrait être aboli séance tenante par mesure de salubrité publique est un partenaire de premier plan pour Washington. Le complexe militaro-industriel abonde en armements dernier cri une dynastie dégénérée qui rêve les yeux ouverts de gloire militaire.
Ne sachant que faire de leurs montagnes de pétrodollars, ces parasites jouisseurs goinfrés de pognon entrent massivement dans le capital des multinationales et placent leurs excédents de liquidités en bons du Trésor américain. Business is business ! Prêts à vendre leur mère pour amasser davantage, ces ploutocrates du désert communient avec ceux de Wall Street dans la même dévotion pour le dieu-dollar, ils se vautrent devant le Veau d’Or avec la même ferveur, sans doute persuadés d’être élus de Dieu, les uns et les autres, pour goûter tant de félicité terrestre.
Certes, vue des USA, l’Arabie saoudite rend bien des services. Mais Washington a une autre corde à son arc. Riyad n’occupe pas le sommet du podium. La fortune colossale accumulée par la finance new-yorkaise a créé une puissante oligarchie israélo-américaine.
Pour cette caste richissime, Israël est beaucoup plus qu’un allié des Etats-Unis. C’est le miroir où la nation américaine contemple son modèle. Car Israël est le peuple élu dont l’Amérique reproduit l’épopée. L’Amérique est le second Israël voué à civiliser le Nouveau Monde en y répandant les bienfaits de la libre entreprise. Même croyance en une «destinée manifeste », même métaphysique de l’élection. Cette oligarchie prédatrice ne doute de rien. Elle attribue sa puissance à la faveur divine. Elle se croit choisie par Dieu pour guider les nations.
Dictée par le lobby pro-israélien, la politique extérieure des Etats-Unis sert donc les intérêts sionistes. L’immunité d’Israël est garantie par le droit de veto américain au Conseil de sécurité de l’ONU. La colonisation israélienne, cette injure au droit des peuples, peut se poursuivre en toute impunité, réduisant en miettes ce qui reste de la Palestine. Barack Obama n’a rien fait pour la freiner. Avant de tirer sa révérence, il a pris la précaution d’accorder à Tel Aviv une aide militaire sans précédent de 38 milliards de dollars. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Goldman Sachs a annoncé son soutien à Hillary Clinton. Les millions de dollars coulent à flots. Deux candidats se disputent le pouvoir comme des pantins désarticulés. Les docteur Folamour du Pentagone rêvent d’atomiser la Russie. En attendant, Wall Street encaisse ses dividendes par milliards de dollars.
Pour exercer sa domination au Moyen-Orient, l’impérialisme peut compter sur ses deux garde-chiourme. Leur coopération militaire est une divine surprise, une formidable aubaine.
Israël est une force de frappe militaire dont la fonction est de soumettre la nation arabe. Ouvertement complice du projet sioniste, l’Arabie saoudite est une force de frappe idéologique dont la fonction est de débiliter les masses. La force militaire, l’argent sans limites, la puissance de l’idéologie qui formate les esprits. Le « hard power » au sionisme, le « soft power » au wahhabisme. En tout cas, c’est désormais officiel. Leur collusion au service de la stratégie du chaos est exposée au grand jour. Ces deux pustules ont partie liée pour contaminer toute la région. Alors les jeux sont faits ? Pas sûr. Le vaccin est en préparation.
Par Bruno Guigue, ex-haut fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’Université de La Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’artic