« Ankara est un allié fiable de Washington au sein de l’OTAN et ses inquiétudes en ce qui concerne la sécurité de ses frontières-sud sont parfaitement fondées ». Général George Vottel, commandant du CentCom US.
« En Syrie, la Turquie sert de cheval de Troie à l’OTAN. D’ailleurs, depuis la normalisation de ses liens avec la Russie, Ankara n’a cessé de s’orienter en ce sens : à mesure qu’elle progresse, l’OTAN avance aussi». Agence ‘Fars’ (Iran, 22 mars 2018).
Nous débattons souvent de la position de la Turquie d’Erdogan, qui de coups de poker (1) en jeu de bascule apparent entre Moscou et Washington, fait avancer ses pions sur l’échiquier du nouveau « Grand jeu syrien » (2). Mais l’analyse géopolitique rationnelle (pas celle dictée par l’émotion) des projets eurasiste de Moscou et néo-ottoman (pantouranien) d’Erdogan démontre que ceux-ci sont antagonistes (3). Et les pions qu’Erdogan avance sont à chaque fois inscrits dans les plans des USA et de l’OTAN .
« Syrie: le cheval de Troie de l’Otan ? », interroge ce jour ‘Fars’..
Une demi question puisque, l’agence d’Etat iranienne explique ensuite « Comment l’Otan fait avancer ses pions en Syrie ». A cette question, nous avons répondu dès le début du jeu de bascule d’Erdogan par un oui, sans aucun doute sur la duplicité du « nouveau sultan ». Relire nos analyses approfondies.
Derrière la duplicité turque, il y a en jeu toute la stratégie russe. Et sa remise en question ne profite qu’à Washington et à l’OTAN. Que reste-t-il du ‘Processus d’Astana’, de la conférence de Sotchi ?
Le cœur de la stratégie de Poutine repose sur deux fondamentaux :
D’une part maintenir l’intégrité de l’Etat syrien, allié fondamental qui assure les bases russes en Méditerranée orientale (Tartous et Lattaquié), que les USA veulent démembrer dans la ligne du projet du « Grand Moyen Orient.
D’autre part arrimer définitivement l’Iran (pivot de l’Eurasie vers l’Orient et clé du contrôle de la Mer caspienne) à son alliance eurasiatique et transformer l’Axe Mosou-Pékin en un Axe Moscou-Pékin-Téhéran.
L’action d’Erdogan vise à démembrer la Syrie, vers Afrin, Alep et vers l’Euphrate. Ce qui est le projet américain. Et vise à repousser l’Iran. Ce qui est à nouveau le plan de Washington. On comprend mieux les questions et les inquiétudes, fondées, des médias d’Etat iraniens …
LA CHUTE D’AFRIN S’INSCRIT DANS LA GUERRE CONTRE DAMAS ET EST MENEE EN ACCORD AVEC LES USA
Au bout de deux mois d’opérations militaires turques marquées par des centaines de raids aériens et d’intenses attaques à l’artillerie lourde, la ville syrienne d’Afrin est tombée. Le chef d’état-major turc s’est même rendu en terre conquise pour confirmer qu’Afrin est désormais sous l’emprise turque. Le président Erdogan, lui, n’a pas hésité à menacer Manbij (Syrie) voire Sinjar (Irak). Le tout sur fond de diatribes anti-américaines, à peine croyables venant de l’un des membres les plus actifs de l’OTAN. Mais que dissimule ce théâtre turc ?
Que se passe-t-il dans le nord de la Syrie? Ville la plus stratégique de la région d’Alep, Afrin a été prise par les terroristes de l’ASL qui servent de supplétifs à l’armée turque. Même certains experts sur la très anti-Assad ‘France24’ parlent d’une « armée turquo-djihadiste » ! Elle était toutefois et depuis 2012 aux mains des Kurdes soutenus largement par Washington qui, chose « étrange », n’a même pas levé le petit doigt quand a débarqué l’armée turque à Afrin à coup de bombes, de missiles et de roquettes.
Le commandant du ‘CentCom’ US au Moyen-Orient, le général George Vottel y est d’ailleurs allé de son commentaire assurant que « les États-Unis n’avaient à ce stade, nulle intention de faire quoi que ce soit pour les Kurdes ». Vottel a souligné qu’Ankara est un « allié fiable de Washington » au sein de l’OTAN et que ses inquiétudes en ce qui concerne la sécurité de ses frontières-sud sont parfaitement fondées. Ces « amabilités » s’expliquent entre autres par le fait que l’action n’aurait pas pu avoir lieu sans le feu vert américain.
PROJET NEO-OTTOMAN D’ANNEXION : QUEL EST LE PLAN TURC POUR AFRIN ?
Ankara a l’intention d’établir un « gouvernement local » dans la ville d’Afrin, où flotte désormais le drapeau turc (et les bannières djihadistes). Le porte-parole de la présidence turque a d’ailleurs reconnu que son pays « n’avait pas l’intention de rétrocéder Afrin à l’Etat syrien ». Quant à la population qui devrait remplacer celle d’Afrin, Erdogan y a aussi pensé : la ville sera peuplée d’éléments qui se revendiquent du ‘Conseil national des Kurdes de Syrie’ (en anglais ENKS). Leur chef est un certain Ibrahim Biro. Lié aux américains et aux rivaux kurdes du PKK, ceux du « Rojava », le Kurdistan oriental que les USA ont érigé en « bantoustan » américain en Irak, dès les années 1991-95. En bonne relations avec Erdogan. Et qui trahit les intérêts des kurdes du Kurdistan occidental, dirigé par le PKK-PYD …
Recep Tayip Erdogan, le président turc, a pour sa part prétendu avoir réalisé « les objectifs des opérations qu’il avait lancées et a affirmé qu’Ankara poursuivrait son combat jusqu’à anéantir les terroristes à Afrin ». Certaines sources disent que la Turquie envisage de désigner un gouverneur et plusieurs autres responsables pour Afrin.
A Afrin, les Kurdes vont passer à la guérilla. Un responsable kurde syrien a déclaré que « la guerre contre les Turcs était entrée dans une nouvelle étape ». « Aussitôt après la chute d’Afrin, Erdogan a menacé en effet de poursuivre sa conquête et de reprendre Manbij puis Idlib au risque d’entrer en conflit avec les Américains ». « Mais qui croirait à un tel mensonge, commente ‘Fars’. Avant de se lancer dans l’aventure afrinoise, de nombreuses menaces ont été échangées entre Washington et Ankara mais aucune d’entre elles ne s’est réalisée ».
LA DUPLICITE D’ERDOGAN SERT L’OTAN ET WASHINGTON
« Pour les analystes politiques, on est en plein dans un jeu de dupes », précise ‘Fars’. Ce que je dis depuis les débuts du jeu de bascule d’Erdogan !
L’analyse de ‘Fars’ est exactement la mienne :
« Erdogan a fait « par la paix » ce qu’il était incapable de faire par la guerre : Erdogan se dit d’une part allié de la Russie et de l’Iran et de l’autre, ses conquêtes fragilisent l’État syrien. La présence des troupes turques à Afrin est de nature à renforcer les terroristes dans le Rif d’Alep ainsi qu’à Alep-même ou encore à Idlib. Ce qui revient à renforcer la position des États-Unis d’Amérique qui comptent sur les takfiristes comme leurs principaux supplétifs. En Syrie, la Turquie sert de cheval de Troie à l’OTAN. D’ailleurs, depuis la normalisation de ses liens avec la Russie, Ankara n’a cessé de s’orienter en ce sens : à mesure qu’elle progresse, l’OTAN avance aussi (…) Le rapprochement apparent de la Turquie de la Russie et par la force des choses, de l’axe de la Résistance a facilité la tâche des Américains à l’un des pires moments de l’histoire de leurs ingérences au Moyen-Orient, c’est-à-dire à un moment où ils allaient perdre la Syrie. Par le truchement des Turcs, un tiers du sol syrien est sous le contrôle des Américains, à moins que la Russie et l’axe de la Résistance ne se soient servis du malin Erdogan comme d’une proie … »
Là est toute la question. Moscou s’est-elle laisser bercer par les analyses fallacieuses des « géopolitologues de l’émotion » (qui est tout sauf de la géopolitique) de ses médias d’Etat ou des réseaux conspirationnistes des Eurasistes russes de droite (qui ont inventé la « Conspirologie » – sic), parlant à tort du « tournant géopolitique d’Erdogan » ?
Où en stratèges froids, jugeant avec cynisme et sans illusions les plans d’Erdogan, les dirigeants russes ont-ils joué de la duplicité de celui-ci ?
Par Luc Michel