Le commandant de l’AFRICOM, le général américain Thomas Waldhauser, est en visite depuis mercredi à Alger pour discuter «des opportunités de coopération en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme» dans la région. Cependant, y aurait-il des enjeux inavoués dans cette visite? Analyse.
Le général Thomas Waldhauser, chef du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM), est en visite depuis mercredi en Algérie. Il s’est déjà entretenu avec le Premier ministre du pays, Ahmed Ouyahia, le ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, et le vice-ministre de la Défense nationale, le chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP), le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah.
«Nous sommes impatients d’explorer les futures activités de coopération en matière de sécurité avec l’Algérie», a déclaré Thomas Waldhauser à l’issue de sa réunion avec Abdelkader Messahel, selon l’Algérie Presse Service (APS).
«Nos nations travaillent ensemble en qualité de partenaires égaux pour construire un avenir meilleur, pas seulement en Algérie, mais partout en Afrique du Nord», a ajouté le responsable américain en affirmant que «grâce à un partenariat solide, nos pays sont mieux capables de combattre les causes profondes du terrorisme et de promouvoir la paix et la stabilité», selon l’APS.
À en croire le général américain, la visite a pour but de trouver des opportunités de coopération sécuritaire, en particulier dans la région du Sahel. Cependant, à examiner le contexte dans lequel intervient cette rencontre du commandant de l’AFRICOM avec les responsables algériens, il serait aisé d’identifier certains enjeux géopolitiques et géostratégiques qui auraient motivé cette visite.
La situation au Sahel et en Libye, lieux d’entente ou dediscorde entre les deux pays?
Si la situation sécuritaire s’est tant dégradée dans la région du Sahel, c’est avant tout à cause de la guerre que les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont mené, sous l’égide de l’Otan, contre la Libye. Le démantèlement de l’État libyen a eu pour conséquence le déferlement d’armes et de groupes terroristes dans toute la bande saharo-sahélienne.
La diplomatie algérienne n’a ménagé aucun effort pour alerter, les puissances initiatrices de l’intervention militaire en Libye, des graves conséquences que celle-ci aurait sur la paix et la sécurité dans toute la région. «Nos craintes se sont hélas vite confirmées et bien au-delà de ce que nous pouvions imaginer, lorsque, fuyant les bombardements, des groupes armés étrangers appartenant aux milices pro-colonel Kadhafi déferlèrent en nombre, sans être inquiétées, sur le nord du Mali à travers le Niger pour y proclamer l’indépendance de l’Azawad alors que l’encre du paraphe à un nouvel accord avec Bamako, facilité par l’Algérie, n’avait pas encore séché», a déclaré Abdelkader Messahel, le 11 avril 2018, lors d’une conférence donnée à l’Institut français des relations internationales (Ifri), sur le thème «Contre le terrorisme et l’extrémisme, la déradicalisation: l’expérience algérienne».
«Livrée à elle-même, la Libye sombra dans le chaos, un chaos, sciemment ou non, nourri et entretenu par différents acteurs, transformée en un arsenal à ciel ouvert et en sanctuaire pour les groupes terroristes qui étendirent peu à peu leur champ d’action à l’ensemble des vastes espaces sahéliens et au-delà, malgré une mobilisation plus grande des États de la région, une présence plus forte des troupes étrangères et le recours aux équipements de surveillance et de détection les plus performants», a-t-il ajouté.
Et, alors que l’Algérie défend une solution politique en Libye, en appelant à mettre toutes les parties du conflit autour d’une table, dans le but de faire émerger une entente entre Libyens sans aucune ingérence étrangère, l’armée américaine, quant à elle, n’arrête pas de semer le chaos en bombardant le pays de temps à autre. Ceci continue de soumettre la sécurité nationale algérienne à de graves dangers en particulier sur la frontière est du pays avec la Libye, mais pas seulement. Ces derniers jours, un impressionnant mouvement migratoire venant de la région du Sahel, menace aussi la frontière sud de l’Algérie.
«Nous recevons une moyenne de 500 clandestins par jour au niveau des wilayas de Tamanrasset et Adrar qui sont frontalières avec le Mali et le Niger. Dans ces deux pays, il y a deux plaques tournantes régionales très importantes de la migration. L’une passe par Agadez et l’autre passe par Bamako, constituant des couloirs migratoires à destination de l’Algérie», a déclaré Hacène Kacimi, directeur d’études du phénomène migratoire au ministère algérien de l’Intérieur, dans un entretien donné, le 23 avril, à la radio nationale chaîne 3.
«Les migrants ne nous préoccupent pas. Ce qui nous préoccupe c’est ce qu’il y a derrière. La migration est la trame de ce nouveau phénomène qui a un caractère géostratégique», a-t-il ajouté.
À ce titre, le commandant de l’AFRICOM a déclaré, le 13 mars 2018, devant le Sénat américain que «très peu de défis auxquels l’Afrique doit faire face ne peuvent être réglés uniquement par la force».
Si c’est l’estimation du général Thomas Waldhauser, pour quelle raison sont lancées les manœuvres militaires Flintlock 2018? Ces dernières, regroupant 1.500 soldats (africains, américains et européens), se déroulent depuis le 11 avril 2018 dans l’ouest et le nord du Niger, incluant les régions de Tillabéri et de Tahoua (ouest), proches du Mali, et Agadez au nord, proche de la Libye, de l’Algérie et du Mali. Il s’agit de «permettre au G5» avec ses modestes armées, «de prendre en charge les menaces plus directement et plus efficacement», a déclaré le général Mark Hicks, commandant des opérations spéciales de l’AFRICOM lors d’une conférence de presse. «Daech* touche à sa fin en Irak et en Syrie […], l’Afrique reste une de ces terres fertiles» pour abriter des combattants, a-t-il souligné.
Or, l’armée algérienne qui refuse par principe d’intervenir en dehors de ses frontières, a décliné la demande de la France de participer à la force militaire africaine, le G5 Sahel (G5S), qui s’est constituée sous ses auspices, et à laquelle prennent part le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Tchad et la Mauritanie, dans le but de lutter contre le terrorisme dans la région, lui préférant une force africaine. Ajoutant que les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, en continuant à s’opposer à une solution politique en Syrie, dont le bombardement du 13 avril est le dernier épisode, ne pourraient que susciter les soupçons quant à leurs véritables objectifs dans la région du Sahel. À ce titre, rappelant que ce jeudi se tient à Paris une réunion ministérielle sur la lutte contre le financement du terrorisme dans la bande sahélienne, organisée conjointement par la France et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et à laquelle prend part le ministre algérien des Affaires étrangères, une journée après sa rencontre à Alger avec le commandant de l’AFRICOM.
L’économie serait-elle le vrai enjeu?
Entre l’Europe et l’Algérie, les relations économiques, ces derniers mois, se sont dégradées à cause des mesures de restriction des importations décidées par les autorités algériennes, suite à la crise financière qui frappe le pays, et ce depuis la chute des prix du pétrole. Lesdites restrictions ébranlent, selon la Commission européenne, les accords de libre-échange contenus dans l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Algérie.
«Nous avons bien expliqué à nos partenaires de l’Union européenne, avec qui nous avons une relation stratégique, que nous traversons une période très difficile sur le plan financier, particulièrement pour la balance commerciale et celle des paiements, et qu’il s’agit aussi d’une période transitoire », a déclaré Said Djellab, ministre algérien du Commerce, lors d’une conférence de presse le 26 avril, selon le site d’information Tout Sur l’Algérie (TSA).
Cependant, le froid dans les relations entre les deux parties n’est pas juste lié à la crise financière que traverse l’Algérie. Car, après 11 ans de mise en application de ces accords, le bilan des échanges commerciaux été en faveur de l’Europe plus que de l’Algérie.
«En 11 ans de mise en œuvre de l’accord d’association entre les deux parties, l’Algérie a importé pour plus de 250 milliards de dollars et a exporté vers l’Europe pour moins de 14 milliards de dollars en produits hors-hydrocarbures», rappelle TSA.
Cette situation serait la raison qui aurait poussé Alger à se tourner vers la Chine et la Russie se qui aurait aggravé les désaccords entre l’Algérie et l’Europe. Au passage, rappelons que ce jeudi s’ouvre au tribunal de Blida, le procès du terroriste qui planifiait des attaques en Algérie contre les ressortissants chinois et russes, selon Ennahar TV, qui n’a pas manqué d’émettre des soupçons quant aux véritables commanditaires derrière la personne jugée.
À ceci s’ajoutant le rebond enregistré dans les prix du pétrole ces derniers jours, ce qui ne manquerait pas de donner une bouffée d’oxygène au budget de l’État algérien. En effet, le PDG de la société nationale algérienne des hydrocarbures Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, a estimé dans une déclaration à la presse que le prix de 74,69 dollars le baril, auquel s’affiche le pétrole, était celui recherché par la Sonatrach. Selon lui, ce prix permettra à l’entreprise qu’il dirige d’investir dans la prospection afin d’augmenter ses réserves et sa production. À ce titre, M.Ould Kaddour a annoncé, le 24 avril, que l’entreprise algérienne avait découvert un puit de pétrole dans le nord du Niger, foré par le groupe chinois GWDC pour le compte de Sonatrach, selon l’APS. Selon la même agence, le groupe Sonatrach détient un permis de recherche à 100 % au niveau de la zone «Karfa-1» située à 100 km de la frontière algéro-nigérienne.
À ce stade de l’analyse, il serait clair que les paroles protocolaires de bonnes intentions, tenues par le commandant de l’AFRICOM à Alger, cacheraient mal des appétits que les Occidentaux ont dans la région du Sahel voir dans toute l’Afrique.
Source: Sputnik