La mise en examen de l’industriel français Vincent Bolloré pour corruption reste une très rare exception, car si la législation se durcit en France, par exemple contre les pratiques de certaines entreprises, d’autres juridictions sont loin d’être aussi regardantes.
Longtemps épinglée par des ONG ou par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour son « laxisme » présumé à l’égard des grandes entreprises accusées de corruption internationale, la France tente de corriger le tir.
L’adoption de la loi Sapin II en 2016 a obligé les entreprises françaises à se doter d’instruments de prévention en la matière, et renforcé un dispositif datant de 2000, qui punit les manoeuvres de corruption exercées pour décrocher des contrats publics à l’étranger.
« En droit français, en toute circonstance et en tout lieu, la corruption est réprimée, même si c’est un délit commis à l’étranger », précise Thierry Dal Farra, avocat directeur du département de droit public économique au cabinet UGGC.
C’est dans ce cadre que Vincent Bolloré se voit aujourd’hui mis en examen, pour « corruption d’agent étranger » dans le cadre de l’attribution de concessions portuaires en Guinée et au Togo.
Le milliardaire français est à ce jour l’exemple le plus retentissant d’entrepreneur poursuivi en France pour des faits de corruption à l’étranger, et plus particulièrement en Afrique.
Les Etats-Unis vont eux encore plus loin, puisqu’ils poursuivent des entreprises non-américaines, pour des faits de corruption commis hors de leur propre territoire. Des affaires qui se soldent souvent par des amendes, parfois très lourdes.
De nombreux pays africains demeurent toutefois un terrain de jeu idéal pour les pratiques opaques. La plupart des Etats africains occupent toujours le bas du tableau dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International.
Menace chinoise
Et si l’arsenal législatif se renforce en Europe, la concurrence de la Chine, premier partenaire commercial de l’Afrique, pèse sur l’abolition des mauvaises pratiques.
« L’un des ennemis de la lutte contre la corruption, ce sont les acteurs des pays émergents, qui vont mettre des décennies à intégrer une préoccupation éthique dans leur recherche de parts de marché », note l’avocat William Bourdon, président de l’association anticorruption Sherpa.
« Les plus caricaturaux, ce sont les Chinois, qui intimident le monde entier et qui, s’agissant de la corruption en Afrique, agissent avec une impunité absolue », ajoute-t-il à l’AFP.
Déjà bien entamées, les parts des entreprises françaises en Afrique se retrouvent donc encore plus menacées par une concurrence potentiellement déloyale.
« On aimerait bien que tout le monde soit à la même enseigne. Il faut qu’on ait des concurrents qui soient soumis aux mêmes exigences, des règles partagées, de la réciprocité », abonde un porte-parole du Medef, première organisation patronale française.
Le rôle-clé des lanceurs d’alerte
La semaine dernière, le Fonds monétaire international a annoncé l’adoption d’un nouveau cadre réglementaire destiné à évaluer de manière « plus systématique » la corruption dans ses 189 pays membres, soulignant qu’elle mine la croissance, les investissements et les recettes fiscales.
« Ce qui est central, c’est que les gouvernements africains adoptent une approche de tolérance zéro par rapport à la corruption. Si cela se fait, d’où qu’ils viennent, les investisseurs devront se soumettre aux lois en vigueur », prône Samuel Kaninda, conseiller régional Afrique pour Transparency International.
« Le problème, ce n’est pas une carence d’instruments juridiques (en Afrique). Mais c’est que les institutions de lutte contre la corruption souffrent d’un manque d’indépendance sur le plan politique », poursuit-il.
Parmi les rares exemples sur le continent, l’Afrique du Sud a récemment rouvert des poursuites contre une filiale du groupe français Thales dans une vieille affaire de corruption.
Mais au-delà des armes législatives, la lutte contre la corruption passe aujourd’hui inévitablement par les lanceurs d’alerte.
« Les lanceurs d’alerte sont les pires ennemis d’une certaine oligarchie financière. Ce sont eux qui brisent les verrous pour avoir accès à des secrets », pointe William Bourdon.
Depuis l’an dernier, une plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique a été lancée à Dakar, pour leur fournir notamment une assistance technique et juridique.
Source: AFP