« Pas de transfert de S-300, la Syrie a tout ce dont elle a besoin, » disent les Russes. La raison donnée est bizarre et manifestement fausse.
Au lieu de reconnaître qu’ils ont leurs propres raisons de ne pas vouloir renforcer les défenses aériennes syriennes, les Russes font grand cas de leur efficacité et prétendent que ces défenses sont très suffisantes – bien qu’en 7 ans, elles ont été incapables de dissuader Israël d’attaquer quasiment chaque semaine.
Le 10 mai, en attaquant les positions de l’armée syrienne dans le sud de la Syrie, les Israéliens ont tiré au moins 60 missiles de croisière. Les Russes disent que les défenses aériennes syriennes en ont abattu près de la moitié. Ce qui serait un véritable exploit.
Mais il y a l’autre versant de l’affaire. Israël a publié la séquence vidéo prise par un missile fonçant sur une unité de défense aérienne à courte portée Pantsir-S1, de fabrication russe. C’est très embarrassant pour les Russes et les Syriens, car le Pantsir, avec ses canons à tir rapide et ses missiles, a été conçu pour défendre les positions clés contre ce genre de menaces – et il a été incapable de se défendre lui-même. À ce moment-là, le Pantsir n’était ni camouflé, ni à l’abri d’une tranchée. Il était exposé sur le tarmac de la base aérienne. C’est extrêmement imprudent et amateur. Très probablement, n’était-il pas actif ou attendait-il d’être rechargé en munitions (pourquoi à l’air libre ?).
Il n’y a pas que le Pantsir qui a été détruit. Les Israéliens ont aussi démoli plusieurs radars des systèmes S-200. Ce système met en œuvre de lourds missiles de défense antiaérienne à longue portée. Indéniablement ancien, il est entré en service dans les années 1960 et n’est plus utilisé en Russie. Malgré cela, c’est ce que possède de mieux la Syrie.
Au même moment, les Russes ont fait savoir que l’envoi de nouveaux systèmes S-300 vers la Syrie n’était pas à l’ordre du jour en ce moment. Le responsable russe en charge de l’assistance militaire aux autres pays, a même dit, « La Syrie a tout ce dont elle a besoin. » Il me semble très étrange de dire cela, alors que les S-200 sont détruits.
Les médias israéliens font le lien entre la déclaration russe et la pression faite par Netanyahou contre le transfert lors de sa visite à Moscou le 9 mai. Mais les Russes affirment que ces deux faits ne sont pas liés. Je suis en réalité disposé à les croire.
Il existe des raisons valables faisant que les Russes puissent hésiter à donner des S-300 à la Syrie. Il y a d’abord les problèmes politiques et visuels [l’impact produit par le spectacle de l’écrasement des avions israéliens, NdT]. Les Israéliens tirent maintenant leurs missiles depuis l’espace aérien israélien (palestinien) et libanais. S’en protéger ferait s’écraser les avions israéliens en Israël. Maintenant, si cela se réalise grâce à l’assistance militaire russe (la Syrie ne peut raisonnablement pas se payer des S-300), vous commencez à entrevoir ce que je veux dire… Si grâce à Poutine les avions israéliens commencent à s’abattre en Israël, rien n’est plus facile pour les « élites » étasuniennes que de jeter de l’huile sur le feu de la russophobie aux États-Unis extrêmement pro-israéliens.
Il est aussi tout à fait possible que les Russes ne veuillent pas payer la note. L’armée de l’air israélienne est importante et sophistiquée techniquement. Il n’y a aucune garantie qu’elle puisse être découragée ou bloquée par simplement une ou deux batteries de S-300. Il est très probable qu’il en faudrait beaucoup plus pour renforcer les défenses antiaériennes syriennes, et que les Russes ne veulent peut-être pas les financer. Surtout au moment où ils réduisent leur propre budget de défense.
Dans les années 1970, Israël et l’Égypte ont mené une guerre aérienne d’usure. Les défenses antiaériennes égyptiennes, entraînées et fournies par les Soviétiques, infligèrent des pertes inacceptables à l’armée de l’air israélienne, mais Moscou a fini par en payer la note. Poutine, qui est à la tête d’un pays plus petit et beaucoup moins ambitieux que celui de Brejnev, n’a sans doute pas trop envie de suivre le chemin des Soviétiques.
C’est tout à fait compréhensible et probablement sage, mais dire que la Syrie a toutes les défenses aériennes dont elle a besoin en ce moment, alors qu’Israël l’attaque quasiment impunément depuis presque sept ans maintenant, est manifestement faux et pour tout dire, très bizarre.
La véritable explication est que les Russes ne sont pas disposés à assumer les risques et les charges du type de la montée en puissance de l’armée syrienne, qui prendrait en fait le dessus sur les Israéliens, si ces derniers s’entêtaient vraiment à attaquer la Syrie.
Cela provoquerait les « élites » pro-israéliennes à Washington et pèserait financièrement et politiquement sans grand avantage pour les Russes, étant donné que Netanyahou rassure Poutine en lui racontant qu’Israël ne cherche pas à modifier l’issue de la guerre « civile » en Syrie, mais ne fait que repousser l’influence iranienne en Syrie.
Tant qu’on croit cela à Moscou, les Russes ne réagiront pas. Les Russes ne se mettront en colère que quand les Israéliens feront en sorte de déclencher la guerre entre les États-Unis et la Syrie, comme ce fut le cas le mois dernier. Cela avait poussé les Russes à menacer de fournir de meilleures défenses antiaériennes aux Syriens, mais la frivolité de cette menace apparaît maintenant.
Pantsir détruit. Deux soldats de la défense aérienne ont été tués dans l’attaque
Source: Checkpoint Asia, Marko Marjanović