À l’occasion des exercices militaires annuels américano-philippins, Sputnik s’est intéressé au rôle géostratégique des Philippines, un archipel qui subit l’influence des Américains et des Chinois. Un débat en compagnie de Yann Roche, spécialiste de l’Asie du Sud-Est et José Manuel Lamarque, spécialiste de la géopolitique des mers.
Rodrigo Duterte, le «Donald Trump asiatique»? Ses frasques verbales, sa lutte antidrogue très musclée et ses échanges cavaliers avec Barack Obama sont fréquemment médiatisés, au point de mettre fin à l’alliance historique avec Washington. Pourtant la semaine dernière, les Philippines et les États-Unis organisaient des exercices militaires conjoints en mer de Chine méridionale. Que faut-il en conclure? Manille reste-t-elle dans la sphère d’influence américaine?
Quel est l’intérêt d’organiser de tels exercices militaires? José Manuel Lamarque, spécialiste de la géopolitique des mers, y voit plusieurs avantages: «montrer sa puissance aux autres, évaluer sa propre puissance quand on est en alliance avec un autre pays, et puis comme tout exercice militaire, […] ça permet de renforcer l’action entre ces deux marines, savoir si elles peuvent se coordonner en cas de conflit».
Le spécialiste des espaces maritimes inscrit ces exercices dans le contexte tendu de la région:
«On est dans une phase de prévention, d’abord de montrer ses muscles et de montrer qui l’on est, de faire peur à l’autre. Je ne sais pas si on peut aller jusqu‘au conflit, parce que les armements sont des armements très, très puissants […] On est avec des missiles de croisière, des missiles nucléaires lancés par des sous-marins.»
Mais comment expliquer alors la tenue de ces exercices alors même que Duterte semblait vouloir se rapprocher de Pékin? Yann Roche, spécialiste de l’Asie du Sud-Est, déclare que la cause pourrait être interne: «après avoir été pendant très longtemps des alliés assez proches, Duterte a montré très rapidement ses distances avec les États-Unis et l’année dernière il était question que ces fameuses manœuvres soient les dernières […] à la surprise générale, ça a été maintenu, il semblerait que ses généraux aient réussi à lui faire entendre raison et à maintenir les manœuvres qui sont plus importantes cette année que l’année dernière.»
«En cas de conflit, où ira la marine philippine?»
Yann Roche ajoute ainsi que Duterte, le Président des Philippines, n’a jamais caché son jeu: «il a toujours eu une position qui était très antiaméricaine, il s’est très rapidement confronté à Barack Obama à cause de sa lutte antidrogue […] Il a montré très clairement qu’il avait un intérêt à se tourner vers la Chine». Et l’avènement de Donald Trump et son isolationnisme affiché ne rassurent pas les alliés américains en Asie:
«America first, ça ne donne pas beaucoup d’espoirs pour les pays de la région de se faire aider en cas de problème avec la Chine». Il en conclut ainsi: «les Chinois sont en train de gagner sur les différents tableaux.»
Comment caractériser la politique de Pékin en mer de Chine méridionale? L’expert des espaces maritimes insiste sur les volontés d’expansion chinoise: «la Chine est en train d’étendre sa ZEE [Zone économique exclusive, ndlr] dans toute l’Asie du Sud-Est […] elle borde le Vietnam, la Malaisie, Brunei et les Philippines. Dans les Îles Spratley par exemple, la Chine est en train de construire des îles artificielles, qui sont des porte-avions fixes, civils ou militaires, parce que la Chine a redécouvert les mers et les océans, elle les avait oubliés pendant plusieurs siècles […]»
À quel point la marine militaire chinoise est-elle puissante? José Manuel Lamarque la compare à la marine française:
«La marine nationale française, c’est 90 bâtiments de combat, de soutien, etc. La Chine construit en quatre ans l’équivalent de la marine française […] La marine chinoise était constituée d’anciens vaisseaux et sous-marins soviétiques, maintenant elle a décidé elle-même de construire ses bâtiments avec aussi des expériences de missiles sous-marins, de torpilles, et la Chine veut s’étendre sur l’ensemble des mers d’Asie du Sud-Est.»
Yann Roche rappelle la présence de l’île de Guam dans le Pacifique, îlot américain servant principalement de base militaire qui démontre que les Américains ne se désengagent pas de la région. Il fait mention également de certaines opérations, les FON-OP:
«Les Américains veulent maintenir la liberté de navigation, ils organisent régulièrement ce qu’ils appellent des FON-OP, des Freedom of Navigation Operations, qui sont donc des provocations. À chaque fois que les Chinois ont l’air de faire un pas en avant, les Américains arrivent avec leurs navires et leurs avions et montrent clairement qu’ils assureront la liberté de navigation, une route extrêmement importante et stratégique dans la région.»
Source: Sputnik