L’Iran va-t-il rester dans l’accord sur son nucléaire? Depuis le retrait américain et la prise de position des autres signataires de l’accord de 2015, la question reste en suspens. Malgré les progrès des négociations, qui se poursuivent à Vienne ce 25 mai, un acteur majeur pourrait perturber le bon déroulement des discussions: Emmanuel Macron.
«Je souhaite que l’Iran reste pleinement engagé dans l’accord nucléaire et ne reprenne aucune activité. […] J’ai dit au Président Poutine cette volonté, je crois que nous la partageons. Et nous avons l’un et l’autre acté de cette volonté commune de préserver ce cadre qui me semble être un cadre utile pour la sécurité régionale.»
Emmanuel Macron, devant son homologue russe ce 24 mai à Saint-Pétersbourg, a une nouvelle fois réaffirmé que la France s’engageait à préserver l’accord conclu en 2015, malgré les menaces américaines. Après avoir prôné un multilatéralisme futur et la souveraineté de la France, Macron a évoqué la question centrale du pacte iranien qui porte sur l’économie et les échanges en promettant de «garantir à l’Iran la viabilité des projets qui ont été déjà lancés».
Si, contrairement à ses allocutions précédentes, de sa prise de fonction à son truculent séjour américain, l’invité d’honneur du Forum Économique de Saint-Pétersbourg a soigneusement évité d’énoncer les mots un «nouvel accord», il a, de nouveau, parfaitement mis en application son meilleur slogan, celui du «en même temps»:
«J’ai dit aussi au Président Poutine quelles étaient nos autres préoccupations, et je crois là aussi pouvoir dire que nous les partageons: l’activité nucléaire après 2025, l’activité balistique et l’activité régionale de l’Iran.»
Et d’enchaîner:
«Je souhaite que nous puissions engager avec l’Iran, et j’ai eu l’occasion de le dire à deux reprises au Président Rohani, un dialogue sur ces sujets. Mais il est évident que ce dialogue n’est possible que si nous savons collectivement aménager ce cadre crédible de l’accord de 2015, ce que nous sommes en train de faire.»
«Aménager»? Une nouvelle fois, Jupiter mêle l’accord de 2015 et son application, qui sont largement discutés par tous les acteurs concernés, aux autres problématiques dont l’Iran est l’acteur principal et où les seconds rôles sont tenus par Israël et l’Arabie saoudite. Tout d’abord, éviter à ses alliés qui possèdent et qui posséderaient l’arme nucléaire d’avoir l’Iran comme concurrent potentiel après 2025. Puis, remettre en avant la question du balistique, qui de manière concrète demande à un pays souverain de ne pas développer sa puissance militaire. Et enfin, éviter, selon le discours officiel, «l’hégémonie régionale iranienne». Et là encore, l’application de cette pensée reviendrait à contraindre l’Iran à ne pas établir hors de ces frontières, des forces, notamment à Bahreïn, au Liban, au Yémen, en Irak et surtout en Syrie.
Ce manque de clarté ou l’association peu explicite entre le deal iranien de 2015 et l’endiguement de sa puissance, n’est probablement pas une simple application du «en même temps» macronien. En effet, le Président de la République pourrait utiliser la fragilité iranienne, causée par le revirement américain, pour contraindre Téhéran à respecter certaines demandes occidentales. Si les autorités iraniennes semblent être sur la position défendue depuis des années par le Président Rohani, les ultra-conservateurs du pays des mollahs, hostiles à l’accord de 2015, scrutent les secousses causées par les sanctions américaines, présentes et futures.
Macron aurait-il également des arrière-pensées sur la Syrie? Juste après avoir évoqué le dossier iranien dans son allocution de Saint-Pétersbourg, le Président évoque en effet le conflit syrien. Saura-t-il utiliser ses échanges avec Vladimir Poutine et le poids qu’il cherche à prendre dans la crise iranienne pour peser aussi sur la résolution du conflit en Syrie?
Ainsi, Emmanuel Macron, prenant à partie de nombreuses fois son homologue, évoquant même —sans grande vraisemblance- que les préoccupations françaises rejoignaient celles des Russes dans ce bourbier moyen-oriental, cherche probablement a utiliser Vladimir Poutine. En effet, la Russie est un allié incontournable de l’Iran, aussi bien dans l’accord sur le nucléaire iranien que dans les conflits régionaux, et si un homme peut tempérer les ardeurs de Téhéran et surtout remettre autour de la table les diplomates iraniens pour cadrer leur puissance militaire et géopolitique, c’est bien Vladimir Poutine.
Mais cette stratégie parisienne est loin d’être sans risque. En effet, l’Iran pourrait choisir la rupture et les dernières déclarations de l’ayatollah Khamenei adressées aux Européens (E3) illustre cette possibilité: deux des sept conditions posées par le Guide suprême obligent les E3 à s’abstenir d’évoquer, dans les pourparlers pour l’application de l’accord, le balistique et la politique régionale de Téhéran.
De plus, et même si un tel discours pourrait quelque peu amadouer Washington sur les sanctions qui visent les entreprises françaises qui commercent avec l’Iran, Emmanuel Macron reprend le discours tenu par les États-Unis et leurs alliés israéliens et saoudiens, en oubliant que les intérêts de la France ne peuvent être les mêmes.
Mais surtout, Macron le farouche Européen se différencie de la position de l’Union et de ses partenaires allemands et britanniques. Si Angela Merkel avait, elle aussi, évoqué les problématiques liées à la puissance de Téhéran, comme l’avait fait Theresa May, elles avaient bien distingué l’accord de 2015 de ces autres points d’achoppement entre l’Occident et Téhéran. La haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Frederica Mogherini a quant à elle, pris soin de marquer une vraie séparation: «ce dialogue doit être séparé de l’accord sur le nucléaire».
Ainsi, en marquant sa différence avec ses homologues européens, Emmanuel Macron empêche-t-il l’UE de parler d’une seule voix: par son ambiguïté, il affaiblit la position de l’Europe dans ce dossier qui est la première occasion pour elle d’affirmer une diplomatie indépendante. Réussira-t-il son coup de poker menteur?
Source: Sputnik