L’Arabie saoudite est vue comme un acteur mineur sur la planète football mais son vote pour la candidature nord-américaine au Mondial-2026 illustre, selon des analystes, ses ambitions de jouer un rôle d’influence sur la scène sportive régionale, notamment contre le Qatar.
Ryad entendait profiter de sa participation au Mondial-2018 pour faire valoir ces prétentions sur le terrain. Mais dès le match d’ouverture jeudi, ses aspirations ont été contrariées par une défaite cuisante face à la Russie (5-0).
La veille, le pays s’était fait remarquer en coulisses, en entraînant dans son sillage six autres pays arabes pour voter en faveur de la candidature unifiée des Etats-Unis, du Mexique et du Canada.
En ne choisissant pas le Maroc pour organiser le Mondial-2026, Ryad est allé à rebours des consignes de vote de la Ligue arabe.
Les médias et les responsables politiques marocains crient maintenant à la « trahison » et répètent en boucle que Ryad a « mené campagne » en faveur du trio nord-américain au détriment d’un pays « frère » arabe et musulman.
« Les Saoudiens voulaient apporter ce vote régional aux Etats-Unis pour illustrer leur influence croissante dans la région Moyen-Orient/Afrique du Nord et se placer comme le partenaire régional le plus proche de l’administration (de Donald) Trump », analyse de son côté Kristian Ulrichsen, chercheur l’Université Rice au Texas.
Les autorités saoudiennes n’ont pas donné suite aux demandes d’interview de l’AFP avec le président de l’Autorité saoudienne du sport, Turki al-Cheikh, en amont du vote.
« Champ de bataille »
Contrairement à son rival et voisin du Golfe, le Qatar, qui accueillera le Mondial-2022 et détient les droits de retransmission de nombreux évènements sportifs, dont le Mondial-2018, via sa chaîne BeIN Sports, l’Arabie saoudite occupe une place modeste sur la scène mondiale du ballon rond.
Mais cette riche monarchie pétrolière œuvre actuellement à créer une nouvelle instance régionale, la Fédération de football de l’Asie du Sud-Est (SWAFF ), réunissant 14 pays, sans le Qatar avec lequel le royaume est en crise diplomatique ouverte.
L’Arabie saoudite « renforce son implication dans l’architecture du football mondial en s’appuyant sur l’attractivité de ce sport auprès de sa jeune population et comme outil de rayonnement international », explique Kristian Ulrichsen.
La création de la SWAFF, qui concurrencerait la Confédération asiatique de football (AFC, 47 membres), pourrait donner à Ryad un poids conséquent dans les coulisses de la Fifa, prédisent des observateurs.
Parallèlement, il semble que des investisseurs liés à l’Arabie saoudite participent au consortium qui a offert 25 milliards de dollars pour créer des nouveaux tournois internationaux de football.
« Tout cela fait partie de la stratégie (globale) du prince héritier Mohammed ben Salmane qui est de contrecarrer – ou tout du moins de donner l’impression qu’il contrecarre- le Qatar et l’Iran à la moindre occasion », déclare à l’AFP Ellen Wald, auteur de l’ouvrage « Saudi Inc ».
L’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l’Egypte ont suspendu en juin 2017 leurs relations diplomatiques et commerciales avec le Qatar en l’accusant de « soutenir le terrorisme » et de frayer avec l’Iran. Des accusations que Doha dément.
« Le foot, en particulier le Mondial attribué au Qatar, est un champ de bataille crucial dans la guerre de relations publiques entre l’émirat et ses détracteurs », affirme James Dorsey, chercheur à l’Ecole d’études internationales S. Rajaratnam à Singapour.
Surfant sur des allégations de corruption qui auraient entaché l’attribution du Mondial-2022, Turki al-Cheikh a suggéré que la compétition devrait être retirée au Qatar en cas de fraude, pour être confiée à l’Angleterre ou aux Etats-Unis.
« Génie saoudien »
Les ambitions régionales de Ryad correspondent avec le vaste plan de réformes que l’Arabie saoudite a lancé en 2016 pour diversifier son économie, dépendante du pétrole, et aux mesures de libéralisation de la société prônées par le prince héritier.
C’est dans ce cadre que Ryad s’est lancé dans le sport business en signant des contrats pour accueillir des championnats de catch en partenariat avec la WWE et des courses automobiles de Formule E (pour Electrique).
La monarchie pétrolière va aussi accueillir en janvier la prochaine édition de la Supercoupe d’Italie entre la Juventus Turin et l’AC Milan. En 2014 et 2016, ce match avait été organisé au… Qatar.
« Je m’interroge sur l’intérêt de déployer autant d’efforts financiers et diplomatiques dans le domaine du sport », dit Ellen Wald pour laquelle « le capital politique acquis pourrait ne pas correspondre à l’argent dépensé ».
Mais rien ne semble pouvoir arrêter le patron saoudien des Sports qui, selon l’agence officielle saoudienne, a été consacré en décembre à Dubaï par une distinction de « personnalité la plus influente du football arabe en 2017 ».
« Nous dormions depuis 15 ans », déclarait-il en mai sur CNN. « Mais maintenant nous nous réveillons comme un génie saoudien (…) ».
Source: AFP