Les leaders du mouvement populaire du Rif, ou Hirak, ayant secoué le Maroc entre 2016 et 2017 ont été condamnés par la justice à 20 ans de prison ferme. Cependant, le gouvernement du pays peine encore à endiguer les causes sociales et économiques qui ont engendré ce mouvement. Tâche rendue encore difficile par les frontières fermées avec l’Algérie.
Le 26 juin au soir, le tribunal de Casablanca a rendu son verdict concernant les meneurs du mouvement Hirak, né en octobre 2016 dans la région du rif au Maroc, après la mort d’un vendeur de poissons broyé dans une benne à ordures. Nasser Zefzaf, Nabil Ahmjiq, Ouassim Boustati et Samir Ighid ont tous écopé d’une peine de 20 ans d’emprisonnement ferme pour «complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’État». Un chef d’accusation qui aurait pu leur valoir la peine de mort, selon la loi marocaine.
«Ce sont des peines très lourdes. L’État a échoué dans ce test de respect des droits de l’Homme et des libertés essentielles, tout comme l’indépendance de la justice», a déclaré Souad Brahma, l’une des avocates de la défense, citée par l’AFP.
Alors que pour Mohamed Karout, l’un des avocats des parties civiles qui représentaient l’État et ses agents «les peines sont très légères par rapport à ce que prévoit la loi et à la façon dont ils se sont comportés devant le juge».
Cependant, bien que ce soit la mort tragique du poissonnier qui était à l’origine de la naissance du mouvement de contestation Hirak dans cette région berbérophone du Maroc, les raisons du malaise et de la détresse de la population vont bien plus loin qu’une simple dénonciation des conditions de sécurité ayant conduit au drame.
«L’ampleur de la crise sociale au Maroc est telle que des mouvements sociaux perdurent depuis plusieurs mois. Au nord comme au sud, ces mouvements expriment les mêmes revendications: le droit à des besoins de base tels que le droit à la santé, au travail des jeunes, aux infrastructures pour les zones marginalisées. La population de Jerada [nord-est du Maroc, ndlr] est aussi mobilisée depuis plus de sept mois», a affirmé le célèbre écrivain marocain Tahar Ben Jelloun dans une tribune publiée, le 25 juin, sur le site d’information Le 360. Les revendications de la jeunesse rifaine ne sortent pas de l’ordinaire. Ils veulent un hôpital, une université, des écoles, des mesures de justice sociale et des emplois.
Même le gouvernement reconnaît que la situation économique est difficile pour les couches sociales modestes, mais il tarde à mettre en œuvre des solutions efficaces à même de soulager, un tant soit peu, la souffrance des gens, en particulier des jeunes. «Les attentes sont claires et bien identifiées, malheureusement la réponse nécessite un peu de travail et le chef du gouvernement s’interdit de faire des annonces tant qu’il n’a pas la garantie que c’est ficelé et que cela va aboutir à ce que l’on veut, à savoir l’amélioration du pouvoir d’achat», a confié une source proche du chef du gouvernement, citée par Médias 24 ce 25 juin.
La crise sociale aggravée par les frontières fermées avec l’Algérie
Les frontières terrestres entre l’Algérie et le Maroc sont fermées depuis 1994. Cette situation pèse négativement sur la dynamique économique des deux pays, mettant ainsi les populations vivant dans les zones frontalières dans une situation de précarité aiguë. Elle pénalise aussi la construction du Maghreb arabe privant ainsi les populations des cinq pays constituant cet espace de la possibilité de créer une zone économique intégrée.
«La Banque mondiale a estimé que cette situation coûtait à la région plusieurs milliards de dollars. Le commerce entre les cinq pays du Maghreb ne représente que 3% de leurs échanges globaux», a affirmé M.Ben Jelloun dans le même article cité ci-dessus.
Évoquant l’idée de la construction maghrébine dans le contexte des relations tendues entre l’Algérie et le Maroc, l’écrivain a affirmé que «les deux peuples ont besoin d’infrastructures de qualité pour consolider une politique d’éducation de haut niveau, pour lutter (en tout cas au Maroc) contre l’analphabétisme, pour mettre sur pied un service public de santé qui soit de qualité et surtout gratuit, pour doter les deux pays de lieux de culture et de sport répondant à une large demande d’une jeunesse qui veut vivre et travailler sans être tentée d’émigrer dans des conditions dangereuses».
Le 26 juin, de nombreux Marocains se sont réunis sur une plage de la ville de Saïdia, frontalière de l’Algérie, «pour dénoncer les conditions difficiles dans lesquelles ils vivent et menacer, pour l’occasion, de demander l’asile de l’autre côté de la frontière si jamais leurs doléances ne sont pas prises en charge», écrit le site Algérie Focus. Brandissant le drapeau marocain, les manifestants n’ont pas mâché leurs mots en évoquant carrément «l’option d’un suicide collectif si toutes les portes étaient fermées face à eux, y compris l’option de rentrer en Algérie», précise le site.
«Il est temps que cette situation absurde soit réglée», a lancé Tahar Ben Jelloun. «Imaginez un Maghreb uni, avec une économie forte et bien structurée, une économie qui se complète et qui, du coup se renforce, la parole de cette entité serait entendue et notre place dans le monde changerait du tout au tout. Il faut manquer de rationalité, manquer d’intelligence pour perpétuer cette situation qui ne profite qu’aux marchands d’armes», a-t-il ajouté.
Son appel sera-t-il écouté? L’avenir nous le dira. En attendant, après les félicitations que le Président algérien, Abdelaziz Bouteflika, a adressé au roi du Maroc, Mohammed VI, à l’occasion de l’Aïd el-Fitr (fête religieuse musulmane célébrée à la fin du mois de ramadan) et les remerciements que le ministre marocain des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Nasser Bourita, a présenté à l’ambassadeur d’Algérie à Rabat, suite au soutien qu’a apporté Alger à la candidature du royaume chérifien à l’organisation de la Coupe du monde de football 2026, une pétition pour la réouverture des frontières entre les deux pays a vu le jour sur les réseaux sociaux depuis le 19 juin.
Source: Sputnik