La quasi-totalité des médias français discrédite son «plan de restauration, de croissance et de stabilité économique», mais en quoi consistent exactement les différentes annonces faites par le président vénézuélien Nicolas Maduro ?
Après l’annonce d’un plan de rétablissement de l’économie du Venezuela par Nicolas Maduro le 17 août 2018, la presse francophone s’est fait l’écho des mesures qu’a décidé de mettre en place le chef de l’Etat vénézuélien en usant de titres plus ou moins objectifs, parfois volontiers pessimistes. Seul souci : en lieu et place d’analyse, les articles en question se contentent la plupart du temps de rapporter les critiques de l’opposition – oubliant même parfois d’expliquer en quoi consistent ces fameuses mesures.
Rares sont les articles qui évoquent le «Plan 50» annoncé en 2016 par Caracas, les programmes sociaux qui découlent du «Carnet de la Patrie» lancé en 2017 ou encore la manipulation du taux de change, pourtant en grande partie responsable de l’inflation que subit le Venezuela. Et pourtant, les objectifs poursuivis par le président vénézuélien avec son «plan de restauration, de croissance et de stabilité économique» s’inscrivent dans la durée et se veulent un prolongement des accomplissements de la République bolivarienne dans le domaine social, dans un contexte économique plus que chaotique. Pour pouvoir s’en faire une opinion, encore faut-il les connaître.
Indexation de la devise nationale sur le petro
Le 20 août 2018, le bolivar souverain est entré en vigueur et est officiellement devenu la nouvelle devise nationale. Il a été annoncé au taux de 1 bolivar souverain pour 100 000 bolivars forts. C’est ce mécanisme que la presse résume de manière légèrement moqueuse en écrivant que Nicolas Maduro a «supprimé cinq zéros».
Pour compenser cette surévaluation mécanique, la banque centrale vénézuélienne a alors annoncé qu’elle dévaluait de 96% la valeur de la nouvelle monnaie. Le nouveau taux est donc de 60 bolivars souverains pour un dollar (le précédent taux équivalant à quelque 2,48 bolivars souverains pour un dollar). Aussi spectaculaire soit-elle, il ne s’agit donc pas d’une brutale dévaluation entreprise en toute catastrophe par le Venezuela, comme le laissaient entendre de nombreux titres dans la presse…
En outre, il est à noter que le changement de la devise nationale s’est effectué en indexant la nouveau bolivar souverain sur le petro, la cryptomonnaie émise par le Venezuela depuis le 20 février 2018. Cette indexation signifie que la valeur du bolivar souverain est désormais directement liée à l’évolution de la fameuse cryptomonnaie. Celle-ci correspond donc désormais à l’indice de référence de la nouvelle devise nationale, avec le taux de 1 petro pour 3 600 bolivars souverains.
Le petro se distingue des autres monnaies virtuelles présentes sur le marché, étant la seule à être basée sur des actifs tangibles, à savoir les réserves de pétrole du pays, mais aussi celles de gaz ainsi que les stocks d’or et de diamants. Autre différence notable avec la plupart des cryptomonnaies existantes, le petro est centralisé : il s’agit de la première cryptomonnaie émise par un Etat qui conserve tout pouvoir sur la création monétaire.
Par ailleurs, en mars dernier, le gouvernement vénézuélien avait expliqué qu’en générant plus de 186 000 offres d’achat, la prévente du petro avait permis au Venezuela de lever cinq milliards de dollars.
Le salaire minimum multiplié par 34
Nicolas Maduro a annoncé une hausse du salaire minimum vénézuélien. S’il n’avait dans un premier temps pas annoncé de date, le président vénézuélien a finalement précisé que cette mesure serait effective le 1er septembre.
Alors que le nouveau salaire minimum devrait correspondre à 34 fois le salaire mensuel minimum en vigueur aujourd’hui, le chef d’Etat a affirmé que le gouvernement compenserait la différence de salaire «dans la petite et moyenne industrie» pendant 90 jours, s’engageant ainsi à aider les petites et moyennes entreprises rencontrant des difficultés à payer le nouveau salaire minimum à leurs employés.
Cette politique à destination des plus pauvres se traduit également dans le domaine de la fiscalité. Si le gouvernement a annoncé que l’impôt sur la valeur ajoutée (IVA) augmenterait de 4%, son taux standard passant ainsi de 12% à 16%, cette hausse ne concernera pas les biens de consommation essentiels qui ont un impact direct sur le panier de consommation des ménages.
Ajustement des prix des biens et des services
Face au déséquilibre entre le prix des biens de consommation et les coûts de production, le chef d’Etat vénézuélien a déploré le fait que «tous les prix [soient] dollarisés», il s’est ainsi engagé à viser un «processus d’ajustement équilibré et juste» sur la base des schémas internationaux et «avec l’indexation sur le Petro».
Nicolas Maduro a en effet annoncé un rééquilibrage des prix pour des produits de base du «Plan 50». Celui-ci a été présenté par le chef d’Etat vénézuélien en 2016 et correspond à une liste de 50 produits pour lesquels le gouvernement s’efforce de garantir l’accès à l’ensemble de la population, même en temps de crise économique.
Comme l’explique un article publié en juin sur le site de Telesur (chaîne vénézuélienne à vocation pan-latino-américaine qui dispose d’antennes dans sept pays d’Amérique du sud), Caracas a déjà entamé des discussions avec les secteurs concernés, dont l’agro-industrie et la distribution, pour rééquilibrer les prix de produits de base nécessaires à la population vénézuélienne.
Parmi les produits prioritairement concernés par le rééquilibrage des prix, le site Venesol, qui se présente comme une «plateforme de solidarité avec le peuple de la Révolution Bolivarienne au Venezuela», évoque la liste suivante : «Le café, le sucre, le riz, les haricots, la viande, le lait, le fromage blanc, le jambon, la mayonnaise, le maïs, le poulet, le poisson, la farine de blé, l’huile, différents produits d’hygiène et de toilette personnelle.»
Le président vénézuélien a par ailleurs annoncé la distribution de «bons d’adaptation» à près de dix millions de personnes. Selon lui, ces bons de reconversion monétaire, qui devraient atteindre une valeur de 600 bolivars souverains, devraient bénéficier, entre autres, aux titulaires du «Carnet de la Patrie», celui-ci correspondant à une carte électronique qui donne accès aux aides de l’Etat. En lançant le «Carnet de la Patrie» le 20 janvier 2017, Nicolas Maduro affichait son ambition de «combattre la corruption et réorganiser les missions», ces dernières découlant directement des programmes sociaux mis en place par Hugo Chavez.
Une bataille idéologique
Derrière les chiffres, la question économique revêt un enjeu particulier au Venezuela. En effet, plusieurs analyses s’opposent pour en expliquer les causes et les implications, les médias francophones s’abstenant généralement de relayer celle du gouvernement.
Le président vénézuélien, commentant le taux d’inflation qui atteignait 82 700 % au mois de juillet 2018, a ainsi déclaré : «Ils ont dollarisé les prix, je pétrolise le salaire», faisant implicitement référence à la guerre économique que le Venezuela accuse régulièrement les Etats-Unis de lui livrer.
De son côté, l’économiste vénézuélienne Pascualina Curcio explique le phénomène d’inflation entre autres par «la manipulation des taux de change». Professeur d’économie à l’université Simon Bolivar, Pascualina Curcio affirme en effet, dans une chronique du sociologue Romain Migus sur la spéculation et la hausse des prix au Venezuela : «La manipulation du taux de change est la plus puissante des armes de la guerre économique.» A celle-ci s’ajoutent l’impact du marché noir de la devise nationale sur son cours, mais aussi les conséquences dramatiques des sanctions économiques imposées au Venezuela par certains pays occidentaux, dont la France, qui dénoncent régulièrement la «dérive autoritaire» de Nicolas Maduro.
Source: RT