Un « pas » significatif dans le douloureux travail de mémoire: autorités et historiens algériens ont salué la reconnaissance par la France de sa responsabilité dans la mort sous la torture du militant indépendantiste Maurice Audin lors de la guerre d’Algérie.
Levant un tabou officiel, le président Français Emmanuel Macron a reconnu jeudi que la France, ancienne puissance coloniale en Algérie, avait mis en place un « système » entraînant des actes de torture pendant cette guerre (1954-1962) et la mort de Maurice Audin.
« C’est un grand jour », assure Amar Mohand Amer, historien et chercheur au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) d’Oran, grande ville de l’ouest algérien.
Cette reconnaissance « renvoie à un des nombreux traumatismes de la colonisation (…) la torture et les disparitions de milliers de militants de la cause nationale (algérienne) qu’ils soient musulmans, juifs, chrétiens ou autre », explique-t-il à l’AFP.
« Il a fallu un jeune président pour avoir le courage de dire que l’Etat français avait menti », souligne-t-il.
Arrêté le 11 juin 1957, en pleine bataille d’Alger, probablement par des parachutistes français, Maurice Audin, militant du Parti communiste algérien engagé pour l’indépendance de l’Algérie, fait partie des nombreux disparus de la guerre.
Durant des années, l’Etat français avait expliqué sa disparition en parlant d' »évasion au cours d’un transfert » sans jamais convaincre ses proches.
Jeudi, Emmanuel Macron s’est finalement rendu chez sa veuve, Josette Audin, 87 ans, pour reconnaître publiquement que la disparition à 25 ans de son mari et père de trois enfants, avait été « rendue possible par un système » et que Maurice Audin a « été torturé puis exécuté, ou torturé à mort ».
D’autres reconnaissances
La « reconnaissance par la France de l’assassinat de Maurice Audin est une avancée », a réagi à Alger le ministre des Moudjahidine (anciens combattants) Tayeb Zitouni.
Le ministre y a vu une « une preuve qu’il y aura davantage de reconnaissances » des crimes commis par la France durant la guerre d’Algérie.
Pour Madjid Merdaci, historien algérien et professeur à l’Université de Constantine (400 km à l’est d’Alger), interrogé par l’AFP, « le président de la République reconnaît que l’armée française a commis un crime ».
« C’est un pas significatif. Cette reconnaissance a une portée symbolique pour la France et pour l’Algérie et elle appelle d’autres reconnaissances ».
Il rappelle en effet qu’outre le cas de Maurice Audin, la guerre d’Algérie a été marquée par « les tortures, les disparitions » et les massacres de civils.
Or, la déclaration d’Emmanuel Macron, « 56 ans après l’indépendance » est aussi un « pas important pour l’ouverture de centaines de dossiers de disparus dont ceux de la bataille d’Alger, qui sont très nombreux », souligne M. Mohand Amer.
Jeudi, le président français s’est aussi engagé à garantir « la libre consultation » des archives concernant les disparus civils et militaires, français et algériens, du conflit.
Rappelant que le travail de mémoire ne peut se « faire dans la stigmatisation et les accusations réciproques », M. Merdaci, se réjouit d' »un pas pour lever les hypothèques qui pèsent sur les rapports entre l’Algérie et la France ».
Algérien de choix
Il souligne que le cas de Maurice Audin montre la complexité des situations et des engagements dans ce conflit.
« Pour nous, Algériens, Maurice Audin est un Français de naissance, mais un Algérien de choix », explique l’historien, « il n’a pas été arrêté parce qu’il était un militant communiste français mais parce qu’il était un militant indépendantiste algérien ».
La démarche d’Emmanuel Macron est aussi « un rappel important que ceux qui avaient pris fait et cause pour l’indépendance de l’Algérie n’étaient pas tous musulmans ».
Français, Maurice Audin est toujours considéré en Algérie comme un héros et un « martyr » de l’indépendance algérienne. Une place porte son nom en plein centre de la capitale, non loin de la faculté où il enseignait. Une plaque à sa mémoire y est apposée.
« Il y a des Français qui ont porté l’honneur de la France et les valeurs de la République française », poursuit l’historien.
Maurice Audin « a fait le choix naturel de l’Algérie. Ils étaient nombreux, les Européens, à se considérer comme Algériens à part entière et à avoir lutté contre une France coloniale très répressive », confirme Amar Mohand Amer.
Pour Madjid Merdaci, la reconnaissance de la responsabilité de la France a aussi une importance cruciale à l’échelle de la famille de Maurice Audin: « pour son épouse Josette, son fils Pierre, sa fille. Mme Audin attend cela depuis des décennies ».
Source: AFP