Pour savoir comment les autorités saoudiennes présentent l’histoire de la disparition du journaliste opposant Jamal Khashoggi à ses concitoyens, deux domaines devraient être scrutés, car liés profondément au façonnement de l’opinion publique dans ce pays : la couverture médiatique dans les organes financés par les autorités. Mais aussi et surtout les prêches du vendredi.Depuis 2015, le ministère des affaires islamiques, du waqf, de la prédication et de la guidance a unifié leur contenu. Ils sont d’autant plus influents qu’ils ont une dimension religieuse et morale.
N’écoutez pas, ne dites rien
Le prêche de vendredi, prononcé par l’imam de la mosquée du Haram dans la ville sainte de la Mecque, cheikh Saleh Ben Hamid est emblématique.
Il a mis en garde les Saoudiens que les moments traversés sont des moments de fitna, de crise et de zizanie, et leur a sommé garder le silence.
Ses sommations ont bien entendu une dissonance religieuse.
« Lorsque les zizanies s’approchent, ne vous mêlez pas de ce qui ne vous regarde pas. Gardez le silence. Restez attachés à la tradition (prophétique, ndlr). Lorsque certaines choses vous paraissent problématiques, arrêtez et dites « Dieu sait mieux ». Et si vous en ressentez le besoin, interrogez les gens de connaissance auxquels vous pouvez vous fier pour leur quittance. Et ne les dépassez point. Les gens hâtifs parlent avant de savoir et répondent avant de comprendre », a-t-il dit dans son sermon du vendredi 12 octobre.
Et de poursuivre : « le temps n’est pas fixe. Parfois il satisfait les loyalistes, d’autres fois il assouve les ennemis. Un jour il te rend pauvre. L’autre il t’enrichit. Un jour il t’honore. Un autre il t’humilie ».
Ben Hamid a invité les fidèles saoudiens à ignorer les défauts des autres. Toujours avec un ton religieux et moral. « Quiconque suit les défauts d’autrui se fatigue lui-même et fatigue les autre. Lorsqu’il s’en écarte, ses relations seront plus saines, ses rencontres plus belles, sa religion et sa vie seront épargnées », a-t-il ajouté.
Al-Arabiyyat: démentis, dénis et omission
Dans la couverture médiatique, le recours à la télévision saoudienne al-Arabiyat pourrait suffire pour se faire une idée sur la façon de manipuler le public saoudien: les démentis et les dénis de fait et la publication de versions différentes de celle publiés par les médias internationaux vont de paire. Le tout mélangé par la théorie du complot.
Naturellement, la version officielle est mise de l’avant, dont les allégations selon lesquelles M. Khashoggi est sorti du consulat.
L’information sur la disparition de cet homme est présentée comme étant le fruit de rumeurs qui sont véhiculés par les médias qataris et turcs.
Trois personnalités sont mises dans la ligne de mire de l’Arabiyyat Tv, comme étant responsables de ces rumeurs : la fiancée de la victime, Khadijat Jankiz « qui a prétendu être la fiancée de Khashoggi et a diffusé des versions contradictoires », peut-on lire dans un clip réalisé par ce méedia.
Jamal Al-Chayyak, un correspondant d’al-Jazeera. « Son père est une personnalité remarquée des Frères musulmans qui travaillent avec l’émir du Qatar ».
Et le directeur de la télévision turque TRT, Tourane Kechlakji qui a parlé des 15 saoudiens qui ont tués Khashoggi.
Dans les médias saoudiens, ces quinze hommes arrivés et partis le jour même de la disparition et qui s’étaient rendus au consulat puis à la maison du consul général (selon la version turque) sont présentés comme étant des touristes. Bien entendu, on ne signale pas ces deux détails.
Théorie du complot
Dans le discours politique, la théorie du complot est de mise : des responsables saoudiens et originaires des pays du Golfe ne cessent de véhiculer la thèse selon laquelle le royaume wahhabite est victime d’une campagne destinée à l’embarrasser devant les tribunes internationales. Notamment de la part du Qatar et de la Turquie.
La télévision saoudienne rapporte aussi les interventions d’experts qui soutiennent la position officielle. Dont des Turcs, des Américains… Elle rapporte entre autre l’avis d’un auteur américain Patrik Paul , un expert dans les questions nationales et de terrorisme selon lequel « l’Arabie saoudite fait face à des forces régionales et internationales qui travaillent de concert pour manipuler les médias et lui fournir des informations erronnées ».
Mais le procédé qu’elle utilise le plus est celui de l’omission. D’importantes évolutions de l’affaire sont éclipsées. Rejoignant le procédé des sermons du vendredi, il vise à garder le public saoudien dans l’ignorance.
Source: Divers